Regarde un homme tomber.
8.0 Nul besoin d’avoir grande connaissance de la politique espagnole actuelle pour être happé par El reino. En effet, tout se vit de l’intérieur, aux crochets d’un éminent secrétaire de parti (Lequel ? On ne sait pas) plongé dans une telle affaire de corruption (Laquelle ? On ne sait pas vraiment non plus, on entend des noms, affaires, sociétés récurrentes mais c’est globalement flou) qu’il va lui falloir songer à oublier les sympathiques virées en yacht.
Sur le papier je ne veux surtout pas voir ça : Je crains de me farcir un truc pénible et sentencieux genre Le caïman, La conquête ou Il divo. Mais quand on te vent la chose comme héritière de Pakula, Lumet ou Friedkin, moi forcément je fonce. Et c’est exactement ça. J’ai aussi pensé à L’exercice de l’Etat ou L’enquête (le film sur Clearstream), deux récents bons films français, mais j’ai la sensation qu’on est au-delà, ne serait-ce que du seul point de vue mise en scène.
Dès le premier plan – qui s’ouvre sur une plage dans une composition à la Michael Mann, mais sous un soleil de plomb bien ibérique, puis suit un personnage, le pas déterminé, jusqu’à la table d’un restaurant – le film te chope et annonce la couleur : Il prend le parti de nous imposer ce personnage (Il tiendra cela jusqu’au bout) ainsi que celui d’accompagner les déplacements avec de la musique techno.
Parlons-en de la musique. A la fois j’ai trouvé que ça collait bien au film, à la fois ça m’a d’abord un peu gêné. Mais les réticences quant à sa prépondérance s’effacent à mesure tant elle fait partie intégrante du récit, devient une sorte de métronome de l’action, de l’angoisse de son personnage. En un sens, son utilisation m’évoque celle de Rob, dans Le bureau des légendes. Partout mais discrète malgré tout, puisqu’elle ne brise jamais ce qui se déroule dans l’image.
Le personnage, lui, c’est une autre gageure, la plus fascinante puisqu’on a le sentiment que le film – et c’est tout à son honneur – se pose sans cesse la question de la bonne distance pour le filmer, l’appréhender, à la fois pour ne pas trop rentrer en empathie avec lui mais pour ne pas trop le détester non plus. Ne pas le sauver mais ne pas s’en foutre. Trembler pour lui tout en n’oubliant jamais que c’est une pourriture. Il me semble qu’El reino réussit cela à merveille.
Je me suis par ailleurs rendu compte que j’ai très vite lâché prise avec « le récit » car je me fichais pas mal de savoir le pourquoi du comment de cette corruption, ni de connaître les tenants et aboutissants de l’affaire, lui préférant le thriller pur, en collant ce personnage, immense connard dans un monde de connard, ballotté dans tous les sens, essayant bientôt par tous les moyens de ne pas tomber seul et campé par un acteur en état de grâce, Antonio de la Torre, qui est de chaque plan.
J’aimais bien cette plongée aussi énigmatique que sur-vitaminé dans le monde hypocrite des escrocs de politiciens, jusqu’à la scène pivot de la perquisition. Scène géniale car elle dure et on ne sait d’abord pas pourquoi elle dure. C’est donc sa durée qui fait croire que le personnage va tenter une évasion, avant qu’on comprenne qu’il tente de dissimuler quelque chose. Là tu te dis : Le mec (Rodrigo Sorogoyen, il faut absolument que je voie Que dios nos perdone) peut te coller à ton siège avec trois fois rien.
Dès lors, je trouve le film absolument fou et brillant. Surtout qu’il accumule alors les prouesses, mais parfaitement intégrées dans le récit, jamais gratuites. Avec l’incroyable plan-séquence sur le balcon – Pour fuir les micros – ou l’interminable autant qu’elle est géniale scène dans la villa en Andorre, puis celle nocturne de la station essence, sont parmi les trucs les plus puissants vus sur un écran de cinéma ces dernières années.