Archives pour juin 2019



L’amour des hommes – Mehdi Ben Attia – 2018

07. L'amour des hommes - Mehdi Ben Attia - 2018La vie d’Amel.

   3.0   Le film se déroule à Tunis, on y suit Amel, jeune photographe libre, amoureuse, indépendante. Quand son petit ami meurt dans un accident, Amel est prise en charge de façon aussi bienveillante qu’insistante par sa belle-famille, surtout son beau-père avec qui elle partage le goût pour l’art, qui veut lui préserver ses libertés ainsi que son espace créatif en l’aidant financièrement aussi bien pour son matériel photographique que ses expositions, et bientôt en lui offrant un nouveau studio. Cette extrême bonté révèle rapidement une ambiguïté très troublante, dans la mesure où Taïeb est comme cette montagne d’hommes qui gravite autour d’Amel – qui plus est lorsqu’elle se met en tête de transformer ses photos de lieux en photos d’hommes, dans un style de plus en plus érotique – fasciné par (la liberté de) cette fille qui de plus semble désirer tous les hommes qu’elle embrasse de son objectif. L’amour des hommes est clairement un film sur la femme artiste tunisienne d’aujourd’hui, un film féministe qui ira jusqu’au bout de son dispositif, Amel finissant par se refuser à celui qu’elle semblait aimer, lui préférant sa pleine solitude. Heureusement qu’il y a la toujours radieuse et magnétique Hafsia Herzi et dans chaque plan ou presque, afin de cristalliser notre regard sur elle et non sur la mise en scène insipide, inexistante. C’est simple, on dirait un mauvais téléfilm, de ceux accompagnés en permanence d’une petite musique passe-partout, de ceux caressés par une lumière sur une seule note, un rythme sur un seul ton, de ceux habités par ce jeu théâtral, ces séquences pas trop longues pour que ça ne dérange personne. C’est sans intérêt alors on s’en remet à des bribes – une séance photo homo-érotique, un affrontement du regard entre une artiste et son modèle – ou bien à des anecdotes. En l’occurrence j’ai été perturbé par une apparition au début, celle de Férid Boughedir. Je ne connaissais pas cet homme, enfin cet auteur jusqu’à maintenant, pas même de nom, puis j’ai découvert il y a quelques jours deux de ses films, Halfaouine et Un été à la Goulette, tous deux très beaux, je reviens dessus prochainement. Le voir ici furtivement dans un rôle anecdotique de coiffeur discutant avec Hafsia Herzi offre une coïncidence étrange. En effet j’aurais découvert le cinéma de Boughedir après avoir vu L’amour des hommes, je n’y aurais vu que du feu. Là ça m’a fait un truc, ce genre de truc, de relais, de passerelle, d’accointance, directe ou oblique, logique ou improbable que seul le cinéma permet, parfois.

Still the water (Futatsume no mado) – Naomi Kawase – 2014

02. Still the water - Futatsume no mado - Naomi Kawase - 2014L’esprit des océans.

   8.0   Je suis ravi de retrouver la Naomi Kawase que j’aimais tant, celle qui m’avait tant émerveillé avec Suzaku puis Shara, enfin l’inverse, puisque j’avais d’abord découvert le second. Deux films puissants, tranchants, qui étaient traversés par le drame et/ou l’absence, et une quête de la résurrection qui s’en remettait en permanence aux éléments, au décor : Un mystérieux tunnel dans l’un, une pluie diluvienne dans l’autre.

     Still the water condense ses plus belles inspirations, c’est un enchantement qui évoque la poésie délicate d’un Miyazaki et la dimension panthéiste d’un Malick, en trouvant un équilibre fragile mais réel, miraculeux. La mort fait souvent parti du processus narratif du cinéma de Naomi Kawase et elle est souvent compensée par la naissance : L’accouchement dans Shara, mais surtout ceux de Genpin, son documentaire sur des femmes souhaitant donner naissance dans les bois, selon une procédure non médicalisée, compensent la mort ou la peur de la mort inhérente dans chacun de ses films. C’est aussi cette peur qui se logeait dans le tunnel de Suzaku.

     Dans Still the water, on assiste à une autre naissance, c’est l’éclosion du désir. Dans cet éden dangereux que forme ce village de l’ile d’Amami menacé par les typhons, deux adolescents se cherchent, tombent amoureux l’un de l’autre, se le disent maladroitement et tentent de combattre chacun une douleur intime, respective. Pour elle, il s’agit de la perte imminente de sa maman, très malade. Pour lui, c’est plutôt l’éclatement de la cellule familiale qui mine son rapport à l’amour.

     En effet, Kaito vit sur l’ile avec sa mère, tandis que son père est à Tokyo. Dans l’une des plus belles scènes du film, Kaito ira voir son papa, ils dineront ensemble et discuteront sans doute pour la première fois de cette distance, cette séparation que l’adolescent ne comprend pas. En une longue scène, Kawase offre une vraie place à ce père hors-champ, qui a ses raisons, qui répondent par ailleurs étrangement aux dires de la maman chamane de Kyoko, qui disait un peu plus tôt que le plus important n’était pas de s’acharner à vivre mais de se voir vivre à travers ses enfants. Ce papa, ému par la tristesse de son fils, finira par lui dire que le lien qui les unit, qui unit un fils et son père, ne se brisera jamais.

     C’est curieux car ces instants, qui sont des sommets de chiale, enfin pour moi, n’agissent pas du tout en climax ou en continuité logique, ce sont plutôt des interstices, des éclats indépendants, des instants que les deux adolescents vivent chacun de leurs côtés. Du côté de Kyoko on retiendra un autre moment d’une grâce inouïe, lorsqu’elle se retrouve sur la terrasse de jardin, sous l’immense banyan, la tête sur les cuisses de sa mère, qui a elle-même la tête sur celles de son mari qui plaisante de cette situation qu’il trouve désavantageuse à son égard. Ça pourrait durer des heures ces séquences-là, c’est absolument magnifique.

     Mais c’est une autre séquence qui va tout balayer. Celle de la cérémonie d’adieu organisée pour la mort de la maman de Kyoko, évidemment. Kaito et Kyoko sont par ailleurs cette fois-ci ensemble. C’est le deuxième évènement qu’ils vont affronter véritablement ensemble, après la découverte de l’inconnu noyé dans l’ouverture du film. La scène est très longue. Les regards se croisent de toute part, ceux de Kyoko et sa maman, notamment, dont on comprend qu’elles se disent adieu silencieusement : Une larme, un moment donné, coule sur la joue de la mère et son écho ne tarde pas à faire son apparition sur celle de sa fille. C’est somptueux. Mais c’est aussi parce que la scène est saturée de sons (la nature, les chants, la musique…) et de gestes qu’elle devient insolite et bouleversante ; c’est aussi parce qu’elle s’étire, dure plus qu’on ne l’aurait pensé, qu’elle touche à l’expérience partagée de la mort, quelque part. C’est à chialer des torrents. Et c’est tout le cinéma de Naomi Kawase, à son meilleur, qui est contenu là-dedans.

     C’est une merveille. Simplement, quel dommage que cette merveille soit jalonnée, en ouverture et en son centre d’une atroce scène d’égorgement d’une chèvre. Je veux bien que Naomi Kawase couche sur pellicule une pratique existante à Amami, que son rapport à la mort de l’animal revête un autre sens que celui de notre regard d’occidental, d’autant que ça fait partie intégrante du récit (l’observation de la mort, de l’esprit qui quitte l’enveloppe corporelle) mais quel intérêt de montrer la mise à mort et la chèvre agonisante au spectateur ? Le cinéma a cette force qu’il peut aisément contourner ces voies-là. Déjà, filmer cela dans un documentaire (Chez Rouch par exemple) ça me pose problème, mais si c’est uniquement pour nourrir la fiction, franchement je trouve ça abject. C’est con parce que c’est mon seul grief à ce film puissant, d’un enchantement permanent, qui sonne comme l’aboutissement de l’œuvre de la cinéaste japonaise, qui répète ses motifs habituels mais le fait ici avec une grâce absolument prodigieuse.

24 frames – Abbas Kiarostami – 2017

01. 24 frames - Abbas Kiarostami - 2017Infinité d’images autour d’une image.

   6.0   Ce dernier film de Kiarostami est né d’une idée toute simple autant qu’elle est éminemment cinématographique : Puisque « Le cinéma c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde » pouvait-on entendre dans Le petit soldat, de Godard, le cinéaste iranien se demande ce qu’il advient de vingt-quatre images en deux heures, sitôt qu’on y ajoute ce qu’on imagine avoir eu lieu avant ou après ces images capturées. Hormis la toute première « frame » qui donne vie à Chasseurs dans la neige – le tableau de Bruegel qui au cinéma inspira déjà Tarkovski pour Zerkalo ou Lars Von Trier qui le faisait se consumer dans Melancholia – les vingt-trois suivantes s’attèlent à faire se mouvoir vingt-trois photos prises par Kiarostami lui-même.

     Idée aussi géniale sur le papier – d’autant qu’elle semble répondre à trois autres de ses films, plus conceptuels et expérimentaux : Shirin, Five et Ten – qu’elle s’avère in fine assez peu stimulante. Je m’explique. Kiarostami, pour moi, c’est avant tout le reste : Où est la maison de mon ami ? Soit l’un de mes films préférés. Mais j’aime aussi beaucoup Close-up, Le goût de la cerise ou Copie conforme. En fait, le problème, mon problème, c’est que je n’ai vu aucun de ses films « expérimentaux ». En somme, 24 frames m’apparait davantage comme un objet d’art ultra-conceptuel, une sorte de caprice de vieux sage, je le replace difficilement dans la filmographie du cinéaste iranien, voilà pourquoi, très probablement, il me touche moins. Sans doute ai-je tort et y reviendrai après les découvertes ultérieures de Five ou Ten. Mais en l’état, je ne retrouve pas tellement (mon) Kiarostami là-dedans.

     C’est un joli film, certes, parfois ludique – enfin surtout pour mon chat, qui ne quittait plus l’écran des yeux – puisque chaque apparition, chaque mouvement aussi discrets soient-ils parfois, violents plus rarement, ouvrent sur une infinité de possibles, de petites choses à observer plutôt que d’autres, au choix du spectateur, béat ou attentif. Mais il manque peut-être une histoire pour tisser ces morceaux entre eux. Chaque frame entre idéalement dans un tout puisqu’on y retrouve souvent la neige, les oiseaux, les arbres, la mer et une présence humaine, parfois discrète (la vitre d’un véhicule, un rideau) parfois brutale (un coup de feu, le vrombissement d’un moteur) parfois imposante (une chanson, un grillage). Mais ça manque d’une résonnance forte, d’une émotion qui fera sortir le film de son confort. C’est le son qui jaillit dans 24 frames. C’est le son qui stimule, c’est déjà ça.

     J’en viens à un constat un peu amer, en somme : N’est pas Benning qui veut. D’une part, c’est sa marque de fabrique, à Benning, ce type de plans fixes, difficile de lui reprocher d’être conceptuel et capricieux puisqu’il semble ne pouvoir utiliser le cinéma que de cette manière-là. Chez Kiarostami la question se pose. Et elle se pose tellement qu’il s’en passe des choses dans ses plans, contrairement à ceux de Benning qui gardent leur pouvoir de quotidienneté, de normalité, de continuité. Dans 24 frames, on peut voir les cimes de deux peupliers sur le point d’être tronçonner. On les verra disparaitre, on les entendra tomber. Chez Benning, si le plan change lors du passage d’un train, du souffle du vent ou de la traversée d’un nuage, ce changement est poétique, jamais politique, disons. L’immobilité n’est jamais statique chez lui aussi et débouche toujours sur des surprises, des sursauts, des pas-de-côté mais jamais de façon aussi franche.

     Lignes, motifs, apparitions se répondraient donc trop ostensiblement ? Je pense que ma principale gêne vient de là. A moins qu’il ne s’agisse d’un problème lié à l’image. Kiarostami ne ment pas sur son dispositif, d’emblée il joue du numérique pour faire bouger la toile de Bruegel, voir la fumée sortir des cheminées, de la neige tomber, des oiseaux voler, des vaches traverser le plans. Il faut accepter le faux, l’ajout, le collage numérique pour accepter de naviguer dans 24 frames. Ces trucages brisent-ils tant l’élan poétique ? Pour moi, oui. Je préfère quand Sokurov travaille directement sur pellicule dans Mère et fils, en déformant les contours et les angles. Là ça m’évoque plus les caprices de Vincent Dieutre ou Kirill Serebrennikov quand ils gribouillent des pigeons ou des coloriages sur les plans de Jaurès ou Leto. Ça me sort du film plus qu’autre chose, moi. Toutefois, 24 frames a ceci de particulier et émouvant, a ceci pour lui en somme, qu’il est un film posthume. Il y a bien quelque chose d’un artiste attendant la mort là-dedans, dans ces images mortes qu’il faut animer à tout prix.

Sibyl – Justine Triet – 2019

29. Sibyl - Justine Triet - 2019Femme femmes.

   5.0   Ma relation avec le cinéma de Justine Triet aura, je le crains, beaucoup de mal à reprendre des couleurs. Quand La bataille de Solferino était l’exemple type du (premier) film réalisé avec les tripes, Victoria avait tout du deuxième essai produit avec orgueil. A moins de la voir retrouver l’énergie qui l’élevait pour son premier film, à moins donc qu’elle désire refaire un premier film, avec ses tripes, je ne vois pas comment je pourrais retrouver la vitalité, la fraicheur et la puissance qui m’avait cueilli devant cet insolent magma qu’était ce premier essai.

     J’attendais Justine Triet au tournant. Trop, sans doute. J’avais retrouvé un peu de ça dans Victoria, mais au sein d’un enrobage plus lisse et calculateur. Plus produit, disons. Et je retrouve exactement la même chose dans Sibyl, que j’aime donc autant que Victoria. Pas beaucoup, en somme. En fait s’il y a un truc que je n’avais pas prévu en sortant de son premier long c’était qu’elle basculerait vers un cinéma français plus identifié et maniéré. Sibyl, ça voudrait jouer dans une cour bergmano-allenienne mais pour moi c’est du post-Téchiné rien d’autre. Ce qui me plaisait tant dans son approche de La bataille de Solferino, c’était cette collision entre l’intime et le médiatique, la fiction et le documentaire, le couple et le deuxième tour des présidentielles, ce truc hybride et hyper stimulant qui disparait ici au profit d’une approche entièrement fictionnelle, ampoulée, qui me séduit moins puisque ça me semble beaucoup moins original et surtout parce que ça manque de cœur et d’intensité.

     Toute la première partie, j’ai même retrouvé un peu de ce que j’avais détesté dans Un beau soleil intérieur, le seul film de Claire Denis que je n’aime pas. Heureusement, dès que pointe Stromboli, un vertige se joue et me plait, convoque aussi bien Godard que Rossellini, il est simplement dommage que le film vire au grotesque façon millefeuille, avec des personnages interchangeables, des jump cut et des flashbacks à tire-larigot, des séquences souvent beaucoup trop courtes. Alors oui, Efira est impressionnante dedans. Elle tient le film, d’autant qu’Adèle Exarchopoulos, à ses côtés, reste un peu trop cantonnée au rôle doloriste post La vie d’Adèle, pour lui faire de l’ombre. Mais je crois avoir adoré voir quelqu’un d’autre dans Sibyl. Je me souviens avoir été marqué par Arthur Harari dans son précédent – Il apparait ici encore, d’ailleurs, mais brille nettement moins. Là c’est Sandra Huller que je cherchais partout. Elle qui jouait la fille de Toni Erdmann dans le film de Maren Ade, elle joue ici la réalisatrice, habitée, hystérique, au bord de la crise de nerfs. Elle est absolument géniale, quel bonheur de la retrouver. Je veux revoir Toni Erdmann, d’ailleurs.

     Sibyl ne devrait vraisemblablement pas beaucoup me marquer mais j’y vois de jolies choses malgré tout, notamment sur la réversibilité des rôles et des personnages miroirs. Il me semble que c’est l’un des trucs les plus casse-gueule qui soit mais que Triet s’en tire plutôt bien, même si le film est un peu écrasé sous le poids de son ambition. Au moins il est ambitieux. Bien plus que le dernier Jarmusch.

The dead don’t die – Jim Jarmusch – 2019

20. The dead don't die - Jim Jarmusch - 2019Zombies and flatfoots.

   4.0   Je fais une pause dans mon festival de Mouk pour évoquer deux films de l’édition cannoise de cette année, deux films que je n’aime pas beaucoup. Espérons que la prochaine parenthèse soit plus enthousiasmante : Almodovar, Dardenne, Bong Joon-Ho je compte sur vous. Avant d’évoquer Sibyl, parlons d’abord du dernier Jarmusch, qui me faisait rêver.

     J’avais rarement ressenti autant d’ennui et de tristesse dans une salle de cinéma. L’ennui quand rien ne fonctionne, quand tout semble paresseux, quand la vue d’ensemble à la fin se révèle plus amorphe encore que chaque scène prise indépendamment, déjà inerte. La tristesse que ce soit Jim Jarmusch aux commandes, bien sûr, lui qui avait pondu trois merveilles depuis dix ans, lui qui était à mes yeux dans sa veine créative la plus stimulante.

     Jarmusch + film de Zombies + casting supra-cool, c’est sans doute ça le problème, j’en attendais une montagne. The dead don’t die aurait pu être raté ou mineur, mais c’est son plus mauvais film, avec Coffee and cigarettes. Mauvais n’est même pas le mot, d’ailleurs, tant ça n’est rien, ça ne tente rien ou presque et ce presque est systématiquement raté, jamais drôle, jamais surprenant. C’est vraiment une toute petite chose, une toute petite comédie ratée, sans intérêt, à l’image de la scène de la découverte des corps au motel (l’arrivée des trois flics en bagnole, sur les lieux du crime, puis leur entrée dans le restaurant) qui joue sur un running gag aussi fade qu’il est mou, sans idée.

     Dans ce marasme, je sauve tout de même deux ou trois trucs. Par exemple, j’aime bien l’idée des morts qui ne marmonnent qu’un seul mot, en boucle, un mot qui révèle leur dépendance de vivant. « Coffee » pour l’un (Iggy Pop sans maquillage, je pense) « Chardonnay » pour l’autre. Et « Wifi » pour les adolescents. C’est con, un peu lourdingue, mais ça m’a plu. Beaucoup plus que cette risible dimension méta qu’Adam Driver fait entrer dans le récit en évoquant « le script de Jim » ou son porte-clés Star Wars : Frissons de la honte, franchement, c’est du niveau Scary movie, Jim tu vaux tellement mieux que ça.

     The dead don’t die est un film que l’on pourra trouver attachant avec le temps, justement car il est mineur. Mais Jarmusch ça demande de la digestion et de la revoyure, habituellement, là on a le sentiment que tout est là, très facile à consommer, oublié dans la seconde. L’ardoise magique, ce film. Et même pas le candidat parfait (Son casting, pourtant, excitait beaucoup) pour une ouverture de festival, tant c’est complètement soporifique. Grosse déception.

Fuocoammare – Gianfranco Rosi – 2016

30. Fuocoammare - Gianfranco Rosi - 2016Europe, année zéro.

   7.5   C’est l’histoire d’une île méditerranéenne et au-delà de cette île, c’est ainsi que le suggère le sous-titre français du film : « par-delà Lampedusa ». C’est une île pas comme les autres. Un carton nous renseigne d’emblée : cette terre sicilienne est un carrefour de la crise migratoire. En effet, étant située à « mi chemin » entre l’Afrique et l’Italie, elle est un port d’accueil pour les milliers de migrants qui souhaitent rejoindre le continent européen chaque année.

     Gianfranco Rosi aurait pu s’en tenir à un documentaire stricto sensu sur les naufragés de cette île, leurs conditions de survie dans les coques de noix qui leur permettent de traverser la mer, ainsi que leur étrange quotidien dans cet éphémère terre de transit, ce qu’il fera aussi, bien sûr, tout en racontant un autre quotidien, plus inattendu pour le coup, puisqu’il suit celui d’un garçon de douze ans, Samuele, né à Lampedusa, curieux, solitaire. Très vite c’est un cousin de celui d’Homeland, Irak année zéro mais aussi de celui d’Où est la maison de mon ami. Ils ont au moins en commun qu’on voudrait découvrir le monde à travers leur regard, qu’il soit fait de beauté comme de souffrances.

     On peine d’abord à trouver un lien déterminant, entre l’histoire de ce garçon et le sort des migrants, sinon que les seconds débarquent en permanence sur la terre du premier, sans qu’il ne s’en rende vraiment compte. Sa défaillance visuelle fera une passerelle métaphorique aussi appuyée que passionnante : Ses yeux ce sont un peu les nôtres. Son lance-pierres qu’il se confectionne religieusement pour viser les oiseaux, c’est un peu la matérialisation des œillères que chacun se fabrique afin de ne pas voir ce que Rosi définit comme étant « le plus grand massacre humain depuis l’Holocauste ». Cet œil faible qu’il faut stimuler en reposant l’œil fort c’est sans aucun doute le message politique revendiqué par le film. A Lampedusa, vivants et survivants ne se croisent jamais.

     Fuocoammare est surtout l’occasion de filmer la vie sur cette île méditerranéenne. Filmer la classe de l’école où se rend le jeune Samuele, un cours de lecture, ses copains. Mais aussi filmer la famille de Samuele, les intérieurs, un repas, une discussion père/fils. Filmer aussi le speaker de la radio locale, qui passe les informations concernant les arrivées, les corps repêchés du week-end, avant d’envoyer une variété italienne ringarde, crachée ici dans un vieux transistor de cuisine. Filmer aussi le médecin, directeur du dispensaire de l’ile, dévoué à ces hommes, femmes et enfants, souffrant régulièrement, agonisant parfois, trop souvent ; Ecouter son engagement, lui qui remet sa vie au sauvetage de ces gens fuyant la pauvreté ou la guerre ; Lui qui n’a comme unique credo qu’un Homme, si tant est qu’il en soit un, se doit de porter secours à son prochain.

     C’est un film tout en résonnances. La plus forte étant bien entendu cet appel au secours à peine audible dans une radio, de ce qui pourrait bien être une embarcation sur le point de sombrer, à laquelle répond la découverte, plus tard dans le film, de corps entassés en soute, ceux qui ont payé moins cher pour effectuer la traversée, dit-on. Le film prend son temps pour en venir à cet insoutenable et quand il y parvient c’est heureusement moins pour créer du choc que pour illustrer, plutôt accompagner ces appels perdus dans la nuit et les paroles de ce médecin qui plus tôt racontait qu’il ne s’habituera jamais à voir des cadavres. Il fallait aussi filmer la mort.

     Plastiquement le film est puissant. Qu’il s’intéresse au départ nocturne d’un hélico en pleine mer ou bien à cet immense arbre que Samuele tente de grimper le jour, à un repas de famille ou à une partie de football entre pays de réfugiés. Ce sont des images de Lampedusa, des migrants, de la vie d’un petit garçon, d’un quotidien de sauveteurs qu’on n’a jamais vu ailleurs auparavant, donc un film inédit, aux images nouvelles qui s’érigent contre celles, plus lisses, que la télévision nous martèle.

Ixcanul – Jayro Bustamante – 2015

28. Ixcanul - Jayro Bustamante - 2015L’étreinte du volcan.

   5.0   Ixcanul pourrait être un beau document sur le quotidien d’une famille guatémaltèque, parlant le cakchiquel, une langue maya, sur une terre volcanique proche de la frontière mexicaine. Ce serait déjà énorme. Jayro Bustamente – dont j’ai hésité à aller voir Tremblements, cette année – s’intéresse aux tâches, au déroulement des journées, un repas, un cochon qu’on égorge. On sent qu’il veut filmer tout ça, mais il ne sait pas trop comment le filmer. Surtout on voit trop peu ce volcan. On oublie trop souvent qu’on est dans une plantation de café, sur les flancs du Pacaya. Sans doute parce que le cœur est ailleurs, comme celui du personnage, Maria, 17 ans, fille de paysans, qu’on va promettre en mariage au contremaitre de la plantation afin de ne pas être chassé de ce lopin de terre devenu inexploitable à cause des serpents. Si Maria semble très docile, comme l’annonce ce tout premier plan où elle est habillée, silencieuse, on va la découvrir bientôt plus rebelle et pleine de rêves qu’elle n’y parait. Elle voudrait fuir ce monde. Il y a derrière le volcan le doux rêve que la jeune génération convoite, quand les vieux, résignés, considèrent qu’il les protège du froid et du danger. Un soir, alors que le contremaitre est absent, Maria se jette dans les bras de Pepe, l’un de ces paysans ambitieux de traverser la frontière. Puis il disparait, sans prévenir Maria, qui de son côté tombe enceinte. Si l’on boit, mange et baise dans Ixcanul, rien de ces trivialités quotidiennes n’a vraiment de saveur, de chaleur, de ferveur. La tâche l’emporte toujours sur le désir. Et les promesses du voyage à travers le volcan s’évaporent bien vite. Il ne reste qu’une montagne infranchissable, des serpents dangereux, une grossesse dont il faut se défaire, sous peine de perdre le peu de confort qui reste. On voit donc trop peu ce volcan, le récit aurait pu se dérouler ailleurs. Le vrai volcan il est dans le ventre de cette adolescente. De la lave en fusion qui menace de tout bruler. Certaines scènes relèvent un niveau relativement fade, programmatique, trop écrit globalement : notamment les deux scènes entre les deux amants, d’abord celle de séduction et de sexe en marge d’une fête de village, puis lors d’une retrouvaille en marge d’un convoi de bêtes. Une scène où tous deux sont en bord-cadre, chacun le sien. La distance crée une fragilité et une sorte d’affrontement qui fait naître une promesse, celle d’une fuite commune, vite avortée. Si le film se termine mal – en passant par la ville, qui ne parle pas la même langue – mais mal en bien, puisque Maria survit, elle n’aura finalement pas eu d’évolution entre le premier et le dernier plan, sinon qu’il faudra pour elle vivre dans l’espoir que son bébé vit quelque part, son rêve américain, loin des serpents, du volcan et de la plantation de café. Le rêve semble s’être obscurcit à tout jamais, pour elle.

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