Aux origines du désir.
6.5 Si Julieta, son précédent film, m’avait attrapé très vite, il m’a fallu du temps pour entrer dans le dernier film de Pedro Almodovar et l’apprécier presque pleinement. Un temps considérable, puisque c’est le mitan qui m’a interpellé, puis cueilli. Tout s’est joué lorsque Alberto, l’acteur récite la lettre de Salvador, le cinéaste face au public. Ce qui se joue entre eux auparavant, la retrouvaille et la drogue, ne m’intéressait pas beaucoup. C’est une scène très bizarre, ce moment pivot, car à la fois je l’ai trouvée très laide, esthétiquement, mais ce qu’elle renferme et la passerelle qu’elle crée soudainement, m’a ému. Il me semble qu’à cet instant précis, le film ne m’a plus lâché. L’ennui poli éprouvé une heure durant – Je crois d’ailleurs m’être assoupi un moment donné, j’ai un jump cut pas très clair en tête – s’est transformé en émotion douce et continue. L’impression d’exhibitionnisme embarrassant et lourd en confession discrète et touchante. Sans doute parce que cette scène déclenche ce qui suit, la plus belle du film à mes yeux, une autre retrouvaille, celle entre Salvador et Federico. L’aspect romanesque me semblait d’abord artificiel, un peu prétexte à voir plus loin que la simple complainte d’un sexagénaire sur ses douleurs – la séquence animé, franchement pas terrible : ça manquait d’effusion pour moi, car si Pedro balance ses maux de façon si impudique j’aurais aimé que cette impudeur génère un flux émotionnel. Mais au basculement, ce romanesque devient le cœur du film. Les deux époques se répondent. Les glissements sont par ailleurs très fins, très réussis. Mais comme l’époque de Sabor (Donc la relation entre Salvador et Federico) demeure hors champ, c’est l’origine du désir qu’on va convoquer, c’est lui qui va se saisir de la place centrale, avec cette grotte/maison et ce garçon qui fait les travaux de maçonnerie chez Salvador, qui lui, en échange, lui offrait des cours d’écriture. A noter cette scène magnifique et fondamentale, quand Salvador petit est foudroyé par la beauté nue de l’éphèbe se lavant sous ses yeux. Almodovar reprend un peu de l’évanouissement qui saisissait le hadj, dans Un été à la goulette, de Férid Boughedir. C’est une scène-éclair quasi aussi forte que l’ellipse bouleversante sur laquelle se construisait Julieta. Ensuite, il y a le final en plusieurs couches, puissant. Il y a d’abord le dessin retrouvé. Puis le souvenir d’une retrouvaille avec la maman. Mais Pedro prépare l’une de ses plus belles dernières scènes, qui va donner un sens à toutes les images du passé qu’on vient de voir. Le souvenir entre dans le processus créatif. Le film semblait jusqu’ici un peu trop désespéré et recroquevillé si bien qu’on aurait pu l’intituler « Qu’en est-il de la déprime de Papy Pedro ? » mais au contraire, ce final marque moins d’appesantissement qu’un espoir de retrouver le désir de créer, moins d’enlisement dans les douleurs du passé que de réconciliation avec soi, afin d’ouvrir une nouvelle page. C’est très touchant.