Sale histoire.
6.5 Death proof est très clairement sectionné en deux parties dans une structure en miroir : Austin, Texas d’un côté, Lebanon, Tennessee de l’autre. Avec dans chacune des deux parties une bande de filles observée puis attaquée par un stuntman-psychopathe, sublime Kurt Russell en salopard irrécupérable. La seconde partie est nettement plus réussie en ce sens qu’elle se libère – comme elle se libère de son noir et blanc, tandis que la première ne s’affranchit jamais de ses rayures – de son influence initiale des films d’exploitation diffusés dans les drive’in avec cette image abimée, ses sauts de pellicules, pour accoucher d’une image plus léchée ainsi que d’une tendance qui rend au film son existence : L’hommage au Vanishing point, de Richard Sarafian. Toute la semi-réussite de ce Tarantino mineur se loge dans ce point de convergence cinéphile mais aussi dans son parti-pris schizophrène.
Il me semble en effet que c’est surtout un plaisir de fan-service très immédiat et régressif, Death proof. A l’époque de sa sortie, j’étais allé le voir dans le multiplex à côté de chez moi, dans une salle hilare avant l’heure, convaincue d’avance. Quand surgit le générique final, après le jubilatoire déferlement de vitesse et de vengeance des quinze dernières minutes, un type s’était levé et avait hurlé « T’es Le Meilleur, Quentin ». C’est un peu réducteur car c’est un film passionnant sur plein d’autres points mais c’est à mon sens ce qu’il représente avant tout : Un petit défouloir, joyeusement récréatif. Malheureusement cette immédiateté s’évapore au fil des visionnages. J’avais adoré le film en salle puis beaucoup moins en le revoyant très vite, j’en avais déduis qu’il était trop tôt car je m’y étais ennuyé, le trouvant beaucoup trop clair dans ses intentions et sa structure, j’étais aussi gêné par la majorité des conversations, les plus faibles de tout le cinéma de Tarantino, sans discussion possible. Tout en trouvant l’attachante virtuosité qui fait le sel de son cinéma, évidemment. Mais plus de dix ans plus tard c’est pareil. J’y vois un joli ovni complètement dérisoire, réjouissant, une réussite si on le compare à celui qui se joignait à lui en dyptique (Planète terreur, l’étron de Robert Rodriguez) mais au sein de la filmographie de Tarantino ça reste très faible.
On retrouve quoiqu’il en soit les détails fétichistes chers à l’auteur. Ainsi le premier plan du film – sur lequel se déploie le générique en lettres jaunes – est celui d’un pare-brise sur lequel reposent des pieds féminins. Pieds et pare-brise c’est quasi le programme du film : Une jambe est rompue par un pare-brise au mitan ; quant à Zoé Bell (qui était la doublure d’Uma Thurman dans Kill Bill) elle aura les pieds sur le pare-brise au moment le plus embarrassant pour elle de la course poursuite entre les deux Dodge. Le film, par ailleurs, se clôt, sur un coup de talon dans la gueule. Mais il y a d’autres instants fétichistes. Tarantino s’amuse beaucoup. Il y a ce fameux plan de contre-plongée dans le coffre d’une voiture, on y évoque les habituelles cigarettes Red Apple, on y entend une musique de Kill Bill en guise de sonnerie de téléphone, et on y parle de Big Kahuna Burger. Il y a surtout ces dialogues, aussi vains qu’interminables et c’est peut-être là-dessus que la force tarantinienne s’est soit quelque peu effilochée – On préfèrera n’importe quelle discussion de Reservoir dogs ou Pulp fiction – soit légèrement déplacée, vers quelque chose de plus ténue, moins tape à l’œil, qu’il utilisera magistralement dans Les huit salopards.
Mais il y a une idée forte. Le fait que le film opère une sorte de reset inattendu – comme si ce n’était pas son programme, comme si son méchant avait réussi à briser ce programme : Difficile de ne pas penser au Psychose, d’Hitchcock – crée un film-double, une sorte de film-miroir façon Une sale histoire, de Jean Eustache, dans le même ordre, avec le réel (le document) qui supplante la fiction ; Les doublures qui remplacent et vengent les personnages. C’est en somme l’inverse du dispositif de son dernier film où la fiction pourra se permettre de venger le réel – Même si l’idée que Tarantino offre un vrai rôle, un vrai visage à sa cascadeuse est déjà là-aussi une revanche sur le réel. On peut donc considérer que c’est un autre film qui commence au mitan. Mais on peut aussi se dire que ces nouveaux personnages sont les doublures des premières, plus dingues, plus volontaires, moins insupportables aussi : La discussion est plus jouissive, étant donné qu’on y parle de Vanishing point et qu’il est question de trouver le vendeur d’une réplique de la Dodge Challenger conduite par Kowalski. Mais pour entrer dans ce nouveau film, la cassure est brutale, un sommet d’ellipse radicale (avant celle d’Once upon a time in…Hollywood) dans l’œuvre de Tarantino au point que la collision de voitures en point d’orgue de la première se vit quatre fois, afin de montrer la mort des quatre filles. La transition se jouera sur une discussion entre deux flics, complètement inutile puisqu’on ne les reverra jamais. On peut donc y voir deux films en un seul, comme un dyptique au sein d’un dyptique, en fait, avec un méchant qui gagne puis qui perd. Mais cette idée de réel qui rattrape la fiction – avec des filles qui veulent retrouver la voiture d’un film – me plait davantage.