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Archives pour 26 septembre, 2019

Frankie – Ira Sachs – 2019

16. Frankie - Ira Sachs - 2019Togetherness.

   7.5   Quatrième film que je voie d’Ira Sachs, cinéaste essentiel à mes yeux. J’en avais peur pour plein de raisons : Isabelle Hupert d’abord, qui est tellement partout qu’on a peur de ne plus voir le personnage qu’elle incarne mais Hupert elle-même, et c’est justement là-dessus que va jouer Sachs, non pas en la faisant jouer madame-tout-le-monde mais sur le fait qu’elle est une star mondiale française (une variation d’elle-même en somme) dans un moment crucial de son existence, en allant gratter la surface, briser son statut et trouver une gravité que pour être honnête je n’avais jamais vu chez Hupert. C’est très fort. L’autre crainte majeure c’était de voir Sachs quitter New York et choisir le Portugal. Mais là aussi ça rend son film puissant puisqu’il choisit Sintra, autrement un lieu hors du temps, il filme Sintra, ses rues piétonnes, sa forêt, ses plages, ses collines, un peu comme Rohmer filmait Annecy dans Le genou de Claire, ou plus récemment comme Mia Hansen-Love filmait Bombay dans Maya – Et là je me souviens que la dernière fois que j’ai adoré Hupert, c’était dans L’avenir, de Mia Hansen-Love. Sintra devient un lieu de vie et de mort, de rencontres et de souvenirs, dans un conte de marivaudages multigénérationnels. Et là il y a autre chose qui moi me rappelle le Guédiguian des Neiges du Kilimandjaro, c’est sa faculté à filmer chaque personnage, dans cette famille mais aussi ceux qui gravitent autour, ce guide, cet adolescent, cette vieille femme, la douceur avec laquelle il leur dresse un portrait bref mais ample, c’est très émouvant. Bref c’est un beau film, d’une délicatesse infinie, un beau portrait de famille disloquée, famille de sang, famille par alliance, famille de cinéma, réunie par l’imminence de la mort. C’est tellement beau à en pleurer qu’on en oublie la dimension bourgeoise de ses intrigues de petites vanités et d’héritage. Cet écrin gentiment snob me pose un peu problème, quand même. Me touche moins que ceux dans lesquels évoluaient Keep the lights on, Love is strange ou Brooklyn village, disons. Quelque chose s’est un peu perdu en route, j’ai l’impression : sans doute qu’Ira Sachs s’est lui-même un peu embourgeoisé. Qu’importe, c’est bouleversant quand même, parce que les dialogues sont puissants, l’interprétation irréprochable (Marisa Tomei en tête, déjà géniale dans Love is strange), sa tendresse globale pour les vieux, les jeunes (Ces merveilleuses séquences dans le tramway), les amoureux déçus et les ambitions nouvelles est contagieuse, les échos et variations d’un « couple » à l’autre hyper subtiles, et chaque plan est à sa place, à la bonne distance. C’est un Cemetery of splendour bourgeois et à l’américaine certes, mais c’est déjà beaucoup. Et puis le dernier plan est l’un des plus beaux « plans suspendus » vus depuis longtemps.

Si Beale Street pouvait parler (If Beale Street could talk) – Barry Jenkins – 2019

14. Si Beale Street pouvait parler - If Beale Street could talk - Barry Jenkins - 2019Les amants crucifiés.

   7.0   Je ne connais pas l’œuvre de James Baldwin sinon par l’adaptation cinéma signée Raoul Peck, de I am not your negro, très beau doc sur la lutte pour les droits civiques. Mais toujours est-il qu’il y a une puissance dans ce titre et les quelques phrases extirpées du livre servies en carton introductif qui proposent d’emblée d’être la voix d’un héritage : dans un voyage charnel visiter les méandres d’une ville et de sa communauté noire, recroquevillées contre le racisme du monde.

     Quoi de mieux qu’une histoire d’amour pure, jusqu’au-boutiste, contrariée par une injustice raciale pour servir d’écrin mélodramatique et capter les sensations les plus extrêmes et opposées ? Quoi de mieux que l’imminence d’une naissance et une fausse accusation pour faire cohabiter ces deux forces émotionnelles ?

     Le film se déroule dans les années 70 au cœur de Harlem mais l’on ne verra quasi rien des rues ni du bruit que Baldwin promet en incipit. Ce qui intéresse Jenkins c’est de coller sa caméra sur ses personnages, sur « Tish & Fonny » ce jeune couple avant le drame, puis sur Tish et sa famille, à l’image de cette longue séquence où elle leur annonce qu’elle est enceinte. De la même manière quand sa maman file à Porto Rico pour rencontrer la femme violée qui accusa Fonny, la caméra reste suspendue au visage de Regina King. C’est pareil pour toutes les scènes de parloir : Les visages de Tish et Fonny sont cadrés ensemble dans le même plan ou en champ contrechamp très frontal suivant ce que la mise en scène raconte à cet instant du récit. Les visages sont la lumière ici, ils relèguent sans cesse tout le reste dans le flou.

     C’était déjà le cas dans Moonlight, Jenkins se laisse parfois aller à une caricature appuyée, ici ce sera évidemment l’apparition du flic blanc, beauf raciste irrécupérable qui aurait eu amplement sa place dans l’arrestation de l’Algiers motel contée par Bigelow dans son Detroit. Mais d’un autre côté, il y a des instants plus surprenants et détachés à l’image de la visite du loft. Il y a des partis pris, pareil pour la musique. Elle peut être embarrassante, mais il me semble que la musique de Nicholas Britell, faite de cordes et vibraphone, joue un rôle essentiel là-dedans, en accompagnant la tonalité romanesque et la dimension ouatée de chaque scène.

     Si l’on songe évidemment à Wong Kar-Wai, tant on y retrouve un peu des couleurs, des sons, des textures qui faisaient la peinture puissante mais parfois lourde de 2046 ou In the mood for love, ce formalisme appuyé évoque aussi beaucoup les films de Steve McQueen, Hunger et Shame, dans la mesure où Jenkins est capable d’étirer la séquence pour capter toutes les forces vives qui s’y logent, faire naître une émotion inattendue et/ou provoquer une sorte de magie de l’engourdissement, une suspension telle qu’elle nous fait parfois oublier la trame centrale. La discussion avec l’ami qui sort tout juste de prison (pour une injustice) agit en ce sens : On se détache du mélo pour y replonger pleinement. La série de Donald Glover, Atlanta, sait parfois utiliser ce type de procédé, mais à l’échelle d’un film c’est déjà plus rare.

     Mais si If Beale street could talk évoque une autre série c’est peut-être davantage The night of, cette merveille absolue, avec John Turturro et Riz Ahmed. En effet si Beale street pouvait parler, autrement dit si toutes les cartes pouvaient être jouées, on lèverait vite un semblant de vérité sur cette fameuse nuit où des flics poussèrent une victime à identifier le violeur qu’ils souhaitaient qu’elle identifie. Et Fonny continuerait de faire rire Tish et verrait chaque jour grandir son petit garçon autrement que durant ses permis de visite. Le dernier plan laisse sur le carreau.


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