Irréparable.
8.5 C’est un choc. Un choc tel qu’il me fait beaucoup regretter de l’avoir manqué en salle. A la fois c’est un film dans l’air du temps, et en même temps c’est un vrai geste de metteur en scène, qui n’évolue pas vers l’universalité et le naturalisme, finalités comme on en croise trop souvent dans le cinéma français, mais plutôt dans un fantastique doux et une temporalité difficilement identifiable. Chaque plan, leurs durées, les glissements, l’utilisation musicale, tout fonctionne à merveille. J’avais bien aimé le premier film de Sébastien Marnier, Irréprochable, mais là c’est un autre niveau, car là où Irréprochable faisait (trop) premier (bon) film de sortant de Fémis, il me semble que celui-ci est à la fois plus maitrisé et plus indomptable.
C’est vrai qu’il évoque plein de choses que l’on connait : On pense à L’atelier, de Cantet, dans la tentative de dialogue, de passerelle entre deux mondes. Mais aussi à Nocturama, de Bonello. Il y a quelque chose d’un peu adolescent dans le traitement de ces deux films, quelque chose de peut-être plus raccord avec l’idée que l’on peut se faire d’une « révolution de gamins » et qui moi me touche beaucoup. D’ailleurs ce qui me plait c’est que ce soit aussi un peu prévisible, au bout d’un certain moment, dans un film comme dans l’autre. On évite les twists en tout genre, il y a quelque chose de tragique, de romantique qui se joue. Marnier est moins formaliste que Bonello, mais il a du talent. Irréprochable était peut-être un peu trop vampirisé par la superbe présence de Marina Fois. Au moins Laffitte ici est assez effacé, c’est parfait.
Il y a aussi des relents de la série Ad Vitam, mais sans la dimension ouvertement anticipatoire. Sans les imposants défauts, aussi. Ils ont en commun de m’avoir quasi constamment surpris : à chaque fois que l’on craint de le voir s’enliser, il rebondit, ne s’appesantit pas sur ses références, ne les fait pas clignoter. Ce n’est pas un travail de bon élève, il y a quelque chose d’autre, de charnel et d’oppressant, qui pulse de l’intérieur et l’envoie vers des cimes inespérées. On a d’abord l’impression qu’il rejoue Le village des damnés, puis on croit finalement qu’il vise Eden lake. Mais en fait, c’est encore autre chose. Une ambiance qui impressionne, chaque plan, le jeu des gamins, le jeu des adultes, ce lieu si étrange : Province chic où tout se disloque. Quelque part on y retrouve aussi un peu de la première saison des Revenants.
Tout semble se détraquer, dans L’heure de la sortie. Quand ça n’intervient pas directement dans l’imagination / les rêves de Pierre – Une lente invasion de cafards : On ne fait pas une thèse sur Kafka sans vriller un peu vers l’entomophobie – c’est le monde, les éléments, les objets, la faune qui déraillent. Des lampadaires extérieurs qui clignotent anormalement, une pluie de grêle beaucoup trop fulgurante, des daims perdus en plein quartier résidentiel. Jusqu’à l’irrémédiable, le prophétique. Curieuse expérience que de découvrir ce film – dont je n’attendais pas grand-chose – entre deux épisodes de Chernobyl. L’assurance d’une fin de mois de juillet parfaitement déprimante.
Plus sérieusement, le film est moins déprimant qu’il n’en a l’air. Car c’est une volonté de fusion, de main-tendue qui paradoxalement joue une note d’espoir. Cette main-tendue est généré par le lien, d’abord houleux qui s’exprime entre ces élèves perturbés et leur professeur remplaçant. C’est une écoute, c’est un sauvetage puis c’est une invitation à se recueillir et affronter l’inéluctable. Mais c’est un film très pessimiste, quand même. Un film un peu sceptique quant à l’avenir de l’humanité, disons. On est loin du thriller lambda, comme Irréprochable, qui déjà était un peu malade. La beauté froide et la poésie mortifère de L’heure de la sortie évoque en premier lieu des films éminemment mélancoliques comme Mélancholia, de Lars Von Trier ou Elephant, de Gus Van Sant. Il partage d’ailleurs avec ce dernier une obsession pour des plans de ciels, avec toutefois une dimension solaire ici qui évoque moins une lumière d’été qu’une peur de l’accident nucléaire : à de nombreuses reprises, le décor d’une centrale se loge dans le cadre. On note que le personnage campé par Laurent Laffitte, le seul qui semble vraiment perturbé par l’étrangeté de ces six élèves en marge, craint d’abord d’avoir affaire à un nouveau Colombine.
Enfin, si l’on pense aussi beaucoup au Take shelter, de Jeff Nichols, c’est sans doute moins à cause de sa profonde noirceur que grâce, paradoxalement, à cette douce beauté qui le traverse, l’habite. Quand je repense au film de Jeff Nichols, c’est moins la tempête qui me vient à l’esprit que les échanges de regards entre Curtis & Samantha. Ici c’est pareil : Evidemment que l’image de la centrale nucléaire plane sur le film, mais Marnier parvient à capter une certaine douceur malgré tout. Le regard sur une amitié (Magnifique Thomas Scimeca, comme d’habitude), celui sur un désir (Gringe aussi est très bien) et bien entendu celui sur un groupe d’amis effrayés par (la fin de) l’humanité sont parmi les subtilités inattendues, et d’autant plus stimulantes, qu’on peut y déceler. La scène de danse, celle de la chorale ou celle de l’explosion impulsent un cinéma aérien, charnel, ni donneur de leçons, ni figé, jamais dans une complaisance du choc et de la souffrance. Et c’est sans nul doute ce qui lui permet d’être si dur, si définitif, si inéluctable en fin de compte. Grand film.
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