La maison des tortures.
9.0 Dès les premiers plans, Terreur aveugle annonce le giallo. Et le cinéma de Brian de Palma. Comme le premier, le fétichisme du détail – Les santiags étoilées, les mains gantées, le visage invisible – se nourri d’un savant découpage. Comme le second, l’héritage hitchcockien est évident. Et si la douche s’amuse du clin d’œil à Psychose, il y a du Frenzy (avant l’heure) dans l’air, sans doute parce qu’on est dans le Berkshire. Mais bientôt ça vire vers quelque chose de plus sale encore, tendance Massacre à la tronçonneuse. Dans la forme mais pas seulement : Incroyable de constater combien on a maintes fois copié son déroulement mais jamais sa maestria rythmique. C’est le film anxiogène ultime. Une matrice de survival.
Ainsi, Terreur aveugle lance ce sous-genre de thriller dans lequel l’héroïne souffre d’un handicap, comme le dit Nicolas Saada dans la préface de l’édition blu ray. Je ne reviens pas sur les exemples qu’il donne mais je complète par un autre tant le film m’a sans cesse rappelé un autre que j’aime beaucoup : La main sur le berceau, de Curtis Hanson. Dans ce dernier l’héroïne était asthmatique, ce qui offrait une place importante à un objet, l’inhalateur, fétiche de film d’épouvante comme un autre. On peut aussi dire que Blink, avec une Madeleine Stowe aveugle fait directement référence à Terreur aveugle mais avec nettement moins de finesse et de mise en scène, dans le peu de souvenirs que j’en ai.
C’est un film très physique parcouru de purs instants de sidération et de forts partis pris. L’un d’eux concerne la séquence pivot de l’attaque, un carnage qui restera hors champ de façon à ce qu’on reste aux côtés de Sarah – Déjà qu’on voit, nous – plutôt que dans un schéma omniscient classique avec montage alterné et autres facilités de narration. Une idée géniale parmi d’autres c’est que le film se déroule quasi exclusivement de jour. Dans la mesure où son personnage est aveugle, pour elle c’est toujours la nuit : Inutile donc de doubler l’effet. Il y a quelque chose de terrible à voir Mia Farrow (qui sort de Rosemary’s baby) à tâtons dans cette maison gigantesque aux multiples pièces, recoins, portes, bibelots. Et le film de nous familiariser d’abord avec ce lieu de façon à ce que son impact (en temps réel) dans la deuxième partie soit plus intense.
Ce qui frappe c’est le sens des détails et notamment via ces nombreuses scènes miroirs : L’arrivée de Sarah lorsqu’elle bute sur la colonne du hall d’escalier, derrière laquelle elle se cachera plus tard pour échapper à l’agresseur ; l’oncle qui dit de faire attention à la porte de la cave dans laquelle elle échouera aussi un moment donné ; les plans sur la gourmette du tueur, sur les éclats de verre dans la cuisine, qui évidemment auront une importance conséquente par la suite. L’escapade romantique à cheval – qui déjà résonne avec son accident d’équitation qui a provoqué sa cécité – permet elle aussi une scène miroir tout en tension un peu plus tard. Mais déjà cette scène détachée est en rupture, perturbée par les éléments et la mise en scène : Le temps se gâte, les feuilles et les branches saturent chaque plan.
Le retour de Sarah marque le vrai tour de force du film, un interminable monstre d’angoisse, par ses pesants silences, sa gestion de l’espace, sa découpe des plans. Un homme sans visage d’un côté, invisible, introuvable, endormi ; une fille aveugle de l’autre, insouciante, qui croit que sa famille dort. Mia Farrow navigue entre les bouts de verre, tondeuse égarée, bijou perdu et les cadavres éparpillés sans se rendre compte de rien. L’apparition du premier corps, Sandy, sa sœur, provoque un frisson absolu. Le second c’est quand elle bute sur le jardinier, rescapé mourant. Le plus beau jump scare de cinéma ?
La découpe des plans impressionne : Aux gros plans, zooms et décadrages violents dès qu’on se trouve en présence du tueur répondent une composition plus douce, plus classique mais très élaborée aussi, en compagnie de la jeune femme. Mais dès que les deux mondes se rencontrent la mise en scène de l’un contamine l’autre : Le film sera tendu, sec jusqu’au bout. Son héroïne s’ouvre le pied, tombe dans les escaliers, se prend des branches d’arbre dans la gueule, se retrouve enfermée dans une cabane isolée, se perd dans la glaise. C’est insoutenable.
S’il y a pourtant des indices quant à l’identité du tueur qui semble connu de tous – Le barman qui lui enlève les pieds de la banquette sans rien lui dire, comme s’il était son père. Et bien entendu l’ouverture où il s’impose devant le chauffeur d’une voiture qui lui demande poliment de bouger – le film attend la dernière séquence pour le dévoiler. Peut-être que ce n’est pas ce qu’il réussit le mieux mais qu’importe, l’apparition de ce visage dans le miroir de la salle de bain et la séquence, hyper rude, de la baignoire qui s’ensuit font partie des trucs les plus crispant qu’il m’ait été donné de voir.
Au rayon des films influencés par Terreur aveugle j’en retiens essentiellement deux. La séquence chez les gitans renvoie inévitablement à Eden lake. D’autant que le prénom sur la gourmette y est (assez bien) transposé en noms de chiens sur les gamelles de croquettes. Et puis Bonnie & Clyde (le nom des chiens) c’est aussi une manière de renvoyer au Nouvel Hollywood, mouvement dans lequel Terreur aveugle mérite amplement sa place. Aussi, il est évident que La traque, de Serge Leroy, s’en inspire tant les « Help » à répétition de Mia Farrow perdue dans la glaisière évoquent ceux de Mimsy Farmer dans les marécages.