Les fugitifs – Francis Veber – 1986

05. Les fugitifs - Francis Veber - 1986« Toi ? Toi t’as pris Lucas en otage, toi ? »

   8.5   De tous les astucieux pitchs des films de Francis Veber celui-ci est probablement le plus efficace : Tandis qu’il sort de prison après y avoir purgé une peine de cinq ans pour de multiples braquages de banque, Lucas est pris en otage par Pignon, père, veuf et chômeur désespéré, à l’instant où il s’apprête à ouvrir un compte. Devant l’amateurisme maladroit de ce supposé ravisseur, la police ne tarde pas à inverser leurs statuts, occasionnant une cavale aussi échevelée qu’émouvante : Jeanne, la fille de Pignon, muette depuis le décès de sa mère, devient l’enjeu majeur de cette fuite insolite.

     Après La chèvre (1981) et Les compères (1983) Veber joue une troisième (et dernière) fois de cette alliance Pierre Richard / Gérard Depardieu. Il avait déjà utilisé le premier dans Le jouet, en 1976 et il retrouvera le second dans les déjà moins salutaires Le placard (2001) et Tais-toi (2003). Mais ce duo qui m’est infiniment cher, tant il a traversé mon enfance – Difficile d’estimer combien de fois j’ai pu regarder chacun de ces trois films – aura indiscutablement permis à l’auteur de déployer ses meilleures inspirations, en plus d’offrir ce qui restera comme les plus beaux buddy-movie made in France.

     C’est aussi la kyrielle d’interprétations secondaires qui fait la pleine réussite des films de Francis Veber et de cet opus tout particulièrement : Jean Carmet, Jean Benguigui et Maurice Barrier y sont d’excellents Monsieur Martin, Labib et Duroc. On va mettre Michel Blanc à part puisqu’il n’est pas crédité pourtant il est absolument génial dans la peau de ce docteur bourré qui « aurait voulu faire médecin sans frontières mais qui ne supporte pas la chaleur ». Il faut voir Carmet, en sénile vétérinaire, prendre Depardieu pour un chien. Entendre Benguigui dire, en voyant la photo d’identité de Pierre Richard « T’es beau là-dessus, on dirait un soleil ».

     Si je mets de côté le bouleversant final de La chèvre, Les fugitifs est sans doute le plus émouvant des films de Francis Veber. La scène pivot sur les quais lorsque Jeanne lâche le fameux « T’en va pas » à Lucas et la discussion qui s’ensuit accompagnée de la musique de Vladimir Cosma – probablement son thème le plus beau, d’une infinie tendresse – fait partie des grands moments de chiale de mon enfance. Le pisse-froid y verra peut-être du dégoulinant pathos à renfort de minois de petite fille, mais ce serait oublier à quel point Jeanne et son mutisme traumatique sont le point névralgique du film, son point d’ancrage – Ce qui pousse Pignon au braquage, dans un élan de désoeuvrement – et son point d’arrivée : C’est Lucas qui lui redonne la parole, en somme.

     Si l’ex-braqueur / taulard devient cet ange qui guérit cette innocente petite fille, en lui rendant la parole, le sourire, les larmes et bientôt la détermination, il faut que le film choisisse lui aussi d’effectuer un virage brutal. Ce virage – qui sépare momentanément Pignon & Lucas et place Jeanne à l’assistance publique – pouvait briser la malicieuse dynamique du film, mais il va rebondir, s’en servir pour reprendre une complicité magnifique (« Comme tout est si simple, avec vous » se ravit Pignon, un moment donné) et une cavale à contretemps assez bien pensée, même si elle aurait probablement mérité un traitement un peu plus rigoureux sur ses dix dernières minutes – La feinte de la grossesse, la perruque, c’est sans doute un peu trop facile et bâclé.

     Néanmoins, Les fugitifs s’en va comme s’en allait les deux autres films, sur un happy-end décalé, puisqu’il s’agit là d’en faire l’apologie du mariage pour tous avant l’heure. C’est un joli prolongement aux deux autres films, en somme, tant ils se terminent de façon similaire et c’est une fin très cohérente au regard du récit. Car il faut se rappeler d’une scène importante durant laquelle Lucas, blessé, échappe à un policier et se recueille dans un squat, suivi par la petite fille. Une scène qui ouvre la voie à une partie plus tendre, celle qui verra Jeanne s’attacher à lui, le prendre comme une mère ou un père. Car c’est de la cela dont il s’agit : Son vrai père dans son rôle éminemment sacrificiel incarne deux rôles, paternel et maternel, par la force cruelle des choses. Si le récit finit par le travestir (pour le faire passer la frontière) ce n’est pas gratuit, tant Jeanne, qui parle à nouveau, retrouve cet équilibre de traverser les épreuves avec les deux entités distinctes que forment une mère et un père.

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