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Archives pour 25 octobre, 2019

A.I. Intelligence artificielle (Artificial Intelligence) – Steven Spielberg – 2001

2165841 A.I. - Künstliche IntelligenzL’empire de l’amour.

   9.0   Il s’agit sans doute de l’un des projets les plus fous et ambitieux de Spielberg. Un film récupéré d’une idée de Kubrick que celui-ci développe alors depuis presque vingt ans. Une version alambiquée et moderne de Pinocchio dont l’auteur d’Eyes Wide Shut, préférant la produire, va léguer la réalisation à son disciple, avant de la reprendre – Spielberg étant beaucoup trop impressionné par le bébé – puis finalement lui laisser, par la force des choses : en mourant. Pour le spectateur, A.I. supporte une double casquette aussi imposante qu’excitante. Le fruit d’une curieuse alliance entre le pessimisme kubrickien et l’optimisme spielbergien, entre l’univers de l’auteur craint du public mais respecté par la presse, et celui de l’auteur adoré du public mais qui encore à l’époque était moqué par les « professionnels de la profession » comme dirait Godard.

     C’est une histoire terrible. Découpée en trois parties. La première raconte celle d’un robot, le tout premier, qui accède à l’état d’enfant, capable donc d’aimer sa mère, mais qui se heurte au désamour d’icelle qui continue de le voir comme un robot. La scène de l’abandon dans la forêt est un déchirement absolu : L’une des scènes les plus tristes de tout le cinéma de Spielberg. Cette forêt c’est aussi celle d’E.T. dans laquelle là aussi naissait systématiquement le danger. C’est la forêt de Blanche Neige, en somme. Une séquence d’abandon précédée par une musique plutôt étrange, anormale comparée à ce qui précédait, car c’est une vraie musique de danger, une musique qui fait sens, calquée ou presque sur celle de Jaws. On n’est pas du tout dans un conte de fées : Quelque part, Spielberg nous prépare déjà à La guerre des mondes.

     La seconde le suit dans sa découverte du monde. « I’m sorry I didn’t tell you about the world » avait prévenu « sa mère », au moment de la séparation : C’est la dernière fois qu’on la verra, que David la verra, ce sont donc les derniers mots qu’elle lui transmet. Il débarque dans une casse à méchas et fait la rencontre de Gigolo Joe, un sex toy de luxe en cavale avant d’échouer dans une arène publique qui célèbre avec sauvagerie la destruction de l’artificiel. Ses émotions palpables lui valent alors d’être confondu avec un petit garçon. Ça tombe bien puisque David s’identifie à l’histoire de ce pantin qui veut s’émanciper et devenir un petit garçon. Pinocchio, cette histoire que sa mère lui racontait. Lui aussi cherche sa fée bleue, mais il va encore échouer et comprendre qu’on n’échappe pas à son destin et va se retrouver non pas dans le ventre d’une baleine mais dans les entrailles d’un amphibicoptère, devant une fée de pacotille, apparemment pour l’éternité.

     Une troisième partie se joue deux millénaires plus tard. Ce n’est pas un os qui se transforme en vaisseau spatial mais en un sens, on songe à 2001, l’odyssée de l’espace, puisque on a quitté David, robot prototype pour retrouver sa version définitive. L’ellipse est puissante. Et là on se souvient du plan de la première apparition de David qui fait écho à la troisième partie, tant la silhouette élancée dans laquelle il apparait au moyen d’un jeu de focales, ressemble évidemment aux silhouettes des Mécha aux deux mille années d’évolution. David est leur version béta en plus d’être celui qui bientôt leur servira de passerelle, entre la connaissance des derniers êtres humains et des robots derniers cri.

     Halley Joel Osment qui aura donc joué dans Sixième sens et A.I. est génial. Hyper flippant, hyper touchant, avec ses yeux qui ne clignent jamais, sa démarche étrange, sa gestuelle décalée, son timbre de voix monotone qui brusquement peut grimper dans l’émotion : Une crise de larmes ici, mais aussi un fou rire si malaisant qu’il en devient terrifiant là. C’est aussi l’histoire de cet enfant, ce qui le mène à son rejet par son monde – sa mère, son père, son frère – puisque sa volonté de mimétisme et d’intégration n’est pas aboutie, capable de surprendre sa mère dans les toilettes en pensant qu’elle joue à cache-cache, ou d’aller contre sa nature et dans une lettre, dénigrer Teddy, le nounours-robot et vanter son amour pour son frère, tout simplement parce qu’il souhaite qu’on l’aime comme l’est son frère.

     Il y a un nombre de correspondances bouleversantes, avec le film lui-même autant qu’avec l’œuvre spielbergienne toute entière. Par exemple, l’image de cet enfant dans le coma enfermé derrière une glace fait écho à celle de David qui à la fin se trouve enfermé dans la glace, dans un vaisseau qui prend à la fois l’apparence d’un cercueil et d’un berceau. Et une autre, qui agit vers l’avenir, vers Minority Report, à savoir celle où David est laissé au fond de la piscine et qui fait écho à la disparition du fils de Tom Cruise après leur concours d’apnée. Il y a aussi une forte utilisation des reflets dans le film. Mais un reflet attire davantage attention que les autres, sans doute parce qu’il se situe à l’instant de la scène la plus traumatisante, c’est celle où l’on voit David, s’éloigner à travers le rétroviseur extérieur. Etrange comme c’est un plan qui rappelle Jurassic park. Spielberg s’auto-cite tellement dans A.I. qu’on peut le voir comme une appropriation forcée du matériau de Kubrick, néanmoins ces citations sont tellement discrètes et puissantes qu’elles ne sont jamais de trop. Le plan de la mère discutant avec David devant le halo lumineux produit par la fenêtre renvoie forcément à celui entre Eliott et E.T. dans la chambre d’Eliott. Si E.T. contait l’histoire d’un enfant en quête d’un père, A.I. serait plutôt celle d’un enfant en quête d’une mère. Par ailleurs, là aussi le rôle du père est aussi fondamental que problématique : C’est lui qui prend l’initiative de rapporter David à la maison mais c’est la mère qui l’active et surtout le père disparait de cette bulle de bonheur qu’il promettait initialement, il est parfois là comme dans les scènes de diner – contrairement à celui d’Eliott qui s’est tiré au Mexique – mais il y a toujours un détachement émotionnel chez lui qu’il n’y a pas chez la mère.

     Mes souvenirs du film étaient tellement flous que j’en avais complètement oublié cette fin. Une scène finale absolument déchirante, sorte de happy end qui n’en est pas vraiment un puisque David va choisir de mourir en se contentant d’avoir passé une journée aux côtés de sa mère, qui n’en a fondamentalement pas conscience puisqu’elle est recrée par les robots au moyen des souvenirs de David. C’est elle qui devient l’illusion en soi et David celui en quête d’amour : Aboutissement de son devenir humain qu’il convoitait tant, en somme. Une fin qui fait écho à la séquence de l’abandon, puisque la mère promettait à David que cette journée serait leur journée.

     Bref, c’est loin d’être un film pour enfants, non seulement pour ce que ça raconte tant c’est l’un des films les plus sombres de Spielberg, mais aussi par les moyens qu’il utilise, qu’il s’agisse de ce plan horrifique où le visage de David se déforme à l’instant où son système se disloque quand il veut manger des épinards comme son « frère » ou bien entendu de cette scène d’abandon dans les bois, avec ce mélange de cris de l’enfant et des larmes de la mère. Mais il suffit de revoir la longue séquence de la flesh fair, véritable corrida avec des robots, qu’on détruit à l’acide ou à l’explosif, tant c’est une sorte de croisement improbable entre Rollerball et Mad Max. Ou tout simplement cette image de charnier de robots disloqués. Franchement, va montrer ça à ton gamin. Bon courage à lui. De toute façon, ce n’est pas un film particulièrement aimable. Et ça tombe bien puisque c’est ce dont il raconte : La trajectoire déglinguée d’un garçon qui cherche à être aimé.


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