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Archives pour 26 octobre, 2019

Ad Astra – James Gray – 2019

28. Ad Astra - James Gray - 2019Vers Neptune et au-delà.

   8.0   J’ai d’abord trouvé que le film perdait en émotion ce qu’il emportait en sidération. Si camouflée soit-elle, cette émotion vient gagner le visage de Roy mais elle ne transparait pas si facilement – C’est un tel monolithe de froideur, de calme à toute épreuve : C’est sa grande qualité dans le métier – mais j’ai l’impression que c’est un passage obligé, la convergence d’un scénario trop bâti : Une larme sur un visage en plongée, un cri sourd à l’intérieur d’un scaphandre. Roy est un enfant-monstre, un cœur qui ne s’emballe pas – On apprend qu’il n’a jamais dépassé les 80bpm, même en situation dangereuse : La sublime séquence introductive sert admirablement d’exemple – pourtant c’est de ce cœur dont il est question, puisque ses pensées nous sont partagées, dans une voix off qui fait office de thérapie : Il évoque sa passion pour l’aventure spatiale, ainsi que sa relation amoureuse sacrifiée, l’admiration pour son père, mais aussi le manque de ce père.

     En effet, la sidération est plus franche, dans Ad astra. Elle intervient notamment dans l’agencement même du voyage, ce curieux spatial trip de la Terre à Neptune, en passant par la Lune et Mars, tristes escales, consuméristes ou lugubres, dangereuses ou dévitalisées. Mais aussi lors de scènes très surprenantes comme l’accident initial (qui évoque Gravity) conclu par une chute libre qui rappelle First man. Il y a, bien entendu, la scène des singes dans le vaisseau abandonné (On pense alors aux chiens dans le High life de Claire Denis) ; Celle de la course-poursuite avec les pirates sur le sol lunaire, qui convoque aussi bien Mad Max que ce monument de course-poursuite de bagnoles, livré dans un brouhaha de pluie et d’essuie-glaces, dans La nuit nous appartient ; Sans parler de la traversée magique dans le lac martien. Aussi programmatique soit le film, voilà des saillies sublimes qu’on n’avait pas anticipées.

     Ceci étant, on peut justement être gêné par sa dimension programmatique. Et cheap. C’est vrai, Neptune est en carton-pâte : Il est même possible d’y traverser son anneau d’astéroïdes avec une simple plaque de ferraille en guise de bouclier. Mais d’une part, j’ai trouvé ça très beau, moi, le rythme, le vide, les couleurs, Brad Pitt, rien que la première scène sur la station spatiale et la chute libre qui suit, c’est somptueux. Plus poétique que réaliste, sans doute. Mais l’Espace est un lieu qui m’apparait tellement abstrait que je peux tout encaisser, du grandiose et du rudimentaire, des saillies invraisemblables ou des trucs totalement abstraits : Une poursuite lunaire ici, un décollage sans cockpit (Seul sur Mars) ou une planète qui produit des lames de fond (Interstellar) pour citer d’autres films du genre. Même un film comme Passengers, film purement véhiculé par ses stars qui mise davantage sur le divertissement sans risque, peut me séduire, justement parce qu’il y a ce décor, cette abstraction.

     Et d’autre part c’est raccord : Ce n’est pas le sujet du film, que de faire du système solaire un ensemble réaliste. Le sujet est le même que son précédent film, The lost city of Z : Il s’agit de s’enfoncer dans les ténèbres de l’Espace comme on s’enfonçait dans celles de la jungle. Il faut moins revoir Alien qu’Apocalypse now, il me semble. C’est exactement le même film : Si Kurtz faisait office de père spirituel à Willard, ici il est carrément question d’un fils à la recherche de son père. Ou plutôt : C’est l’histoire d’un homme marqué par la disparition de son père. Cette figure héroïque et absente monopolise tellement tout qu’elle empêche Roy d’exister – Et en ce sens d’être ému par lui, de nous identifier à lui : C’est un pari osé quand on y réfléchit, du même calibre que celui osé par Coppola il y a quarante ans. Roy doit tuer son père pour exister en tant qu’individu, mais pour le tuer il va devoir copier son voyage, c’est terrible.

     La grande idée, à savoir celle qui semble assez originale aujourd’hui – par rapport à ce qui se fait dans le domaine du film spatial, dans l’ère du temps depuis dix ans – mais raccord avec les thématiques de son auteur, c’est donc la dimension père-fils de cette quête. On attendait une intelligence extra-terrestre mais le film s’en va, de façon forcément déceptive, mais carrément bouleversante, en nous disant qu’il n’y a que nous dans l’univers connu. L’extraterrestre n’a pas sa place dans le récit, puisque cet extraterrestre c’est le père. Car évidemment, c’est une quête du père qui devient aussi celle de soi. L’héritage formel est aussi malickien, tant il s’agit de faire vivre les images et le voyage au travers d’un monologue existentialiste. Si les seconds rôles s’avèrent génériques, c’est uniquement pour ne pas obscurcir la place prépondérante de Roy. Tout fait sens. C’est brutal, hermétique, nébuleux certes mais ça fait sens.

     Mes réserves, si toutefois ce sont des réserves, concernent la froideur de l’ensemble, aussi bien dans le déroulement du voyage que dans l’approche du personnage, ce qu’il raconte de son histoire d’amour, de son père. Tout est froid. Les retrouvailles elles-mêmes seront très froides. Mais c’est d’une telle cohérence globale, que ça gêne moins que ça impressionne, in fine : Roy est seul avec son cœur au ralenti, et son père a tellement vécu dans son rêve de rencontrer des extraterrestres qu’il n’est pas plus ému que cela de le retrouver. Ils vont donc se revoir à l’autre bout du système solaire, dans les ténèbres. Restait à découvrir comment Gray allait boucler ça. Le Gray de Little Odessa aurait fait crever Roy là-bas. Il choisit finalement de le faire revenir, seul, délesté du poids héroïque et assassin du père. Une fin optimiste ? Encore faut-il accepter qu’il va vivre correctement avec l’idée qu’on est seul dans l’univers, que son père est mort et qu’il a dû tuer des innocents pour le retrouver, mais c’est une autre histoire. Cette même autre histoire qui bouclait les retrouvailles en demi-teintes de Two lovers.

     Difficile d’être véritablement objectif sur Ad astra, tant j’y retrouve aussi bien ce qui me plait dans les nombreux films spatiaux que ce qui me chavire dans le cinéma de James Gray. Car c’est bien simple, j’aime Tous les films de James Gray. Les sept. Sans doute parce qu’ils se ressemblent tous, d’ailleurs. Je m’y retrouve à chaque fois ; mieux : Je Le retrouve à chaque fois. Lui que j’aimais tant voir ancré dans un univers urbain, voilà qu’il voyage en forêt, avec The lost city of Z, puis dans l’Espace, avec Ad astra. Pourtant, ça reste du pur James Gray. Avec une structure qui rappelle beaucoup Apocalypse now, où la frontière cambodgienne est remplacée ici par une cité amazonienne perdue, là par Neptune, où le colonel Kurtz se substitue au père, purement et simplement. Une filmographie qui prend un tournant à la fois logique et imprévu, ça me plait. 


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