La lumière du doute.
7.5 C’est un film sur le doute. Sur la victoire du doute sur l’incrimination par intime conviction. Sur l’intime conviction qu’en l’absence de preuves, la vraie justice c’est le doute. Sur un personnage qui devient ce qu’elle combat, dès l’instant qu’elle accuse au lieu de défendre. Ne serait-ce que sur cette matière plurielle et complexe, Une intime conviction, d’Antoine Raimbault fascine, impressionne. Ce n’est pas juste un Faites entrer l’accusé transposé sur grand écran. C’est un beau film sur les valeurs de la justice, un film aussi bien héritier de Cayatte que de Douze hommes en colère.
Mais une autre idée, peut-être la plus importante, la plus personnelle et qui permet d’obtenir la bonne distance face aux faits, c’est son intérêt de créer une partie fictionnelle par l’intermédiaire du personnage de Nora. C’est un personnage qui n’existe pas du tout mais qu’on voit comme la combinaison de plein d’autres et notamment de rencontres effectuées par Antoine Raimbault lorsqu’il s’intéresse de prêt à cette affaire. Sauf que c’est évidemment bien plus que cela : Nora, c’est l’auteur. Nora, c’est le spectateur. Elle représente autant ses questionnements (à Antoine Raimbault, qui depuis l’appel, connaît les moindres secousses de ce procès, a pleinement conscience de ses zones de mystères) que les nôtres : Ce piège de la soif de vérité.
Car ces questionnements parfois, se transforment en obsession. « J’ai fait de mon obsession pour l’affaire une obsession de cinéma, qui a engendré un personnage obsessionnel » a déclaré l’auteur. L’obsession de Nora (brillamment incarnée par l’extraordinaire Marina Fois) fait carrément flipper. Son évolution est passionnante car elle est d’abord, en ancienne jurée, persuadée de l’innocence de Jacques Viguier, avant de se persuader de la culpabilité de l’amant de Suzanne Viguier. Le film ira jusqu’au bout à son égard, jusqu’à la déshumaniser totalement quand son appétit de justice devient de l’acharnement à trouver le coupable, jusqu’à ce qu’elle devienne le miroir de l’instruction à charge. Il la déshumanise pour la lâcher au profit de l’avocat Dupont-Moretti en l’accompagnant dans sa dernière plaidoirie, magnifique, la fameuse dans laquelle il parle d’un procès qui est devenue le « Concours Lépine de l’hypothèse ».
On se souvient au début du film, lorsque le procureur mettait en parallèle cette affaire avec le cinéma d’Hitchcock : Il y avait un double sens, puisque Viguier est un éminent cinéphile mais aussi parce que le public pouvait projeter tous ses fantasmes de récits hitchcockiens sur cette affaire. Alors, c’est plutôt Une femme disparait ou Le faux coupable ? Et si c’était Le crime était presque parfait, hein ? Qu’importe la véracité de l’utilisation, cette plaidoirie permet aussi à Antoine Raimbault de jouer de la mise en abyme, du plaisir méta à générer de la matière cinématographique, de raconter sa fascination pour la dramaturgie hitchcockienne doublé de son amour pour les films de procès.
Le film prend plein de risques, joue d’audacieux parti-pris, parfois visibles, parfois non. Ainsi, il utilise le vrai dessin des enfants, par exemple. Il choisit de ne jamais aller du côté des jurés. Il prend Laurent Lucas pour incarner Jacques Viguier, choix aussi casse-gueule qu’il est réussi, tant cet acteur exacerbe ce doute, représente à travers ses rôles antérieurs la pure ordure autant que la victime la plus « normale ». Une sorte de Henry Fonda d’aujourd’hui. Et là il est opaque, imperceptible, paumé. Comme Viguier l’était et il l’incarne à merveille. Bref, c’est un excellent premier film, hyper ambitieux.