Moteurs, passion.
8.5 Carroll Shelby, un ancien vainqueur des vingt-quatre heures du Mans (l’édition 1959) reconverti, suite à des problèmes cardiaques, en concepteur de voitures de courses, se voit embauché par Ford qui souhaite marcher sur les plates-bandes de Ferrari, via la course automobile en général, mais surtout sur l’emblématique circuit français régulièrement brigué par l’écurie de Modène.
Pour se faire, Shelby, la légende texane au stetson, veut prendre Ken Miles, l’inconnu british au chapeau de paille, comme pilote : Un beatnik bourru et incontrôlable, mais brillant et passionné, ce qui n’est pas du goût des dirigeants qui, au volant de la GT40, leur nouveau bolide, lui préfère un pilote ayant l’esprit Ford.
Le Mans 66 c’est l’histoire de ces affrontements, entre Ford et Ferrari (comme le stipule le titre original), entre ceux qui mettent les mains dans le cambouis et ceux qui portent des costards, entre Mangold l’artisan et la machinerie Disney. Il y a en effet une vraie métaphore de l’industrie hollywoodienne et une mise en abyme sur le métier de cinéaste. Sur la liberté de pouvoir faire un film loin des diktats des studios, comme Miles & Shelby souhaitent faire leurs courses loin des constructeurs.
Avant d’être un grand film hawskien, une miette sublime de l’âge d’or hollywoodien, Le Mans 66 est un film très accueillant. En effet, nul besoin de connaître ni d’aimer son univers pour s’y plonger avec passion. Au point que les faits réels, on les oublie – Ce qui était moins le cas des chouettes films (de voitures) qu’étaient Rush et Senna, chacun dans leur genre : Le Mans 66 fonctionne surtout car tous ses personnages sont passionnants et que la part de fiction (la relation avec le fiston notamment) est sans nul doute ce qu’il a de plus émouvant à offrir.
Et le film a beau se situer du côté de Ford, pour coller aux basques de son tandem, les dirigeants sont aussi caricaturaux ici que ceux de chez Ferrari, qui, sans surprise respirent la famille de la mafia. Par ailleurs, il y a ce subtil geste final – le dirigeant de l’écurie adverse qui tire son discret chapeau à Ken Miles qui le remercie d’un tout aussi discret acquiescement – qui laisse le film du côté des passionnés, du côté de ceux qui aiment les voitures et les pilotes et non de ces businessmen qui rêve de gloire et vadrouillent en hélicoptère. Il en ressort un film moins patriotique que désillusionné.
Le Mans 66 est double, donc passionnant. Tout d’abord c’est un film absolument parfait dans son genre qu’est celui du film automobile. Une sorte de divertissement haut de gamme comme je rêve d’en voir tous les week-ends, avec ce qu’il faut d’action et d’émotion, d’intime et de spectaculaire, de classicisme narratif et d’élégance virile. A ce titre, avec leur cabotinage parfait, Christian Bale & Matt Damon forment un duo des plus savoureux. Et visuellement le film est somptueux. Partout. Durant les courses, dans les garages, sur les pistes d’entrainement. De jour, de nuit. Il ne révolutionne rien mais ce qu’il fait il le fait très bien.
Avec sa mise en scène élégante, limpide, jamais survoltée, James Mangold fait partie de ces cinéastes qui font toujours le job mais dont on oublie le nom sitôt qu’il s’agit de faire le bilan des « bons artisans à l’ancienne » d’Hollywood. Pourtant, depuis Copland jusqu’à Le Mans 66 c’est une filmo populaire assez exemplaire : Walk the line, Identity, Knight and day, Logan. Je n’ai pas tout vu – il faut notamment que je me frotte à son remake du classique de Delmer Daves – mais ces six-là me parlent déjà suffisamment. Et Le Mans 66 fait plus que me convenir : Je pense que c’est (de loin) son meilleur film. Pour sa double lecture passionnante, évidemment, mais aussi et surtout parce que j’y ai pris un pied comme rarement. Les 2h30 les plus rapides de l’année.