Brain destination.
8.0 Dans la lignée de Vingt mille lieues sous les mers, Le voyage fantastique est un autre voyage un peu à la Jules Verne. Il s’agit là aussi d’un sous-marin : le Proteus. Simplement, il ne va plus arpenter les eaux du Pacifique mais l’intérieur d’un organisme humain. Il y a quelque chose d’un épisode d’Il était une fois la vie, là-dedans. Au point que l’on se demande si la série pédagogique ne s’est pas inspirée du film pour ses dessins. Mais ici aussi, on pense à Tintin, on a marché sur la lune. Et pas seulement pour cette histoire de sabotage, mais aussi parce que c’est encore un sous-marin, bien plus petit (bien moins fascinant, c’est vrai) que le Nautilus qui sera le véhicule héros digne de la fusée rouge et blanche.
Le résumé du film m’a toujours fasciné : « Pendant la Guerre froide, les Etats-Unis et l’Union soviétique s’affrontent sur le plan scientifique. Le chercheur Jan Benes découvre une méthode permettant de miniaturiser les objets pour un temps indéfini mais ce dernier est victime d’un attentat en voulant passer à l’ouest du rideau de fer. Afin de le sauver du coma dans lequel il est plongé, un groupe de scientifiques américains miniaturise un sous-marin et pénètre dans le corps de Benes pour le soigner de l’intérieur »
C’est un divertissement intelligent, très inventif visuellement et si bien écrit qu’on y croit corps et âme à ce voyage, on oublie son caractère complètement invraisemblable justement car Fleischer le traite avec beaucoup de sérieux, de passion, en faisant brillamment fonctionner le suspense lié au compte à rebours (la miniaturisation ne peut excéder soixante minutes) et au temps quasi réel de l’expédition. Et il nous convie malicieusement, entre mystère et pédagogie, au sein des merveilles que recèle le corps humain, son fonctionnement, sa complexité, sa beauté, sa richesse. Chaque région du corps est un nouveau lieu à traverser, un nouvel obstacle à franchir.
Parmi les épreuves, qui deviennent à fortiori des péripéties grandioses digne des plus grandes aventures terrestres, spatiales ou sous-marines du cinéma, il y a la traversée d’un cœur momentanément arrêté – afin d’éviter les dangereuses secousses que ses battements produisent – ou bien le réapprovisionnement périlleux d’oxygène dans le poumon, l’attaque des défenses immunitaires – qui évoquent ce que seront les attaques de piranhas dans le film de Joe Dante à venir dix ans plus tard – ou encore cet abri de fortune dans l’oreille interne.
Aussi léger soit-il, le film transporte en lui, en filigrane, l’éventualité terrifiante que ses personnages reprennent leur taille à l’intérieur du corps du savant. C’est évidemment impossible car on nous explique que dès l’instant qu’ils seraient amenés à grandir – progressivement, qui plus est – ils deviendraient alors une menace pour l’organisme qui enverrait les lymphocytes – comme il en sera ainsi du saboteur incarné par Donald Pleasance – avaler ces corps étrangers. Pas banal comme façon de mourir au cinéma. Et cette idée du réagrandissement plane sur le film, ne serait-ce que par le régulier retour du chronomètre, ce qui inéluctablement évoque cette issue horrifique.
Il faut tout de même préciser que le rythme du film est très lent, ce qui en nos temps de cinéma effréné fait presque office d’insolence mais procure surtout un bien fou. Il parait que Guillermo del Toro planche présentement sur un remake. Assez curieux de ce qu’il va en retirer, en espérant au moins qu’il ne lui administre pas un rythme et une ambiance passe-partout, car c’est moins le récit qui importe dans Le voyage fantastique que la singularité mise en scénique de ce voyage. Il y a du psychédélisme pré 2001, l’odyssée de l’espace là-dedans (le Kubrick sort quelques mois plus tard) même si sa plasticité joue plutôt dans la lignée du Bava, de La planète des vampires.
Voilà bien longtemps que j’envisageais ce double programme : Découvrir Le voyage fantastique, de Richard Fleischer puis revoir L’aventure intérieure, de Joe Dante. Inutile de préciser que ce fut une soirée assez parfaite, le panard total. Et quand bien même ces deux films ne soient pas, à mes yeux, les plus beaux de chacun des deux auteurs concernés, les appréhender coup sur coup me les rend infiniment touchants et précieux.