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Le nouveau monde (The new world) – Terrence Malick – 2006

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An apparition in the fields.

   10.0   Il y a des films dont on a l’impression qu’ils nous suivent depuis toujours et nous suivront pour toujours, sans nécessairement avoir grandi avec eux, mais en les ayant (re)découvert à un moment propice et crucial de notre vie. J’avais vu Le nouveau monde en salle, à sa sortie. Je ne l’ai pas immédiatement considéré comme je le considère aujourd’hui. Il m’a déboussolé sans que je ne sache à quel point encore à ce moment-là. Puis il s’est installé en moi, a germé dans mes souvenirs, a lentement imprégné ma mémoire, faisant converger certains événements de mon présent vers le souvenir du film, vers ce que ce souvenir m’avait laissé. J’étais passé à côté. Jeunesse, humeur, sensibilité présente, que sais-je était à l’origine de cet aveuglément. Je l’avais trouvé beau sans toutefois y déceler toute la dimension poétique, romanesque et bouleversante qui allait me frapper quelques années plus tard.

     Mon deuxième rendez-vous avec le film de Terrence Malick a changé énormément de choses. Je ne retrouvais pas la beauté hermétique qui m’avait gentiment hypnotisé la première fois, mais j’étais là, soudainement face à une forme d’absolu, quelque chose qui me tendait les bras, m’accueillait dans son monde et avait attendu ce jour pour m’étreindre. Tout ce qui m’était à priori fermé me sidérait. Tout ce qui m’avait tenu si loin me terrassait. C’est étrange la mémoire. Je me retrouve aujourd’hui, alors qu’il fait partie de mes films de chevet – et plutôt la version longue s’il fallait choisir – avec ces deux souvenirs distincts. Celui que mon regard d’antan avait assimilé à sa manière. Et celui d’aujourd’hui, probablement plus avisé, mais surtout autre, changé, qui le considère comme une merveille, le chef d’œuvre de Terrence Malick. Un chef d’œuvre tout court. La version allongée prolonge ce bonheur : Trente minutes supplémentaires qui se fondent merveilleusement dans le rythme du film, l’enrichissent sans l’alourdir. Comme si l’on retrouvait les pages manquantes d’un poème qu’on adore, c’est très émouvant.

     Il m’en faut peu dorénavant pour qu’il me catapulte dans de hautes sphères. Quelques plans et L’or du Rhin de Wagner et je suis déjà à ramasser à la petite cuillère. Inutile de préciser que la fin agit similairement, puissance dix, étant donné que le film s’ouvre et se ferme en miroir, à l’identique, en racontant chaque fois la collision et la chute des mondes avec cette musique divine qui chavire tout. Ce sont l’une des plus belles introductions et conclusion que le cinéma nous ait offert. Des envolées lyriques hors norme où image et son entrent en symbiose ultime. La terre providentielle qui accueille d’abord les corps pour ensuite rejeter une âme. La voix off chez Malick est centrale mais n’aura jamais été si prépondérante et élévatrice qu’ici, mélopée de sensations arrachées aux regards de ceux qui participent à cette révolution, la naissance de cette nouvelle Amérique. Les éléments sont invoqués dans un élan lyrique que l’on ne voit que chez Malick. L’esprit s’emplit, se vide, la terre accueille, déracine, l’eau fait naître et mourir. La jeune indienne appréhende chaque étape de son élévation avec un deuil enthousiaste, aussi bien lorsqu’elle est rejetée par les siens, perd l’être aimé, est enlevé de son territoire puis meurt.

     Que dire de plus à propos de ces cinq dernières minutes ? Qu’il s’agit, peut-être, des cinq plus belles dernières minutes de l’histoire du cinéma, à mes yeux. Avec cette sublime incantation, Malick est à son point culminant d’un point de vue vertige et sidération, il offre ce tourbillon insensé en y mettant les tripes d’un ultime poème. C’est d’abord le doux jeu de cache-cache d’une mère et son fils, entre les moutons et les feuilles mortes, mais les haies carrées ont remplacé la forêt indomptable. Puis c’est une lettre du père à ce même fils pour lui conter la mort de sa mère, qui disparait du film dans une partie de cache-cache, un vieux miroir et un contre-champ de larmes. Alors à la manière de l’esprit de cet indien sur ce fauteuil, de ce lit et de ce jardin vides, puis de cette résurrection spirituelle, le film s’élève et nous quitte, en nous laissant là où la vie, la mort, l’enfance, les cieux, les esprits, une tombe, un bateau, la terre, la mer, le soleil, un lit de rivière, des arbres convergent dans une catharsis terrassante aidé par ce crescendo wagnérien des plus sublimes.

     Le nouveau monde est un poème polyphonique. C’est presque de l’opéra. Un chant d’amour serein et douloureux entre l’intime et le cosmos. Quelque chose qui nous dépasse. Une succession de séquences jetées là dans l’infini, perdues et renouvelées en continu. A la fois dans le présent, l’histoire et le mythe. Le cinéaste semble déjà proche de l’auto caricature (il se refait son Days of heaven) et de la citation exacerbée (Wagner et le Nosferatu d’Herzog) mais il atteint là un tel sublime que son film agit moins en tant qu’œuvre d’art absolue, isolée qu’en tant que mélo lumineux, jusqu’à la surexposition, exagéré jusqu’à la sidération, parcourues de visions folles, dérives poétiques impensables. Le film d’une vie. Tellement démesuré qu’il en devient inégalable. C’est un film magnifique, absolument divin. Et d’une beauté dans chacun de ses plans, dans chacun de ses mots que je suis chaque fois surpris de le trouver au moins aussi miraculeux que la fois précédente.

 (Critique écrite le 4 janvier 2015 puis modifiée le 28 janvier 2020)

4 commentaires à “Le nouveau monde (The new world) – Terrence Malick – 2006”


  1. 0 ANNE 20 jan 2020 à 9:39

    vu hier soir à la télevision . je ne sais si c’est la version longue
    2H 15 , Musique de Mozart sublime forcément mais pas adaptée à ce film il me semble . Vos impressions sont très personnelles et un peu surprenantes car je n’ai pas la même sensibilité que vous . j’ai préféré son dernier film une  » vie cachée  » au rythme moins cahotique;

  2. 1 silencio 20 jan 2020 à 15:15

    Nos sensibilités divergent sur le cas Malick, en effet, j’essaie de parler très bientôt d’Une vie cachée, dans lequel j’aime autant de choses que je déteste.
    Concernant Le nouveau monde, difficile pour moi d’être objectif dorénavant.
    Par ailleurs c’est drôle, je l’ai revu hier soir. J’ai le Blu Ray mais c’était plus fort que moi, quand j’ai vu qu’Arte le diffusait. Et dans sa version courte. Enfin sa version cinéma. La longue dure 2h50, je vous la conseille, c’est encore plus beau, plus homogène, plus harmonieux. Bon ceci dit je comprends le terme « chaotique » pour ce film. C’est ce qui me séduit en l’occurrence.
    Il faut que j’intègre à mon commentaire des petites modifications. J’avais écris ailleurs quelques petites choses en plus et notamment un paragraphe sur les cinq dernières minutes – car c’est à mes yeux la plus belle fin de l’histoire du cinéma, pas moins ;)

  3. 2 ANNE 20 jan 2020 à 20:50

    ah ! il faut que je le revois car je ne me souviens plus de la fin ! ou plutôt si , une image d’arbre si symbolique chez Malick ?
    que veut dire une version courte ? des séquences ont été coupées par ci par là ? ce qui expliquerait cette mise en scène cahotique qui m’a souvent choquée

  4. 3 silencio 21 jan 2020 à 14:28

    L’arbre est bien entendu l’ultime image du film. Mais c’est un ensemble, c’est une partie de cache-cache entre une mère et son fils, puis la lettre nous racontant sa mort. L’assemblage d’images cher au cinéma Malickien atteint des sommets émotionnels ici à mon avis, qui plus est accompagné de L’or du Rhin, de Wagner.

    Concernant ce problème de version. Je ne suis pas certain qu’on puisse parler de « version courte » en fait puisque c’est la version qu’on a vu en salle. Mais la version longue si elle ne change pas fondamentalement le film, il est possible qu’elle brise un peu son rythme chaotique, à vrai dire je ne sais plus très bien. Je la préfère parce qu’on m’offre 30min supplémentaire de cette merveille, mais j’adore aussi les 2h15 ;)

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