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Archives pour 31 janvier, 2020

Marriage story – Noah Baumbach – 2019

1200x680_marriagestory-noahbaumbach-width_2955_height_1608_x_0_y_7Scènes de la séparation conjugale.

   9.5   Ce qui émeut tant dans la construction de Marriage story, c’est la sensation de revivre dix années de la vie d’un couple à travers le présent qui fait état de leur séparation. La surprise est instantanée puisque son titre nous conviait davantage à l’histoire d’un mariage plutôt qu’à sa dissolution. Et en ce sens, le choix d’insérer ce temps de bonheur dans un banal rendez-vous de médiation introductif qui devient vertigineux, permet au film d’annoncer son programme, sans tricher. Cette (double) lettre qui sert à lancer les hostilités sous un angle plus positif qu’agressif est aussi, paradoxalement, une magnifique déclaration d’amour mutuelle. Mais surtout elle agit sur trois temporalités de pur cinéma puisqu’elle résume, hors champ, dix ans d’une vie de couple à son spectateur – et littéralement hors champ, puisqu’elle sera finalement tenue secrète. Aussi elle témoigne de l’état d’esprit du présent : trop intime, trop gênante, elle ne sera pas dévoilée ; enfin, elle raconte l’après, l’avenir, ferme une boucle. Soit à la fois, l’amour éternel et la mort inéluctable du couple. C’est déchirant.

     Les sept premières minutes de Marriage story, le nouveau film du réalisateur new-yorkais Noah Baumbach, sont donc fondamentales tant telles condensent chacun des bouleversants échos que le film s’évertuera à disséminer au sein de la relation aussi douce que parfois tumultueuse de ce couple sur le chemin du divorce. On pense l’espace d’un instant à l’introduction de Là-haut, le dessin animé Pixar, qui se chargeait de résumer la vie entière d’un couple ou au final de La La Land qui choisissait de raconter la vie de Mia & Sebastian s’ils avaient autrement œuvré dans leurs choix. Dans chacun de ces deux films, qu’il s’agisse de la mort ou d’une séparation, on débouche sur une impasse, une vie à combler : Un film à créer ou un hors-champ à imaginer.

     Dans Marriage story, le procédé ne fait pas que résumer gratuitement une relation d’amour passée, il s’intègre dans le récit : Il s’agit en effet d’accompagner (en images), chacun leur tour, les mots de Charlie, puis ceux de Nicole, couchés sur une lettre qui recense ce qu’ils aiment (ou aimaient) chez l’autre, dans un même souffle, en vue d’introduire leur séparation par une lorgnette positive. Une idée de leur médiateur conjugal, afin qu’ils se souviennent de ce à quoi ils s’apprêtent à dire adieu. Une idée magnifique pour le film qui ne cessera de faire résonner ces mots, qu’ils gardent finalement pour eux – Car elle ne veut pas lui lire les siens. Cette inutilité narrative renforce leur statut de simples confessions aux spectateurs. C’est un pari : Dès lors, on fait aussi partie de cette histoire, de ce couple, on est un peu Nicole, on est un peu Charlie.

     C’est un inventaire aussi ludique que touchant – magistralement accompagné par les notes de Randy Newman dont la partition pour l’ensemble du film relève de la symbiose comme on en avait pas eu depuis Carter Burwell pour Carol ; Cette introduction avec ces deux morceaux qui se relaient et qui seront le socle du film tout entier, déclinés à l’infini, pour elle, pour lui, c’est absolument merveilleux. Par ces quelques mots couchés sur papier, il s’agit de piocher dans les manies de l’autre, touchantes ou agaçantes, de révéler des forces cachées, des traits de personnalités. Mais c’est un listing non exhaustif, plutôt bordélique, dont le pourquoi de l’archaïsme nous sera révélé par la nature même de cet inventaire : quelques notes sur une feuille volante.

     Et l’image appuie cette dimension arrachée : les scènes choisies ne sont pas forcément celles qu’on attend pour les illustrer. Mais en commun de ces deux troublantes déclarations, la dernière image sur les planches d’une répétition, comme si la vie n’était qu’une répétition – Difficile de ne pas penser à Bergman par moments et ce d’autant plus lors de la surimpression des deux visages se faisant face dans un fondu enchainé, rappelant Persona – ou plutôt comme si le couple prenait pleinement conscience que leur amour, leur force commune s’était brisé au même instant, évaporé sur ces planches. En cela ils fonctionnent déjà en binôme, accordé ou non, lointain ou non. Le film ne fera qu’étirer cette introduction, étirer notre empathie, étirer leur complémentarité, étirer aussi leur désaccord insoluble. Car tout est déjà brisé et à aucun instant on soupçonne que ce couple puisse renaître de cette crise. Et pourtant on les voit ensemble. On n’a vu leur amour qu’au travers d’une introduction mais on y croit en cet amour.

     J’ai bien conscience que cette introduction ne dure que quelques minutes pour un film qui s’étire sur 2h15. Mais c’est une introduction dont les échos seront permanents, continus. Sans elle, le film n’a plus le même sens, la même force. Et c’est paradoxalement en œuvrant sur un ton opposé que le film va se dévoiler : A cette caméra épaule et ses vignettes vont répondre des plans souvent fixes et de longues séquences. A l’affection sensible du temps de l’amour répond les douloureuses marques du temps des conflits. Car Marriage story est essentiellement bâti sur de longs blocs de séquences visant à saisir l’intimité pure de chacun et le crescendo qui les voit s’ébranler ou exploser. En ce sens, on pense beaucoup à Mardi, après noël, cette merveille de film roumain signé Radu Muntean, qui était aussi un grand film sur le couple et sa cassure inéluctable. Et quelque part le coup du lacet dans Marriage story rappelle celui des cadeaux dans Mardi, après noël. Le film t’abandonne aussi là-dessus, c’est beau et terrible.

     Marriage story m’a aussi beaucoup rappelé Blue valentine, le film de Derek Cianfrance, avec Michelle Williams & Ryan Gosling. Dans son utilisation des stars, notamment. Il faut tout de même dire que se côtoient ici Black Widow (Marvel) et Kylo Ren (Star Wars). Evidemment, ils ont tous deux l’habitude de faire le yoyo, il suffit de rappeler que Scarlett Johansson tournait il y a cinq ans dans Under the skin, de dire qu’Adam Driver vient de la série Girls. Mais quoiqu’il en soit, ils campent tous deux ce couple à merveille. Comme personne n’auraient pu aussi bien les incarner. Un peu comme lorsqu’on regarde Kramer vs Kramer : C’est Meryl Streep & Dustin Hoffman, il ne pouvait en être autrement. Le chef d’œuvre de Robert Benton sert évidemment de modèle, plane sans cesse sur le film de Noah Baumbach. Aussi bien dans sa façon de cueillir une émotion – parfois la plus triviale, autour d’une enveloppe ou d’une cuisson de pain perdu ; un « trick or treat » ou une cage à poule – si forte qu’elle te laisse défait, inconsolable. Ainsi que dans sa façon si singulière de filmer les intérieurs, de saisir le quotidien le plus cru.

     L’autre grande idée de Marriage Story c’est de faire naître et évoluer le conflit sur un terrain purement géographique : Une opposition entre Los Angeles et New York. Entre « l’espace » de l’un et le « magma » de l’autre. Entre la vie du couple et celle de la famille. Son espace de réussite à lui et son espace de réconfort à elle. Il y avait déjà de cela dans la fin de La La Land, de Damien Chazelle, il me semble. Et cette opposition se tient aussi dans un espace plus intime, quasi théâtral. C’est un film qui n’est jamais figé. Il y a une sacrée chorégraphie des corps à l’intérieur des plans, afin de faire vivre les personnages dans leurs moindres gestes, mouvements, déplacements, manies. Incroyable scène de l’assistante sociale, par exemple, qui est un moment très dur, angoissant, mais que Baumbach parvient à détourner en y apportant de la légèreté qui est aussi l’une des caractéristiques de Charlie, maladroit car il est terrifié. Et Baumbach étire cela, jusqu’à la rupture pure, une coupure, un bras ensanglanté masqué comme s’il s’agissait d’un banal incident. C’est à la fois génial et pathétique.

     Les séquences sont ainsi, parfois très longues. Certaines comme celle de la première rencontre entre Nicole & Nora, ou la dispute chez Charlie, s’étirent sur une dizaine de minutes. Ce qui fascine c’est moins leur durée que la vie qui habite chacune de ces scènes. C’est très écrit, bien entendu, mais ce n’est pas juste des mots : Les corps se déplacent constamment. Nicole va se moucher puis se laver les mains – mais l’objectif reste braqué sur elle – tout en continuant de se confier à son avocate ; Charlie en profite pour faire le sac de son fils tout en montant dans les tours. Le cadre lui-même est en variation permanente : Il peut saisir l’immense espace qui sépare les corps (le salon et sa grandeur crème terrifiante) ou au contraire les enlacer (le temps d’une fermeture de portail manuelle au cours d’une panne d’électricité) comme il peut enfermer très longtemps un visage.

      Comme c’était le cas dans Kramer vs Kramer, l’enfant tient une place forte, dans Marriage story. Il est central sans qu’on le voit, il est central car c’est le point de convergence de ce mariage, ce divorce. Pour lui ils pourront toujours fermer un portail ensemble ou se nouer leurs lacets. Ce lacet c’est le lien qui résiste, qui subsiste, indéfectible. Un peu plus tôt, la lecture de la lettre de la mère, par l’enfant aidé par son père, est l’aboutissement logique et cyclique du récit et l’un des moments les plus forts vus depuis longtemps. Surtout lorsque Nicole arrive dans le fond du plan, dans le flou. Tous deux (Nicole & Charlie) sont définitivement séparés, en un sens, par l’image d’une part (Le net / le flou ; Le premier plan / l’arrière-plan) et par une cassure plus abstraite : Il ne voit pas qu’elle le voit / Elle ne lit pas sa lettre à lui. Cet équilibre tant recherché mis en œuvre chez le médiateur est alors brisé de toute part. En revanche ce sont leurs larmes qui les relient. Leurs larmes et Henry, leur petit garçon. Dans cette séquence déchirante, on retrouve un élément qui aura parcouru quasi tout le film : La difficulté d’Henry pour la lecture, fuyant dès qu’il peut tout apprentissage (en présence de l’assistante sociale, notamment) mais ici au contraire, c’est lui qui prend l’initiative de lire ce morceau de papier froissé et retrouvé. C’est évidemment très écrit – Et tout le film est construit ainsi – mais il y a de la vie, justement parce que cette difficulté existe déjà, elle ne tombe pas ici comme un cheveu sur la soupe.

     On parle beaucoup de Scarlett Johansson & Adam Driver et c’est tout à fait mérité tant ils sont absolument étincelants, tant le personnage qu’ils incarnent  respectivement est aussi brillamment que subtilement écrits, mais que dire des avocats ? Je crois que c’est la première fois que je voie de vrais rôles pour eux (qu’on voit vraiment le métier d’avocat) alors qu’ils sont secondaires pour ne pas dire des faire-valoir, en apparence. Mais quels acteurs là-aussi ! Qu’il s’agisse de Laura Dern en féministe sans scrupule, Ray Liotta en requin impitoyable ou Alan Alda débonnaire qui semble lui évoluer dans une dimension parallèle utopique, à la recherche du meilleur compromis, ils sont tous les trois incroyables. S’il est célèbre pour MASH et ses nombreux rôles chez Woody Allen, ce dernier restera pour moi le Dr Lawrence dans cinq épisodes de la saison 6 d’Urgences, il y jouait un médecin atteint de la maladie d’Alzheimer. Il joue autre chose dans Marriage story mais on y songe. Aussi car l’acteur est atteint de Parkinson. Ça se voit et ça nourrit ce doux personnage. Il est celui qui dira à Charlie qu’il lui fait penser à son second mariage. Et plus tard il dira à Henry, patientant dans la salle d’attente « N’attends rien de ce chat ». J’aime bien l’idée que le chat ce soit un peu lui-même et qu’il s’adresse à Henry pour ne pas avoir à le dire à Charlie. Lui, l’avocat vieillissant, a clairement abandonné le monde des requins.

     S’il renferme le plus beau rôle d’Adam Driver ainsi que le plus beau rôle de Scarlett Johansson – Et haut la main – Marriage story est surtout le meilleur film de Noah Baumbach et de très loin. Il m’arrivait d’aimer certains de ses films (Greenberg, Les Berkman se séparent, Frances Ha) mais jamais au point d’en être touché ni de me sentir vraiment concerné. Ça pouvait même virer à l’ennui abyssal (While we’re young, Mistress America). Et là c’est un coup de cœur inattendu, un film fragile, délicat, miraculeux ; une telle déflagration qu’il m’a fallu le revoir puis le revoir encore. Trois visionnages en une semaine pour ne plus le quitter, pour m’en défaire un peu, aussi. J’aimerais tant en parler encore, j’ai l’impression d’en avoir rien dit – ne serait-ce qu’évoquer le rôle conséquent du théâtre, celui de la mère et la sœur de Nicole, Halloween avec Charlie, la scène du choix du sandwich, celle du siège-auto, le changement des photos dans les cadres sur le palier de la belle-mère – mais ce n’est pas facile de s’épancher sur un film qui fut un tel séisme émotionnel.

Il était un père (Chichi ariki) – Yasujirō Ozu – 1942

14. Il était un père - Chichi ariki - Yasujirō Ozu - 1942Et la vie continue.

   8.0   Son titre l’érige fièrement, c’est la figure de père qui intéresse Ozu, ici. Au point que les femmes seront quasi absentes du récit, fantômes (épouse et mère) parmi les fantômes (le père du père, l’écolier) reléguées dans une confession, un souvenir ou in-extrémis dans la promesse d’un relais. Cette épure de l’entourage s’en ressent aussi au sein de l’histoire de cet homme et son fils, comme si Ozu avait uniquement procédé par soustraction, ôtant oripeaux et ornements pour ne garder que l’essentiel. L’os.

     Enseignant dans une ville de province, le père se sent responsable de la mort accidentelle d’un élève lors d’une sortie scolaire. Il ne le supporte pas et démissionne. Dès lors il choisit de retourner dans sa ville natale mais confronté au manque d’argent et souhaitant les meilleures études pour son garçon, il part pour Tokyo, place son fils dans un internat et s’éloigne donc géographiquement de lui. Irrémédiablement, puisqu’ils ne se reverront que lors de brèves retrouvailles. Ici dans un week-end au hammam, là lors d’une partie de pêche qui fait écho à celle qui scellait leur séparation à venir, avec ces mouvements de canne à pêches parfaitement symétriques qui soudain, dès l’annonce brutale, se dissociaient.

     Maniant l’ellipse à merveille, au moyen de séquences se répondant en écho, objets réapparaissant autrement, Ozu brosse une délicate relation entre un père et son fils et en particulier l’histoire d’une absence et du rêve ultime d’un fils exaucé au seuil de la mort d’un père. C’est magnifique. Et quelque part, pas si éloigné de trois films qui me tiennent à cœur à savoir ceux formant la trilogie d’Apu, de Satyajit Ray. Il y a là aussi cette idée de transmission et d’ambitions qui convergent. Et là aussi le film se ferme sur un départ, sur un train, qui à l’instar de la pêche joue un rôle majeur, asymétrique et cyclique.


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