La ronde des hommes.
8.5 Comme beaucoup j’imagine, c’est par ce film-là que j’ai jadis fait connaissance avec le cinéma de Renoir. Ce fut donc un moment très émouvant de le revoir.
Si La grande illusion marque plusieurs tournants, hante la filmographie de Gabin – il y aura un avant et un après – autant que celle de Renoir (qui vient d’avoir quarante ans) – qui reviendra au genre vingt-cinq ans plus tard avec Le caporal épinglé, quasi son auto-remake, versant seconde guerre – il existe aussi comme l’un des derniers témoignages de la grande guerre juste avant la suivante.
De cette guerre nous ne verrons pourtant pas grand-chose, Renoir lui préférant l’ambiguïté des relations humaines, ces camps de prisonniers avec ses affrontements de classes et de patries. C’est un film sur les frontières et les possibilités de les abolir. Aussi bien au sein d’un camp où se côtoient toutes classes sociales ce qui n’empêche guère d’entonner La marseillaise tous ensemble ; que dans cette étrange relation entre capitaines, allemand et français. Le film est par ailleurs plutôt dans la nuance, il ne montre pas de gentils soldats français et de méchants tortionnaires allemands. Chaque personnage est scrupuleusement dessiné, défini. A l’image du capitaine Rauffenstein, homme tout aussi redoutable qu’il s’avère ambigu.
Et ce trouble habite tout le film, tant l’utopie guette son réalisme. Dans Le caporal épinglé, il me semble que cette dimension utopique aura complètement disparu. Le film sera aussi parcouru de légèretés mais sera aussi davantage gagné par la cruauté. Dans La grande illusion, le titre annonce déjà le programme. Cette illusion s’illustre dans cette longue première partie, c’est d’abord celle de ses personnages, qui creusent un trou dans leur cellule, et croient en leur avenir grâce à ce tunnel, mais qu’on va déplacer de campement – un transfert dans une forteresse médiévale réputée infranchissable – la veille de leur tentative d’évasion.
Cette illusion c’est celle que va incarner ce capitaine allemand (joué par Erich von Stroheim) qui traite ses prisonniers avec beaucoup de respect, de loyauté, à l’image d’un dialogue très marquant avec son homologue français. Avant qu’il n’ait à le tuer lors de son évasion ou plutôt de sa parade en guise de piège pour que ses copains puissent s’évader. L’illusion d’une abolition des frontières de classes est soudain plus forte que celle de frontière nationaliste. Et l’illusion c’était aussi de montrer qu’au préalable deux aristocrates de nationalité différente pouvaient se lier, quand bien même leur pays respectif soit en guerre, plus facilement qu’un capitaine d’état-major et un lieutenant d’aviation, Boïeldieu (Pierre Fresnay) et Maréchal (Jean Gabin) restant assez distant durant le film, finalement, à l’image de leur discussion commune autour du vouvoiement.
La grande illusion fascine aussi de par sa construction, quasi musicale, c’est d’abord un récit de prison, avec de nombreux personnages, ces officiers prisonniers plein de vie et de folie, un quotidien parfaitement documenté, la préparation délicate d’une évasion. Puis le récit va se resserrer sur quelques-uns d’entre eux, qu’on enferme dans un lieu aux dimensions infiniment plus romanesques, comme si Renoir nous conviait à la Tragédie. Avant de nous emmener dans une toute petite ferme, dans un récit plus intime, à trois personnages. Le film foisonne de possibles dans sa première heure avant de se fermer plus tard, sur l’avancée lointaine de deux silhouettes dans la neige.
C’est un grand film humaniste, qui prône la diversité et la quête de l’harmonie par la diversité. Aussi bien du point de vue des classes (la prison) que des nationalités (les capitaines des deux camps) et des langues (la ferme). C’est ce qui semble naître dans cet endroit isolé où Maréchal et Rosenthal échouent, chez une jeune veuve de guerre allemande. L’illusion de l’évasion se nimbe d’utopie pure quand elle reçoit nos évadés comme n’importe quel invité épuisé à sauver – Le dernier film de Sam Mendes, 1917, va le citer ouvertement lors de son escale à Escout, ville détruite.
Et pourtant là encore cet embryon de bonheur – Une idylle naît – est rattrapé par l’illusion : Pour sauver sa peau il faut à tout prix qu’ils franchissent la frontière suisse. Cette illusion c’est aussi de façon plus abstraite, cruelle et prémonitoire l’ombre imminente de la seconde guerre mondiale.
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