Archives pour mars 2020

Le toboggan de la mort (Rollercoaster) – James Goldstone – 1977

01. Le toboggan de la mort - Rollercoaster - James Goldstone - 1977Looping state of mind.

   8.5   En 1977, le film catastrophe s’essouffle. Parmi les jalons, L’aventure du Poséidon, Tremblement de terre et La tour infernale sont passés par-là quelques années plus tôt. En revanche, le thriller politique et/ou parano est à son apogée : Les trois jours du condor, A cause d’un assassinat ou Le dossier Odessa font partie des incontournables. C’est le moment que choisit James Goldstone pour faire Rollercoaster, un film à la croisée des genres, à la fois ancrée dans le film catastrophe, l’enquête policière et le thriller paranoïaque. C’est cette dimension volontiers hybride qui lui confère une place toute particulière.

     C’est l’histoire d’un jeune terroriste (Magnifique et troublant Timothy Bottoms, célèbre pour Johnny s’en va-t’en guerre ou The last picture show) qui pose des bombes sur des manèges et exige qu’on lui verse un million de dollars sous peine de poursuivre sa vague d’attentats. Afin de mener à bien cet échange, il choisit de s’entretenir avec Harry Calder et seulement lui, un agent d’assurance chargé de la sécurité des fêtes foraines. Et le film ne révèle rien de plus à ce sujet. Contrairement à McClane dans Une journée en enfer, qui était choisi par Simon par esprit revanchard (il avait tué son frère), Calder est choisi par le terroriste (sans nom) uniquement parce qu’il lui semble digne de confiance. Il y a quelque chose d’assez beau, original, quasi romantique dans leur relation à distance (par radio, comme McClane et Al Powell dans Piège de cristal, dans une autre dimension, évidemment) basé sur un respect d’écoute mutuelle. Et Bottoms est parfait en terroriste froid, implacable, sous ses airs de premier de la classe. Il est à la fois flippant et très attachant, par son calme, son honnêteté, son intelligence. C’est un méchant hyper ambigu, comme on les aime, en somme.

     Le toboggan de la mort est surtout un film de lieux. Magnifique idée que de situer une grande partie de l’action du film dans des décors de parc d’attractions. Trois décors, plus précisément – Et si Le toboggan de la mort était la matrice de deux succès colossaux des années 90 ? Jurassic Park d’abord, qui se déroule entièrement dans un décor de ce genre et c’est d’autant plus troublant que le film de Goldstone rappelle constamment le cinéma de Spielberg, dans sa construction et sa narration, pas si loin de Jaws, en fait – Et renforcé par la superbe bande-son signée Lalo Schifrin, qui par son hybridité dissonante, évoque ce que pouvait aussi faire John Williams, dans le mélange de légèreté festive et stridences angoissantes. Speed, ensuite : Car c’est surtout un très beau film de suspense, une version down tempo du film de Jan de Bont, qui se déploie aussi avec un poseur de bombes, sur trois temps et trois lieux parfaitement identifiés.

     Ces trois lieux, trois parcs d’attraction sont les suivants : L’Ocean’s view park & le King’s Dominion, tous deux situés en Virginie. Et le Six Flags Magic Mountain, en Californie. Ce dernier est par ailleurs célèbre pour pour son grand-huit, le Revolution – qui sert de décor au dernier quart du film – qui fut le premier à offrir un looping vertical. Ce qui est très beau, très réussi c’est que le film se laisse chaque fois gagner par l’esprit, l’ambiance du lieu dans lequel l’action se déploie. La nuit terrifiante du premier, l’aspect neutre et automnal du second, puis la respiration rock et solaire du dernier. Jusqu’aux montagnes russes des parcs, elles-mêmes : l’architecture horrifique du premier, la ligne droite interminable du second, la beauté tentaculaire du dernier. Comme si quelque part, il racontait un peu de l’état d’esprit de son terroriste, de son humanisation – de sa folie – qui le conduit à sa chute. C’est quand il sort de ces décors de manèges, que Rollercoaster s’avère d’ailleurs moins intéressant.

      Il faut le voir prendre son temps pour s’accaparer chacun des lieux et chacune des situations. A ce titre, les quinze (quasi)mutiques premières minutes sont merveilleuses : Avec la mise en place du dispositif, sa façon de saisir l’ambiance du parc, son aspect répétitif, jusqu’au déclenchement de l’attentat, traversé par une vision horrifique assez inédite : Gamin, j’étais très choqué par la violente chute des wagonnets puis par l’étalage de cadavres enveloppés dans des draps noirs. C’est très concret, très organique. Dans le second parc, le film nous fait traverser chacune des attractions essentiellement au moyen d’un échange par radio. Et dans la dernière partie, la séquence de déminage, saisie en temps réel, est un pur sommet d’angoisse. Toute cette attention aux gestes, aux actions, au temps, je l’avais terriblement oublié. A noter que le film capte assez bien la foule. Comme s’il avait « volé » les images – notamment lors du concert des Sparks. Par moment j’ai l’impression d’être dans Play Misty for me, de Clint Eastwood. Quant à la mécanique, diaboliquement efficace, du récit, elle convoque un autre film de la même époque – et aussi avec Clint – à savoir L’inspecteur Harry, de Don Siegel. C’est d’autant plus étonnant que notre héros, incarné par George Segal, se prénomme Harry.

     J’adore ce film. Difficile de le dire autrement : C’est un film que je relie à mon enfance, que j’ai bizarrement (car personne ne connaissait ce film) autant regardé que les Die hard cités plus haut, je pense. Mais le temps faisant son cruel office, j’ai fini par l’oublier. Croyant même que je ne l’aimerais plus, que ça devait être un gros nanar – Il n’est pas aidé par son titre français, en même temps. Sa réédition a provoqué en moi beaucoup d’excitation mais je n’y croyais pourtant pas plus que ça. J’ai donc attendu. Jusqu’à aujourd’hui. Pour constater que oui, j’adore ce film, comme quand j’étais gamin. Et le plus important à mes yeux : James Goldstone filme super bien les manèges, qu’on soit ou non dedans. On voit beaucoup les mécanismes, les rails, l’assemblage, les rouages, les écriteaux, le fonctionnement. Donc je l’adore en grande partie car je ne vois pas d’autre film ayant si bien filmé les montagnes russes de fêtes foraines.

Dark waters – Todd Haynes – 2020

03. Dark waters - Todd Haynes - 2020Chaotic river.

   8.0   Il est de prime abord surprenant de voir Todd Haynes à la barre d’un tel film. Déjà parce Dark waters est un biopic doublé d’un thriller écolo. Aussi parce qu’on a l’habitude de voir le réalisateur de Carol dérouler ses intrigues dans les années 50. Ensuite parce que c’est un cinéaste coutumier des portraits de femmes en marge. Le voir investir un autre terrain, portraiturer un homme, l’un de ces héros gênants, mouche dans le lait corporatiste, façon Erin Brokovich ou Karen Silkwood, surprend mais ne rend pas si sceptique : Haynes a toujours été un cinéaste engagé dans ses thèmes. Que cet héritier de Sirk tente une incursion dans le film à la Pollack, pourquoi pas, après tout ?

     Ceci étant, si le fait de raconter cette histoire authentique de l’enquête d’un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques qui va s’ériger contre l’un des plus gros bonnets de l’industrie, ne fait pas très Todd Haynes, c’est aussi parce que la naissance d’un projet comme Dark waters revient d’abord à Mark Ruffalo, l’acteur qui jouera ce héros ordinaire, cet homme qui risqua sa carrière et sa vie de famille pour une affaire qui prit des proportions hallucinantes. Et c’est Ruffalo lui-même qui exigea Todd Haynes. Ce dernier serait donc qu’un exécutant ? Pas tout à fait non plus, puisque c’est finalement moins un gros film dossier qu’un film intime sur un petit avocat, père de famille et originaire de l’ouest Virginie, debout contre ce Goliath en téflon.

     Et c’est justement parce que c’est Todd Haynes qui s’y colle que ce film à charge sera tout autant un grand récit d’investigation, carré, ambitieux, que le subtil portrait d’un homme en pleine crise d’intégrité existentielle, désireux de faire éclater les vérités embarrassantes, de rendre compte de cet affreux camouflage corporatiste d’empoissonnement de l’humanité orchestré par de sordides puissants, qu’importe cette (en)quête lui fasse risquer sa carrière, sa vie de famille, son temps et sa santé. Du coup, là où ce genre de film peut sembler parfois un peu froid, porté dans cet engrenage accusateur, Dark waters, qui fait cela aussi très bien, parvient à le doubler d’une émotion qui parfois affleure de façon assez puissante.

     En s’attaquant au scandale écologique sur l’empoisonnement de l’eau, par rejets toxiques, de la multinationale Dupont de Nemours, Dark waters résonne aussi beaucoup avec notre actualité écologique. C’est en partie pour cela qu’on en sort si perturbé. Mais la plus grande réussite du film est sans doute de nous faire oublier que tout ceci est une histoire vraie (aussi parce que c’est complètement fou) pour nous le rappeler lors des rares rappels de dates et bien sûr lors du carton final. Mais derrière le militantisme naissant (Robert Billot est d’abord un avocat d’usines de produits de chimiques, ça ne s’invente pas) puis forcené, il y a beaucoup d’humanité, à la fois dans ce personnage mais aussi dans son entourage, notamment sa femme ou sa relation avec le fermier qui l’a mis sur la voie de l’investigation.

     Par ailleurs j’aime beaucoup l’introduction du film. Une ouverture qui convoque clairement Jaws, comme si Todd Haynes montrait qu’on pouvait citer et emprunter les canons du genre tout en faisant un film dossier. Le monstre ne sera ni un requin ni un piranha (le film de Joe Dante s’ouvrait lui aussi de la même manière, lui qui singeait déjà le film de Spielberg, tout en citant le temps de son premier plan, Citizen Kane) mais une barque contenant des hommes en patrouille envoyés pour dissimuler les bancs mousseux formés par les produits chimiques. C’est tout le film que cette introduction annonce calmement, distinctement.

     Comme à son habitude, Mark Ruffalo est parfait. Et ce d’autant plus qu’il incarne admirablement l’évolution de son personnage, dans cette imposante temporalité (La quinzaine d’années qui sépare sa prise en charge du dossier jusqu’aux divers procès), son obstination et sa déliquescence. Ruffalo est idéal pour le rôle, à la fois massif et doux, il rappelle un peu ce qu’était Matt Damon dans le très beau Promised land, de Gus Van Sant. Mais surtout parce qu’il se fond dans le décor, un peu comme les personnages chez Fincher se fondent dans le décor de leurs films respectifs aussi. Cette neutralité, cette froideur général que le film dégage (sans doute un peu trop ostensiblement, d’ailleurs, mais on peut se dire que la forme épouse les eaux polluées du titre) déteint sur Ruffalo lui-même, qui malgré la beauté de son combat de l’intérieur, s’enferme dans une spirale de plus en plus abyssale, comme rongé, empoisonné lui-aussi mais par l’horreur de cette affaire qui n’en finit plus d’être de plus en plus terrifiante. 

Traîné sur le bitume (Dragged across concrete) – S. Craig Zahler – 2019

10. Traîné sur le bitume - Dragged across concrete - S. Craig Zahler - 2019La douleur de l’argent.

   7.5   Deux officiers de police, l’un au seuil d’une retraite qui ne lui offrira rien, l’autre endetté par son mariage à venir dont il doute fortement, sont suspendus trois mois à la suite de la diffusion d’une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle leurs méthodes musclées sont menacées d’être révélées au grand jour. Incapables de survivre sans salaire, ils vont basculer et faire équipe de l’autre côté, profiter d’une occasion qui fera d’eux des truands en vue de se sauver de leur quotidien précaire.

     Il m’a fallu une bonne heure pour en saisir les enjeux / l’intérêt – Il faut dire que le film prend vraiment son temps, se déploie par couches mais pas du tout de façon alternée comme il est coutume de l’apprécier dans les traditionnels polars choraux : A titre d’exemple, les trois premières scènes s’étirent chacune sur une dizaine de minutes. Et ce n’est d’ailleurs pas du tout avec nos deux flics que s’ouvre la toute première qui s’intéresse au retour d’un repris de justice chez sa mère et notamment ses retrouvailles avec son jeune frère handicapé.

     Trainé sur le bitume fut sur le tard, dès l’interminable planque / filature, un choc, qui n’a cessé de me surprendre, déjouer chacune de mes attentes, prendre à revers mes craintes, jusque dans sa faculté à raccrocher les wagons, ainsi que dans sa violence à la fois épurée et très graphique, assez inédite il me semble, sauf si on est familier de Breaking bad ou Better call Saul. C’est sa grande qualité et sa limite, ça pourrait être un film signé Vince Gilligan. Une version cinéma de ce que dernier offre à l’univers sériel, quand bien même El Camino, le film spin-off de BB s’était révélé plutôt décevant.

     Trainé sur le bitume intègre lui parfaitement l’idée de long métrage et, sens du dialogue à l’appui, on en vient à penser à Pulp fiction, en moins glamour, plus « réaliste » mais tout aussi clair malgré son étonnante construction : C’est un film très limpide dès l’instant qu’on l’observe dans sa globalité. Pourtant, dans sa mécanique pure, il s’inspire sans doute davantage du Blood simple ou du No country for old men, des frères Coen. Et sa rudesse le place plutôt dans la veine du Friedkin de To live and die in LA. Des références sans doute un peu lourdes pour ses épaules, mais il s’en démarque plutôt bien, en déjouant beaucoup de choses, dans la construction et dans le rythme.

     Dès l’aparté central avec Jennifer Carpenter qui campe une employée de banque reprenant le travail après son congé maternité, j’ai su que le film était capable de tout : digresser sur de nouvelles entrées de personnages et s’accaparer la sèche cruauté de les crucifier. Et c’est justement parce qu’il est dur dans son ensemble, qu’il peut aussi s’avérer très drôle, jusqu’à parfois tout réunir, à l’image du siège final. Ce dernier quart, c’est l’hallucination permanente : On a beau adorer les polars et les règlements de compte au cinéma, on n’a jamais vu ça.

     Si j’ai quelques réserves, notamment dans sa mise en place et dans ses dernières minutes, où il me semble qu’il provoque un peu trop complaisamment notre détachement, j’aime bien l’idée que Zahler s’amuse avec nos frustrations. On sent qu’il ne veut pas séduire avec ses pics de cruauté et ses effets gores, ils nous en offre mais très brièvement et du coup, immense frustration (quand bien même on trouvera l’idée judicieuse avec le recul) il choisit de nous ôter le braquage, de nous extirper du carnage quand celui-ci pointe le bout de son nez, préférant retourner dans la voiture avec nos deux flics semés durant la filoche, qui finissent par retrouver la camionnette mais pas pour agir en tant que flics (puisqu’ils sont suspendus) mais en vue de subtiliser le butin des braqueurs.

     C’est ce nihilisme qui s’avère assez émouvant, puisque ces deux flics sont un peu paumés, un peu aculés chacun de leurs côtés et trouvent dans cette quête un moyen de s’en sortir, au même titre que l’autre personnage qui avait ouvert le film et qui le fermera. « Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons » disait Renoir. Et Trainé sur le bitume est un peu à Zahler ce que La grande illusion était à Renoir, en fait : Un beau récit de luttes, inconciliables. Il faut par ailleurs noter que l’interprétation est dantesque avec évidemment en tête ce duo magnifique formé par Vince Vaugh et Mel Gibson. Qu’importe s’il n’a pas eu les honneurs d’une sortie salle chez nous, il est fort à parier que Trainé sur le bitume devienne, dans le circuit vidéo, un classique du genre.

The last movie – Dennis Hopper – 1971

19. The last movie - Dennis Hopper - 1971Crazy rider.

   7.5   J’aurais aimé adorer ça tant il y a de l’insolence, bien plus que dans Easy rider. Et si le film est parcouru de géniales fulgurances, il y a aussi plein d’instants où il nous échappe, se dérobe, se volatilise, sous le poids de sa folie, de sa liberté anarchique. C’est étrange de constater que c’est un film ancré dans les débuts du Nouvel Hollywood et de voir à quel point il ressemble davantage à son crépuscule : Il est à Hopper ce qu’Apocalypse now sera à Coppola ou Heaven’s gate à Cimino, soit des produits, plus ou moins triomphants, issus de cartes blanches.

     Hopper (et son million octroyé par la Universal) est donc aller se brûler les ailes dans les Andes péruviennes, dans un tournage à trois mille mètres d’altitude. Au début, le film y observe un film en train de se faire, un western dirigé par Sam Fuller. Puis l’équipe se tire et un cascadeur reste, campé par Hopper lui-même. Alors, The last movie devient de plus en plus impénétrable. Magnifique ici, éreintant ailleurs. Il y a ce carton, en plein cœur qui annonce « Scene missing » tout simplement parce qu’une scène manque ; Par ailleurs, Hopper revendiquait qu’il n’avait guère besoin de script. Et en effet le film semble être improvisé un peu partout.

     Et il y a des instants de grâce à l’image de ce plan incroyable lors de la soirée célébrant la fin du tournage : Un travelling suit Kansas (Hopper, donc) traversant chaque pièce où l’on joue une musique très différente, comme pour montrer qu’il y a trois cultures, qui cohabitent sans pourtant fusionner. The last movie reflète l’état d’esprit de son auteur : égocentrique, torturé, défoncé, mégalo, cinéphile, dépressif, sa psycho sexualité, son anticléricalisme. Bref c’est pas un film facile, pas facile du tout. Inégal certes, mais tellement fascinant. Aussi parce qu’il retranscrit à merveille l’après Easy rider, le retour de shoot, en somme.

Mon inconnue – Hugo Gélin – 2019

39. Mon inconnue - Hugo Gélin - 2019Le temps de l’amour.

   6.5   Voici une comédie romantique drôle, émouvante, bien rythmée, bien interprétée, qui s’amuse avec les codes du buddy-movie et ceux des voyages dans le temps, avec cet éclectisme réjouissant qui à l’image de son ouverture inattendue nous plongeant quelques instants au sein de la fiction créée par son personnage, ne va pas hésiter à citer ouvertement Un jour sans fin (La tempête de neige, le personnage qui se nomme Ramis) mais aussi Les visiteurs (Un dialogue jubilatoire autour de l’arbalète).

     Le film déploie d’abord du rocambolesque, dans une suite de scènes surprenantes, à l’image des toutes premières secondes ou bien de la love story contée dans le générique introductif. Le film n’est pas lancé depuis longtemps et l’on se surprend à penser : « Ok et maintenant ? ». Le réveil dans la vie parallèle redistribue toutes les cartes. On s’engage sur un terrain plus programmatique (Car on connaît nos classiques) mais tout aussi séduisant, autrement, avec un héros tentant de rattraper son autre vie, en découvrant petit à petit qu’il est devenu un parfait connard. Un peu trop comme dans Un jour sans fin, en somme.

     Par ailleurs, dommage que le film soit si long et son dénouement si décevant. Qu’importe, Mon inconnue a cette faculté de jouer sur des détails qu’il va mettre en place et disséminer en écho tout du long. Il y a une harmonie dans les récurrences des plans, des situations, des effets en miroir, c’est très réussi. Si Joséphine Japy et François Civil sont irrésistibles, il faut avouer que Benjamin Laverhne leur vole la vedette lors de chacune de ses drolissimes apparitions. Il est bien plus qu’un simple sidekick, d’ailleurs, tant son histoire d’amour est magnifique et essentielle.

     Bref, c’est une très bonne surprise. J’en attendais rien, voire strictement rien, de Gélin j’aimais bien Comme des frères, mais sans plus. Mon inconnue est une comédie romantique française qui redore le blason au genre. Une comédie romantique comme on rêve d’en voir tous les jours.

The nice guys – Shane Black – 2016

17. The nice guys - Shane Black - 2016L.A. Plouc confidential.

   5.5   Eminent scénariste du cinéma d’action d’Hollywood, ayant œuvré entre autre sur L’arme fatale, Le dernier samaritain ou encore Last action hero, Shane Black a aussi réalisé quelques films sans grand intérêt (notamment le troisième volet d’Iron Man, très loin d’être le meilleur opus Marvel ou encore le remake de Predator) mais avec The nice guys il revient à ses premières amours de scénariste et de réalisateur, puisque le film se situe dans la droite lignée de son travail d’écriture sur les buddy-movie des années 80 & 90 et dans celle de Kiss kiss bang bang, son premier film.

     Robert Downey Jr. & Val Kilmer y sont remplacés par Russel Crowe & Ryan Gosling dans des rôles plutôt bien charpentés, à la fois opposés et complémentaires, bref dans la tradition du genre. Le film leur doit (presque) tout. J’aurais même tendance à dire qu’il doit tout au second, brillant comme à son habitude, déployant une excentricité quasi slapstick dans le registre comique absolument réjouissante : Il a la raideur absurde d’un Tati, l’irrévérence malicieuse d’un Keaton doublés d’un petit côté Pierre Richard qui offre au film une mécanique plus down tempo que la frénésie épuisante qui irriguait le premier film réalisé par Shane Black – mais mes souvenirs sont vagues.

     Si je dis « presque » un peu plus haut, c’est parce que le film, quand il sort de son surrégime et de son artillerie d’autoréférences, cette hystérie virtuose visant à tenter de voler la vedette à ses acteurs, il faut reconnaître qu’il a parfois de belles idées, des virages inattendus qui le/nous sort de sa/notre zone de confort. Il gagne notamment sur ses pics de brutalité aussi surprenants que réjouissants, mais aussi sur son atmosphère 70’s, quelques répliques bien senties, une super gamine et une faculté pour nos deux compères à s’accommoder du ridicule sans problème – Ce cri de Gosling quand Crowe lui pète le bas est d’ores et déjà mémorable.

     C’est Le privé qui rencontre L’arme fatale, donc, sauf qu’on tire malheureusement moins vers l’abstraction hallucinogène du chef d’œuvre d’Altman, que vers l’ambiance popcorn des films de Richard Donner. Quoiqu’il en soit j’ai toujours du mal à comprendre pourquoi Shane Black jouit d’une telle réputation (dans la geek zone) comme je ne comprends pas trop ce qu’on trouve à un Edgar Wright : J’ai pas mal pensé à Baby driver, en moins désagréable toutefois car acteurs et personnages sauvent cet ensemble qui reste sympathique comme un film qu’on voit une fois le dimanche soir et qu’on oublie dès le lundi matin.

Hors normes – Eric Toledano & Olivier Nakache – 2019

16. Hors normes - Eric Toledano & Olivier Nakache - 2019Le sens des Justes.

   6.0   S’il est plein de bonne volonté, d’intentions fédératrices, le cinéma de Nakache & Toledano n’a jamais été des plus subtils. Il y a toutefois une magie qui s’échappe ici ou là, qu’on suive le quotidien d’une colonie de vacances (Nos jours heureux, 2006) ou les coulisses d’un mariage (Le sens de la fête, 2018) et qui en fait un cinéma populaire attachant et efficace.

     Il y a une science du gag chez eux, un tempo de la vanne, qui souvent fonctionne mais qui de temps à autres se révèle d’une lourdeur terrible. Je les entrevois déjà dans les deux films cités plus haut, que j’aime beaucoup. Je ne vois que ça dans certains autres. Avec Hors normes, cette mécanique comique reste présente, mais elle trouve le juste dosage, sans doute parce que le sujet se prête davantage à une recherche d’équilibre.

     C’est donc l’histoire (vraie) de deux hommes ayant créé une association pour l’accueil de jeunes autistes refusés par les institutions, une autre pour la resocialisation par le travail ou le loisir. Associations qui en plus de ça, forment des jeunes de quartiers à devenir des accompagnants sociaux. Ces deux hommes seront incarnés par Vincent Cassel et Reda Kateb, tous deux parfaits, chacun dans leur combat et solitude respective.

     Car Hors normes, s’il est globalement un film optimiste, léger, drôle malgré le sujet et les individualités qu’il déploie – dont les deux autistes très différents que sont Joseph et Vincent, des cas très particuliers – il semble dire qu’on navigue tous dans nos zones de folie, qu’il s’agisse de ce jeune accompagnant paumé (Le parcours initiatique un peu lourdingue du film), de cette mère qui garde la face en faisant des gâteaux à l’ananas ou bien entendu de ces deux hommes dévoués, autistes à leur manière, l’un des relations amoureuses (Un running gag autour de rendez-vous arrangés ponctue le film) l’autre de sa famille (qu’on ne verra jamais).

     Le film aurait pu s’en tenir à cet aspect documentaire dans la saisie du quotidien de chacun de ces jeunes que l’on qualifie de cas complexes. Mais il choisit d’alourdir le récit par la menace d’une inspection des pouvoirs publics. Si ça brouille l’équilibre, c’est aussi pour en faire le portrait d’un monde dévoué mais d’une grande fragilité, car pas du tout accordé aux absurdités administratives, au voisinage récalcitrant ou aux entreprises non-avenantes à l’idée d’embaucher des employés présentant des troubles autistiques. Bref, c’est un beau film.

La fille au bracelet – Stéphane Demoustier – 2020

02. La fille au bracelet - Stéphane Demoustier - 2020Le coupable disparaît.

   8.0   C’est un « film de procès » solide, passionnant, magistralement écrit et interprété. Tellement magistral qu’il lui manque sans doute une étincelle, soit dans la mise en scène, soit dans la construction, soit dans le manque d’empathie qu’on a pour ses personnages. C’est tout à son honneur qu’il ne fasse pas le jeu de la séduction, mais pour le coup il manque un truc. On admire le geste – de préserver le récit de tout sensationnalisme – mais c’est aussi parce qu’on l’admire, qu’on s’en détache au point que l’émotion peine à faire son chemin.

     C’est un procès que l’on vit à travers l’œil de la Cour : On découvre les faits en même temps, durant le déroulement des audiences d’Assises, on comprend d’abord que Lise est accusée d’avoir tué sa meilleure amie, à la suite d’une soirée. On apprend par ailleurs qu’elles étaient brouillées à cause d’une vidéo compromettante. On devient juré, par la force des choses. Et l’on assiste nous aussi à une certaine incompréhension générationnelle, à une jeunesse qui nous échappe, comme elle échappe aux parents. Alors, le film a l’idée ingénieuse de nous faire aussi ressentir ce procès à travers le regard déboussolé des parents de l’accusée, qui restent persuadés de l’innocence de leur fille tout en traversant parfois des instants de doute. Et le film capte assez bien ce tourment, notamment grâce à ses deux excellents interprètes que sont Chiara Mastroiani & Roschdy Zem, qui campent chacun à leur manière – Et Lise le dira d’ailleurs très bien, un moment donné, dans sa cage en verre – leur propre souffrance.

     La fille au bracelet tire toute sa force de son hors champ. En refusant de nous offrir l’intégralité de ce qui s’est déroulé durant les deux années qui séparent l’arrestation de Lise (Le film s’ouvre là-dessus, dans une douce parenthèse estivale, sur la plage) et son procès, le film ne cesse de rappeler qu’il y aura pour tout un chacun, toujours une part de mystère dans les nombreux recoins de cette tragédie. Que ce mystère se projette sur le curieux détachement de la mère de l’accusée, l’apathie de celle de la victime ou encore dans la nonchalance incompréhensible de Lise, offre au film à la fois un vertige toujours en mouvement, une angoisse permanente afin que l’incertitude subsiste.

     Véritable révélation que Mélissa Guers, qui incarne Lise, cette adolescente accusée. Elle est mystérieuse, opaque, mutique, détachée, raide, vide mais tout cela avec une finesse de jeu remarquable qui nous garde à la fois à distance mais préserve l’empathie liée au bénéfice du doute. Comme si elle nous laissait libre de remplir le vide de son personnage, c’est très fort. Ce parti pris est d’autant plus fort lorsque sa carapace se fend brutalement, à l’instant où on ne l’attend plus. Ou plutôt à l’instant où l’on attend tout et son contraire : Aussi bien son aveu de culpabilité ou que celui de son innocence.

     Au rayon des seconds rôles, il faut souligner une magnifique Anaïs Demoustier en avocat général sans émotion. Et une non moins superbe Anne Mercier qui campe avec beaucoup d’humanité, de finesse et d’autorité l’avocate de la défense. C’est par ailleurs très beau ce choix de les faire s’affronter à l’encontre de là où l’on pouvait les attendre : La douce voix de Demoustier sera celle que l’on craint tandis que celle, gutturale, de Mercier sera celle qui apaise. On évite le piège de l’avocate jolie et sensible, contre la sorcière laide et gueularde. Et en somme, elles sont à l’image de Lise, qui elle non plus n’est pas conforme à l’idée qu’on se fait d’une accusée, qu’elle soit coupable ou innocente. C’est très original et très réussi.

     En outre, j’ai l’impression d’un film qui raconte beaucoup de son spectateur qui le regarde, de lui laisser le champ de ses propres convictions et de voir comment elles évoluent. Soit de sa propension à incriminer sur des (non)preuves accablantes, ou bien de sa faculté à plutôt opter pour le bénéfice du doute. C’est assez passionnant et finalement dans la continuité d’un immense film de procès, Douze hommes en colère, de Sidney Lumet (dont La fille au bracelet constitue presque le contrechamp) ou du plus récent Une intime conviction.

     Après un mauvais film (Terre-battue) et un très moyen (Allons enfants) la sortie de La fille au bracelet, film superbe, permet de dire que l’ascension de Stéphane Demoustier est fulgurante. Vivement son prochain film.

La religieuse – Guillaume Nicloux – 2013

11. La religieuse - Guillaume Nicloux - 2013Les (lourds) confins de la foi.

   3.0   C’est un type étrange ce Nicloux. Beaucoup d’ambition dans chacun des trois films que j’ai vus de lui, impossible de le nier, mais chaque fois il se vautre dans le ridicule. J’essaierai d’en voir d’autres et notamment ceux de sa première partie de carrière, je ne demande qu’à changer d’avis. En l’état, je trouve ça catastrophique. Toujours est-il qu’avant de faire son film antonionien, en clin d’œil à Pialat (Valley of love, avec Huppert & Gégé qui errent dans la vallée de la mort) et son film à la manière de Gus Van Sant (The end, avec Gégé perdu dans la forêt) le type avait choisi d’adapter Diderot, en passant après Rivette. Le mec a les couilles et le melon. La religieuse est sans aucun doute le moins mauvais des trois, le moins ridicule, mais c’est aussi le plus ennuyeux, puisqu’il est difficile de s’en moquer : Tout est si littéral, désincarné, sans aucune idée de mise en scène. Le film sortit la même semaine que le Camille Claudel de Dumont, il devait bien souffrir de la comparaison. Zéro souffle, tout se traduit sur la même mesure, sans aspérité, sans rebond, est-ce parce que Nicloux a peur de mal faire, impressionné qu’il est par le matériau d’origine ? Ou bien afin de le ripoliner pour les Césars – qu’il ne récoltera même pas ? Ou bien parce qu’il veut malgré lui en faire une pièce de théâtre, avec ces petits décors fabriqués et ces actrices qui en font tellement qu’on ne voit plus que des actrices, jamais des sœurs, jamais des bontés (Françoise Lebrun, très bien, malgré tout) ni des monstres (Louise Bourgoin, archi-raide, qui parle sans bouger les lèvres) ni des folles (Isabelle Huppert, qui s’essaie au personnage saphique mais on y croit pas une seconde) ? Bref le film se vit aux côtés de la jeune Pauline Etienne (qui est très bien) et au rythme des rencontres avec ces mères supérieures. Et c’est à l’image de ce qu’elles dégagent toutes les trois : C’est de pire en pire.

Le cabinet des figures de cire (Das wachsfigurenkabinett) – Paul Leni & Leo Birinsky – 1924

06. Le cabinet des figures de cire - Das wachsfigurenkabinett - Paul Leni & Leo Birinsky - 1924Les statues meurent aussi.

   6.0   Le directeur d’une baraque foraine cherche une personne pour rédiger la publicité de son spectacle. Il reçoit un jeune homme auquel il propose d’écrire un texte sur trois des personnages de son cabinet : Haroun al Rachid dont le bras, posé sur la table, vient de se briser, Ivan le Terrible et Jack Talons-à-Ressort.

     Assez impressionné et hypnotisé par la première partie Mille et une nuits, avec cette histoire de calife de Bagdad à l’anneau magique. Plastiquement c’est dément, en intérieurs comme en extérieurs les décors sont fabuleux, une sorte de manifeste de l’expressionnisme allemand dans ce qu’il a de plus excentrique. Et le film joue régulièrement sur des superpositions étranges à la Epstein. Bref j’ai adoré.

     Dommage que la seconde partie (je ne compte pas la troisième, transformée en bref cauchemar, comme si elle avait dû être sectionné) consacrée à Ivan le terrible, m’a paru bien fade à côté, trop reposée sur la performance hallucinée (et un peu ridicule) de son acteur vedette.

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silencio


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