Vague à l’âme à deux voies.
7.5 On s’en tiendrait à son pitch qu’Un étrange voyage, d’Alain Cavalier, serait déjà pas loin d’être formidable : Pierre se retrouve à écumer les bords de la voie ferrée entre Troyes et Paris, en compagnie de sa fille de vingt ans, espérant trouver sa mère qui n’a plus donné de nouvelles depuis ce trajet de train, dans lequel il semble qu’elle soit bien montée mais jamais sortie. C’est une idée de road-movie mais aussi de quête familiale et existentielle assez originale puisqu’il s’agit de suivre la route – la voie de chemin de fer, en l’occurrence – mais pas de l’emprunter : On arpente les sentiers étroits, les ravins, les fourrés. Et de chaque côté (heureusement ils sont deux) car rien ne certifie, selon Pierre, qu’il faille chercher de ce côté-ci mais pas de ce côté-là.
La (double) grande trouvaille c’est cet étonnant duo. Il y a d’abord Jean Rochefort, absolument génial, qui trimbale avec lui son habituelle grâce infinie, ce ton à la fois léger et mélancolique, cette allure paumée et déterminée. Il est fabuleux, drôle (« Et si elle avait rebondi ? »), émouvant (« Maman, revient ! »). Et à ses côtés, Cavalier y glisse et y fait exister sa propre fille, la jolie Camille de Casablanca, en troublante adolescente, révoltée boulimique, qui prend plaisir (une sorte de revanche) à partager cette aventure avec ce père qui fut beaucoup absent. C’est surtout de cette relation dont il est question, en fin de compte : Passer du temps l’un avec l’autre, se confier, s’écouter, se regarder.
Si la jeune actrice (et scénariste du film) est la fille de l’auteur, ce dernier n’avait pas cœur à jouer dans son propre film à l’époque (Il faudra attendre Pater pour qu’il franchisse cette barrière) mais c’est évidemment de ses névroses dont il est question, sa volonté de filmer son enfant et celle de s’habituer au départ de sa propre mère. Le film glisse et se perd un peu parfois, mais il revient toujours à l’essentiel, cette voie ferrée et cette retrouvaille entre un père et sa fille. C’est très beau.
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