La nuit lui appartient.
9.0 Le film s’ouvre sur le perçage d’un coffre, au moyen d’une observation aussi précise et méthodique. C’est la routine de Frank : Percer des coffres forts la nuit. Le jour il est patron d’un stock de voitures d’occasion. Une simple couverture.
Si on le compare à The Jericho mile, Thief est un film plus délicat à appréhender, au moins autant que Frank est un personnage difficile à identifier. Il y a du Jeff Costello dans ce personnage. De Melville, on n’est pas si éloigné. Mais autre chose couve.
Thief est marqué par deux forces imposantes qui lui confèrent un statut très particulier et qui prépare le cinéma de Mann tout entier : L’importance climatique et musicale. La pluie et la nuit d’un côté, le beat de Tangerine dream de l’autre. Thief ne serait pas grand-chose sans ces deux entités, au point qu’il n’est pas interdit de trouver leur utilisation un peu envahissante ; de sentir le film accablé sous le poids d’un certain maniérisme. On y voit des voitures s’engouffrer dans la nuit, à travers des tunnels. Les enseignes lumineuses et néons des concessions automobiles se reflètent dans les capots. Il y a déjà cette dominante bleue qui crache une atmosphère électrique.
Il s’agit donc du premier long métrage de Michael Mann pour le cinéma. Si le film se loge dans la continuité de The Jericho mile, on y ressent déjà pleinement l’esquisse de Heat. Il y a le dernier coup avant de se retirer. Le désir galopant de mener une vie normale, rangée, ici c’est une histoire d’amour et d’adoption, qui rapidement deviennent impossibles. Il y a aussi le lien indéfectible avec l’ami de prison, ici un détenu atteint d’une maladie incurable, qui le temps d’une visite au parloir entre potes de mitard, demande à ne pas crever en taule. Et il y a Frank, personnage autiste, charismatique qui excelle dans ce qu’il sait faire.
Si le film a du Heat en lui, en gestation, il manque clairement un reflet à Frank, comme Vincent Hanna & Neil McCauley seront les reflets l’un de l’autre. Il y a du Sonny Corleone en Frank – Et James Caan est absolument parfait – on y songe notamment lors de superbes courtes focales qui permettent d’abord de le perdre dans l’immensité de la ville mais aussi d’apprécier pleinement la gestuelle si singulière de l’acteur.
Pour nourrir ses rêves, Frank n’a au préalable qu’un repère. Un compagnon de prison, Okla, qui fait office de père spirituel. Mais il fera bientôt la rencontre de Léo. Lorsqu’il perd son père de substitution, Frank perd ce qui lui servait d’équilibre et va brièvement le retrouver en Léo et ses grandes promesses. En se mêlant à la mafia de Chicago, Frank pactise avec le diable car il comprend qu’on peut lui exaucer ses souhaits de fonder une famille en échange de sa liberté. Entre ces deux entités (Okla, le bon qui s’évapore et Léo, la brute, qui le dévore) Frank perd pied.
Il s’e remet à une photo. Un collage qu’il trimballe probablement depuis la taule, quand il devait orner une cloison de sa cellule. On y aperçoit une photo d’Okla, une maison, une Cadillac, le visage déchirée d’une mère, des enfants, des têtes de mort. Entre autre. C’est un bout de papier qui semble réunir tous ses fantasmes et cauchemars. Un collage comme d’autres arborent des tatouages. Comme un symbole, il finira chiffonné et jeté après que Frank ait volontairement incendié sa maison et sa concession automobile. L’espace d’un instant, ce collage évoque la photo de Sara Conor que Kyle Reese perd à son tour dans les flammes, dans Terminator, qui sort quelques années après Thief. S’il ne meurt pas, Frank disparait dans la nuit comme Kyle s’évapore dans le temps. Il n’a même plus de rêve en poche.
Heureusement, la trace lumineuse laissée par ce diamant noir, c’est ce couple magnifique formé par James Caan & Tuesday Weld, qui éclate lors de cette longue scène au diner : Neuf minutes de discussion durant lesquelles Frank raconte son histoire, explique sa philosophie de la vie, que la bande-son, discrète, accompagne de bruits autoroutiers. Il y aura d’autres instants entre eux, d’une intensité sidérante. Définitivement, Jessie est l’un des plus beaux personnages féminins de la filmographie de Mann.
Comme on sentait dans The Jericho mile que Mann avait investi la prison de Folsom, Thief respire le projet de quelqu’un qui a rencontré de vrais voleurs. Et il ne s’agit pas que de rencontres passées, Mann s’est carrément entouré de flics et d’anciens flics. Mais aussi de perceurs de coffre. Quitte à filmer un milieu, autant s’imprégner de la réalité de ce milieu : Adage qui va parcourir l’ensemble de sa filmographie. Ici aussi il s’agit de faire en sorte que les acteurs paraissent aussi compétents que les personnages qu’ils incarnent, qu’importe s’il faut leur faire manier perceuse magnétique très lourde ou lance à oxygène dangereuse.
Thief est très imprégné des années 70, il transpire l’authenticité brute, le bitume, la sueur, et dans le même temps il se laisse gagner par le flux cotonneux, glamour des années 80, ses néons, sa musique. On pense pas mal à Friedkin devant Thief. Et on se dit qu’il pourrait former le chainon manquant, formellement, entre Sorcerer et To live and die in L.A. En somme, si l’on devait citer un film qui amorce les années 80, Thief serait un candidat idéal.
C’est un polar et bien plus encore, qui préfigure aussi le cinéma de James Gray. Il y a quelque chose d’infiniment crépusculaire là-dedans et ce ne sont pas les brefs instants de légèreté (Sur la plage, notamment) qui vont l’atténuer. Un film nocturne qui rappelle aussi bien le Driver, de Walter Hill que Le deuxième souffle, de Melville. Difficile de ne pas y voir aussi les prémisses du Drive, de Winding Refn.
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