Archives pour mai 2020



Merveilles à Montfermeil – Jeanne Balibar – 2020

23. Merveilles à Montfermeil - Jeanne Balibar - 2020Merdouille de Balibar.

   0.5   Et dire que dans un élan de curiosité masochiste j’étais pas loin, en début d’année, d’aller voir ce truc. Grand bien m’a pris de faire l’impasse car c’est insupportable à tous les niveaux. Ça ne manque certes pas d’imagination ni de couleurs, mais le caca non plus, parfois. Vraiment c’est affreux et aussi bien son humour que son ambition, tant les ressorts comiques sont plombés en permanence, et tant le film semble crier à chaque plan, chaque scène, chaque pseudo trouée subversive, qu’il réinvente la comédie politique. C’est l’un des trucs les abjects, nuls, sinistres, vulgaires, prétentieux vus ces dernières années, point barre. J’ai abandonné quand Béart, la maire de Montfermeil, se met très mal en colère d’un mauvais cri mal étouffé, dans une cage d’escalier. Sommet de frisson de la honte. Tenu cinquante-deux minutes, je mets au défi quiconque de faire mieux.

La forteresse noire (The keep) – Michael Mann – 1984

03. La forteresse noire - The keep - Michael Mann - 1984Weird village.

   4.5   Grâce à Thief, Mann reçoit plein de scénarios de polars. C’est pourtant ce conte gothique qui l’intéresse, ce projet fou à la croisée du film de guerre et du film d’horreur. Il s’envole pour un tournage dans une carrière d’ardoise abandonnée du Pays de Galles, dans laquelle on achemine l’équipe et le matériel par grue. Et il crée ce village qui semble échappé du Moyen-âge, abritant une forteresse qui aurait survécu à l’expressionnisme allemand – Avec ce mur immense, qui rappelle Les trois lumières, de Fritz Lang. Un monument surnaturel, au design passionnant, puisqu’on apprend vite que son architecture est inversée : Ses pierres les plus solides sont à l’intérieur comme si la menace se trouvait davantage dedans que dehors.

     Il s’agit donc d’un village roumain, qui se voit investi par une faction nazie faisant escale, avant qu’il ne se penche de trop près sur les pouvoirs de la forteresse et réveillent une créature démoniaque. Ainsi, chaque nuit, celle-ci tue des soldats de garde, les aspire et laisse derrière qu’une carcasse calcinée, conduisant le chef SS à faire appel à un professeur juif afin de traduire une étrange inscription, tandis qu’en parallèle on suit le voyage d’un mystérieux gardien depuis la Grèce. Difficile de résumer The Keep, mais disons simplement que ça fait pas très Mann, dans les grandes lignes. Un cinéaste comme Jack Arnold aurait sans doute tiré meilleur parti d’un récit comme celui-ci dans les années 50.

     Quoiqu’il en soit, voilà un film qui m’intrigue depuis toujours. Depuis que je suis gamin. Je me souviens de la côte maximale que lui attribuait Télé câble sat hebdo par exemple. Pourtant, par un étrange concours de circonstance – enfin pas si étrange puisqu’il n’est pas si évident à trouver, que Mann le renie plus ou moins, et qu’il a l’aura d’un film très, très malade – je n’avais jamais vu ce film au titre original qui évoque The thing, de Carpenter, au titre français qui rappelle plutôt La forteresse cachée, de Kurosawa. C’est sans doute un peu écrasant pour The Keep, mais je les ai toujours un peu associés, je crois. Et si l’on met de côté ses deux téléfilms, il s’agit alors du seul Mann qui me faisait défaut depuis la sortie de Hacker.

     J’en rêvais autant que je le craignais. J’aurais préféré avoir un avis plus carré, l’adorer sans scrupule ou le détester sans vergogne, mais finalement je suis partagé. Car aussi bancal se révèle le résultat, le potentiel est bien là. Cette ouverture verticale dans la brume c’est quasi Aguirre qui réapparaît. Le convoi de camions qui la supplante, roulant pleine boue, ça respire le Sorcerer. Ça manque sans doute déjà d’un parti pris plus tranché – les séquences sont beaucoup trop brèves, on sent que ça découpe sévère en coulisse – mais impossible de ne pas ressentir une envie de cinéma, une inclinaison mégalo et une invitation dans les ténèbres. Malheureusement le film se gâte vite. Déjà avant de rencontrer Molasor, alors après…

     Le plus problématique est in fine d’accepter qu’il a dans son sillage trois imposantes bornes. D’abord, j’en parlais, la promesse d’un The thing dans les Carpates, avec une créature qui n’imite pas ses hôtes mais qui se nourrit de la haine nazie, pure incarnation du fascisme, qui projette de les anéantir en échange de sa libération. Ensuite que le film soit entouré de deux autres invitations plus convaincantes, aussi populaires qu’audacieuses, riches que légères, que sont Les aventuriers de l’arche perdue et Le temple maudit. S’il ne piétine pas non plus ses plates bandes, s’aventurer sur un terrain plus propice à Spielberg n’était pas chose aisée. Ce d’autant plus lorsqu’on est plutôt un cinéaste urbain ayant fait ses débuts dans le néo noir. Et pour finir d’oublier qu’on décèle dans The keep, formellement du moins, les restes, les miettes d’un Blade runner. Et puis musicalement Tangerine dream y déploie des ébauches de trésor qui évoquent ceux de Vangélis ; Quant à Alberta Watson, forcément ce visage, ce regard rappellent ceux de Sean Young, mais Eva Cuza n’est pas Rachel, loin s’en faut. A vrai dire, on s’en fou même un peu beaucoup de chacun de ces personnages, dans La forteresse noire. C’est l’un des nombreux problèmes du film, qui semble d’ailleurs n’être qu’un amas de problèmes. Il y a des films à problèmes comme Apocalypse now. Et il y a les films à problèmes comme The Keep.

     S’il a tout du film ovni, il faudra se contenter de l’imaginer, tant on assiste surtout à son naufrage. Et quand on sait les secrets de sa fabrication – décès du spécialiste des effets visuels durant le tournage, pré production entamée avant que le scénario soit terminé, une réécriture permanente, un tournage interminable, de gros incidents météorologiques, un montage saccagé de moitié par la Paramount qui souhaitait un film d’une heure et demi quand Mann leur a pondu un pavé de 210 minutes – rien de surprenant, encore qu’il est miraculeux de voir un résultat aussi prometteur et passable, raté mais fulgurant. Autre problème de taille : Les effets spéciaux, cheap à souhait, avec notamment l’apparition gênante de son monstre en caoutchouc, poussent le film sur les rives, non pas du nanar, mais du chef d’œuvre manqué, qui fit par ailleurs un bide colossal. On sait ce qui suit, évidemment, mais on peut largement dire que Mann revient de très loin.

Adoration – Fabrice Du Welz – 2020

42. Adoration - Fabrice Du Welz - 2020Dans la brume insipide.

   3.0   Il semble qu’Adoration soit le troisième volet de la trilogie des Ardennes, après Calvaire et Alléluia. J’aime beaucoup écouter du Welz en général, notamment quand il évoque sa passion pour Terreur aveugle, le chef d’œuvre de Fleischer : ça transpire l’amour pour le cinéma de genre. Mais voir un film de du Welz c’est déception sur déception, me concernant. Des intentions chaque fois prometteuses pour un résultat vain. Adoration n’y échappe pas. Et si c’est celui de ses films qui me « déplait » le moins à ce jour, c’est probablement parce qu’il s’agit de son moins absolutiste, moins rugueux, son moins stimulant aussi. Difficile d’être passionné et encore moins ému par ce long glissement vers l’ennui de deux jeunes amants en fuite, ce conte enfantin façon Hansel & Gretel, sans vie. Déjà parce que les deux « gamins » ne dégagent rien – Et pourtant ils étaient bons chez Haneke, pour l’une, Legrand, pour l’autre – et surjouent maladroitement stupeur et crise de folie. Ensuite parce que le film est mal exécuté, les rencontres (avec le couple, puis avec Poelvoorde) complètement ratées. Et si l’on songe d’abord au Kes, de Ken Loach puis à La nuit du chasseur, de Laughton (qui semble être La référence avouée de l’auteur) difficile de ne pas sentir Adoration écrasé sous leur poids. On retiendra au moins un truc : La photo brumeuse, irréelle de Manu Dacosse. 

Au royaume des cieux – Julien Duvivier – 1949

43. Au royaume des cieux - Julien Duvivier - 1949Bande de filles.

    6.0   Le film se déroule dans une maison de redressement pour jeunes femmes. Maria y entre pour un larcin mais ne vit que pour ses retrouvailles futures avec Pierre, l’amour de sa vie, qui, elle en est persuadée, lui écrira et parviendra à la tirer de là. Le film s’amuse de leur connexion, relayant les pensées de l’un vers l’autre, c’est plutôt mignon. En parallèle il y a la vie carcérale dans le dortoir. Les moments de repas, ceux au lavoir. Les filles qu’on punie au trou pour avoir tenté de s’évader, celles qui lancent des grèves ou celles qui au contraire ont pleinement accepté leur sort. Si Duvivier parvient à y insuffler beaucoup de vie, notamment à exploiter les caractères bien trempés de nombreuses d’entre elles, leur histoire respective, les dialogues signés Henri Jeanson sont souvent trop cinglants et la lourdeur de leur ton enferme le film dans une dimension trop théâtrale.

     Néanmoins il compense par sa densité. D’abord en nous plongeant aussi au cœur du système pénitencier, aux côtés de ces femmes qui s’affrontent par leurs différences de méthodes : Le film s’ouvre d’ailleurs sur le décès soudain de la directrice, une vieille femme juste et humaine, frappée d’une crise cardiaque, mais qui semble plutôt avoir été empoisonnée par celle qui sera sa remplacente et qui sera autrement plus tyrannique et cruelle, misant son va-tout sur l’humiliation de ses pensionnaires. Ensuite, Au royaume des cieux a l’idée à la fois très réussie plastiquement mais sans doute trop symbolique (la tempête dans la tempête) de l’accablement climatique avec le crescendo des fortes inondations qui assaillent la région, offrant de jolies scènes qui peuvent rappeler Murnau. Bref, le film est assez beau, par moment. Et si la révolte manque un peu de panache, d’émotion et d’équilibre, il y a de l’idée.

L’innocent (L’innocente) – Luchino Visconti – 1976

25. L'innocent - L'innocente - Luchino Visconti - 1976Damnation.

   5.5   Ultime film de Visconti, qu’il dirigea de son fauteuil roulant, paralysé par une attaque, peu de temps avant sa mort – Et le film transpire cela, la déliquescence de son auteur, l’imminence de sa disparition – il règne dans L’innocent le parfum du charme viscontien, intime et somme. C’est une fois de plus de la chute d’un empire dont il est question, ici celui d’une famille aristocratique, jusqu’à la destruction de son fondement pur. Le meurtre de la progéniture puis le dernier honneur en réponse à cette cruauté morbide : Le suicide.

     Tullio est un homme froid, égoïste et psychotique. Marié, il vit une relation sulfureuse et tumultueuse avec sa maîtresse, Teresa. Son épouse, Giuliana est au courant et supporte en silence ces affronts perpétuels, jusqu’au jour où elle rencontre un écrivain à succès, Filippo d’Arborio. À la suite d’une nuit avec lui, elle se retrouve enceinte. La suite est toute tracée, pessimiste, implacable. C’est un film froid comme la mort. Si j’y reste à distance, comme souvent avec Visconti, je suis impressionné par la capacité qu’il a de parachever son œuvre de la sorte : Un dernier trait, intime et colossal.

Apocalypse now – Francis Ford Coppola – 1979

10. Apocalypse now - Francis Ford Coppola - 1979This is the end.

   10.0   En ces temps troubles, de confinement pour un horizon inconnu, parmi les gros manques, sans surprise il y a la salle de cinéma. Deux mois sans voir un film sur grand écran – Le très beau Dark waters, de Todd Haynes, le 2 mars, en ce qui me concerne – c’est terrible. Un peu le sentiment d’être le capitaine Willard coincé, hors du temps – Est-ce vraiment le début du film ou l’anticipation électrique, démoniaque de son halluciné final ? – dans sa chambre d’hôtel à Saigon. J’en avais presque oublié de dire que j’avais revu Apocalypse Now en salle, ce jour d’octobre 2019.

     Comment ne pas être impressionné par ce nouveau montage, apprécie qui plus est – et pour la première fois en ce qui me concerne – dans une salle de cinéma ? J’en rêvais de revoir Apocalypse Now dans ces conditions. Mais le revoir au moyen d’une nouvelle version, intermédiaire, plus longue que l’originale mais plus courte que la Redux, offre la sensation de le redécouvrir encore sous un autre angle, autre rythme. Ce montage de 3h pile – dit Final Cut – se rapproche de ce qu’on pourrait nommer « Perfection définitive » d’un film parfait. Plus équilibré que jamais. L’hallucination totale, évidemment.

     Après Le Parrain et son succès critique et public, suivi de près par sa non moins colossale suite, tous deux entrecoupés du sublimissime Conversation secrète qui lui valut une palme d’or, Coppola – épaulé ici de John Milius – se lance dans une autre aventure, gargantuesque cette fois, en adaptant le roman de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres. L’action s’y déroulait dans le Congo du début du siècle, Coppola la transpose en pleine guerre du Vietnam. La base du projet respire d’emblée la démesure.

     C’est l’histoire d’une mission confiée au capitaine Willard (Martin Sheen, incroyable, depuis sa chambre à Saigon jusque dans les marécages du Cambodge) de remonter la rivière, aux confins de la jungle, afin de trouver puis d’éliminer un certain colonel Kurtz, ex-officier des forces spéciales coupable de sécession en plus d’avoir dit-on créé une secte païenne dont il serait le gourou sanguinaire.

     La fascination exercée par Apocalypse now se trouve en grande partie dans l’étroite connexion de son récit et son tournage. La mission de Willard se reflète en effet dans celle tout aussi dionysiaque de Coppola, tant on sait que le film fut une véritable traversée de l’enfer, odyssée épique entre la difficulté de ses conditions de tournage aux Philippines, ses nombreux problèmes de production, la crise cardiaque de Sheen, l’obésité surprise de Brando. Il faut extirper un monstre de ce voyage. Kurtz sera pour Willard ce qu’Apocalypse now sera pour Coppola.

     Le film est évidemment traversé par des séquences aussi cultes que dantesques, qu’il s’agisse de l’attaque du village Vietcong par la cavalerie aéroportée au son des La chevauchée des Walkyries, de Wagner ; de l’introduction hallucinée, mythique accompagnée du The end, des Doors ; du spectacle de danse nocturne au surf au milieu des obus ; des longues traversées de fleuve en pirogue avant l’escale engourdie sur la plantation française.

     Peut-être le film-symbole de la démesure américaine, son appétit colonial, ses dérives aliénantes, sa démence en sourdine et son obsession pour l’autodestruction. Un chef d’œuvre absolu, évidemment.

Le solitaire (Thief) – Michael Mann – 1981

41. Le solitaire - Thief - Michael Mann - 1981La nuit lui appartient.

   9.0   Le film s’ouvre sur le perçage d’un coffre, au moyen d’une observation aussi précise et méthodique. C’est la routine de Frank : Percer des coffres forts la nuit. Le jour il est patron d’un stock de voitures d’occasion. Une simple couverture.

     Si on le compare à The Jericho mile, Thief est un film plus délicat à appréhender, au moins autant que Frank est un personnage difficile à identifier. Il y a du Jeff Costello dans ce personnage. De Melville, on n’est pas si éloigné. Mais autre chose couve.

     Thief est marqué par deux forces imposantes qui lui confèrent un statut très particulier et qui prépare le cinéma de Mann tout entier : L’importance climatique et musicale. La pluie et la nuit d’un côté, le beat de Tangerine dream de l’autre. Thief ne serait pas grand-chose sans ces deux entités, au point qu’il n’est pas interdit de trouver leur utilisation un peu envahissante ; de sentir le film accablé sous le poids d’un certain maniérisme. On y voit des voitures s’engouffrer dans la nuit, à travers des tunnels. Les enseignes lumineuses et néons des concessions automobiles se reflètent dans les capots. Il y a déjà cette dominante bleue qui crache une atmosphère électrique.

     Il s’agit donc du premier long métrage de Michael Mann pour le cinéma. Si le film se loge dans la continuité de The Jericho mile, on y ressent déjà pleinement l’esquisse de Heat. Il y a le dernier coup avant de se retirer. Le désir galopant de mener une vie normale, rangée, ici c’est une histoire d’amour et d’adoption, qui rapidement deviennent impossibles. Il y a aussi le lien indéfectible avec l’ami de prison, ici un détenu atteint d’une maladie incurable, qui le temps d’une visite au parloir entre potes de mitard, demande à ne pas crever en taule. Et il y a Frank, personnage autiste, charismatique qui excelle dans ce qu’il sait faire.

     Si le film a du Heat en lui, en gestation, il manque clairement un reflet à Frank, comme Vincent Hanna & Neil McCauley seront les reflets l’un de l’autre. Il y a du Sonny Corleone en Frank – Et James Caan est absolument parfait – on y songe notamment lors de superbes courtes focales qui permettent d’abord de le perdre dans l’immensité de la ville mais aussi d’apprécier pleinement la gestuelle si singulière de l’acteur.

     Pour nourrir ses rêves, Frank n’a au préalable qu’un repère. Un compagnon de prison, Okla, qui fait office de père spirituel. Mais il fera bientôt la rencontre de Léo. Lorsqu’il perd son père de substitution, Frank perd ce qui lui servait d’équilibre et va brièvement le retrouver en Léo et ses grandes promesses. En se mêlant à la mafia de Chicago, Frank pactise avec le diable car il comprend qu’on peut lui exaucer ses souhaits de fonder une famille en échange de sa liberté. Entre ces deux entités (Okla, le bon qui s’évapore et Léo, la brute, qui le dévore) Frank perd pied.

     Il s’e remet à une photo. Un collage qu’il trimballe probablement depuis la taule, quand il devait orner une cloison de sa cellule. On y aperçoit une photo d’Okla, une maison, une Cadillac, le visage déchirée d’une mère, des enfants, des têtes de mort. Entre autre. C’est un bout de papier qui semble réunir tous ses fantasmes et cauchemars. Un collage comme d’autres arborent des tatouages. Comme un symbole, il finira chiffonné et jeté après que Frank ait volontairement incendié sa maison et sa concession automobile. L’espace d’un instant, ce collage évoque la photo de Sara Conor que Kyle Reese perd à son tour dans les flammes, dans Terminator, qui sort quelques années après Thief. S’il ne meurt pas, Frank disparait dans la nuit comme Kyle s’évapore dans le temps. Il n’a même plus de rêve en poche.

     Heureusement, la trace lumineuse laissée par ce diamant noir, c’est ce couple magnifique formé par James Caan & Tuesday Weld, qui éclate lors de cette longue scène au diner : Neuf minutes de discussion durant lesquelles Frank raconte son histoire, explique sa philosophie de la vie, que la bande-son, discrète, accompagne de bruits autoroutiers. Il y aura d’autres instants entre eux, d’une intensité sidérante. Définitivement, Jessie est l’un des plus beaux personnages féminins de la filmographie de Mann.

     Comme on sentait dans The Jericho mile que Mann avait investi la prison de Folsom, Thief respire le projet de quelqu’un qui a rencontré de vrais voleurs. Et il ne s’agit pas que de rencontres passées, Mann s’est carrément entouré de flics et d’anciens flics. Mais aussi de perceurs de coffre. Quitte à filmer un milieu, autant s’imprégner de la réalité de ce milieu : Adage qui va parcourir l’ensemble de sa filmographie. Ici aussi il s’agit de faire en sorte que les acteurs paraissent aussi compétents que les personnages qu’ils incarnent, qu’importe s’il faut leur faire manier perceuse magnétique très lourde ou lance à oxygène dangereuse.

     Thief est très imprégné des années 70, il transpire l’authenticité brute, le bitume, la sueur, et dans le même temps il se laisse gagner par le flux cotonneux, glamour des années 80, ses néons, sa musique. On pense pas mal à Friedkin devant Thief. Et on se dit qu’il pourrait former le chainon manquant, formellement, entre Sorcerer et To live and die in L.A. En somme, si l’on devait citer un film qui amorce les années 80, Thief serait un candidat idéal.

     C’est un polar et bien plus encore, qui préfigure aussi le cinéma de James Gray. Il y a quelque chose d’infiniment crépusculaire là-dedans et ce ne sont pas les brefs instants de légèreté (Sur la plage, notamment) qui vont l’atténuer. Un film nocturne qui rappelle aussi bien le Driver, de Walter Hill que Le deuxième souffle, de Melville. Difficile de ne pas y voir aussi les prémisses du Drive, de Winding Refn.

The addiction – Abel Ferrara – 1996

37. The addiction - Abel Ferrara - 1996Pecco ergo sum.

   4.5   Très chic et toc, ce film de vampire métaphore de la toxicomanie, pour du Ferrara. On dirait du mauvais Jarmusch, par instants. Le film est notamment écrasé par son noir et blanc trop brillant, ses forts contrastes. On dirait le premier film d’un universitaire. S’il est ancré dans le récit, tout le délire christique et le discours philosophique (ça cite volontiers Nietzsche, Dante, Sartre, Kierkegaard, Heidegger) doublé d’images de massacres (Lili Taylor incarne ici une doctorante en philo obnubilée par les génocides du siècle) est d’une lourdeur telle, que le film semble coché toutes les cases / tares des mauvais films d’auteur. Il y a bien des choses à retenir comme la première attaque, puissante, en pleine ruelle, cette manière « sous le manteau » de filmer les rues new-yorkaises, puis l’apparition de Peina incarné par le toujours génial Christopher Walken. En fait, j’aurais adoré y voir quelque chose de plus sale, cru et fauché dans la lignée du cinéma des Safdie aujourd’hui. The addiction aurait mérité d’être muet, d’autant que son atmosphère sonore est riche, ténébreuse. C’est dans ces moments-là, notamment la séquence d’orgie meurtrière, qu’il est traversé par de superbes fulgurances.

La veuve Couderc – Pierre Granier-Deferre – 1971

34. La veuve Couderc - Pierre Granier-Deferre - 1971Canal et solitudes.

   7.0   Une adaptation de Simenon très classique mais élégante. Avec Signoret & Delon tous deux parfaits chacun dans leur rôle, qui ne phagocytent jamais le film. Quant à Granier-Deferre il prend le temps de filmer la vie de ce curieux périmètre de Côte d’or, autour du canal entre Champagne et Bourgogne, ainsi que le pont-levis de Cheuge, renfermant un cours d’eau et une écluse, bordées par des fermes, ainsi qu’un lavoir où tout le village se réunit pour son linge. Et au centre du récit l’histoire, violente, cruelle d’une famille paysanne, en l’occurrence un désaccord de terrain au cours duquel une veuve affronte la haine au quotidien d’une belle famille qui ne rêve que de sa ferme.

     Puis il y a l’arrivée de l’étranger, ce fuyard taiseux, mystérieux, qui sera bientôt l’employé de la veuve Couderc mais aussi un peu son protecteur, avant qu’il ne soit séduit par la jeune voisine d’en face, qui est aussi la nièce de la veuve. La tragédie est à plusieurs entrées et se joue dans un espace-temps très réduit, avec ses moments de grande légèreté et d’autres plus graves, notamment cette angoisse de la délation qui couve. Au roman de Simenon, Granier-Deferre choisit d’accentuer le romanesque plutôt que son aspect délétère, mortifère, en modifiant la situation de l’étranger (d’ancien détenu il devient l’évadé) et la résolution du récit. C’est un très beau film.

Vingt-quatre heures de la vie d’un clown – Jean-Pierre Melville – 1947

31. Vingt-quatre heures de la vie d'un clown - Jean-Pierre Melville - 1947L’amour du cirque.

   6.0   Premier film et unique court métrage réalisé par Jean-Pierre Melville, Vingt-quatre heures de la vie d’un clown propose comme son titre l’indique de passer une journée en compagnie de Béby, alors vedette du cirque Medrano de Paris. Si cet amour pour les clowns apparaît peu dans la filmographie du réalisateur du Samouraï – qui disait qu’avant d’aimer le cinéma il aimait le cirque – on y trouve déjà, au moyen d’un précis quasi documentaire, cette peinture de la solitude et de la répétition, d’autant plus surprenante qu’il le suit moins dans ses numéros comiques qu’en dehors, lors de son retour à la maison, dévoilant son ingratitude envers sa femme, sa complicité avec son chien, sa volonté de se réfugier dans de vieux albums photos. Melville recherche moins le clown qui fait rire les enfants que l’homme triste sous le maquillage. L’autre particularité du film c’est que les dialogues (et pensées de son personnage) de cette petite chronique sont intégralement donnés off par Melville lui-même, occasionnant une narration plutôt originale. Et ça fonctionne. Ça participe de cet aspect conte. Bref c’est une chouette curiosité.

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