Publié 5 juin 2020
dans Bruce Conner
Be kind rewind.
6.0 Clip halluciné qui décompose le corps de la danseuse et chanteuse Toni Basil aka Antonia Christina Basilotta, qu’elle soit nue, presque nue ou habillée, arborant nuisette blanche ou collants à pois. En fragmentant chacun de ses mouvements par une suite de photogrammes isolés le film fait naître, par effet stroboscopique, ce corps qui danse, qui flotte, qui vole. Ça ne dure que le temps de la chanson, soit 2 minutes et 30 secondes avant que le film ne reparte, mais en arrière, images et son mêlés, formant un palindrome inattendu. Le clip dans sa fonction visuelle n’a pas trop changé (puisque l’image y était déjà fragmentée) mais le clip dans sa fonction sonore a disparu, ne reste qu’un amas informe. C’est aussi barré que réjouissant.
Publié 4 juin 2020
dans Yves Allégret
Morte saison.
6.5 Si le film est tourné à Barneville et non à Berck comme initialement prévu, la ville, elle, n’est jamais citée dans le récit. C’est un lieu mystérieux, hors du monde et du temps. On sait juste ce que l’on y voit : Quelques maisons en surplomb de la plage, désertée et un hôtel miteux. La pluie, ininterrompue, se charge du reste. Il pleut à torrents, interdisant même aux larmes des laissées pour compte de couler. Il y a un crime passionnel en filigrane, mais il y a surtout le crime perpétuel fait aux enfants de l’assistance publique, abominablement utilisés lorsque la vie active les récupère. C’est la grisaille de la France de l’après-guerre jalonnée de destins qui ne verront jamais le soleil, préférant se réfugier dans des vestiges de la guerre, ces fortins tout aussi désolés. Sous ses airs de titre chaleureux, estival, Une si jolie petite plage, d’Yves Allégret (dont je n’avais jusqu’ici seulement vu (et plutôt aimé) Les orgueilleux) est un film froid, boueux, terrible. Gérard Philippe y est triste, taiseux, désespéré. Et c’est aussi la limite du film : Il ne décolle vraiment jamais, n’offre aucune espèce d’esquisse d’une éventuelle issue. La photo d’Henri Alekan est superbe.
Publié 3 juin 2020
dans Luc Moullet
Visages villages.
6.5 Bien avant les roubines des Contrebandières ou d’Une aventure de Billy the kid, Moullet les avaient filmées à Mantet, dans les Pyrénées et à Mariaud dans les Alpes, deux villages qui privés de routes, d’eau et d’électricité ont plus ou moins cessé d’exister. Au cours des dix-neuf minutes que forment Terres noires, son deuxième essai après Un steak trop cuit, Moullet ouvre la voie qui sera la sienne du document ethnographique parodique, qui malgré ce ton distancié très léger n’omet pas d’évoquer l’abandon de ces zones rurales et in fine d’être un hommage moins loufoque qu’émouvant. On se dit que Terres noires est le film d’un randonneur égaré, troublé par la vue d’un monde oublié de la société, miracle rescapé de la brume montagneuse.
Publié 2 juin 2020
dans Richard Fleischer
La mémoire dans la peau.
6.0 Un ancien prisonnier des camps japonais se réveille d’un long coma quelques années après la fin de la guerre. Il est accusé d’avoir trahi un co-détenu et risque la cour martiale. Sauf qu’il est à moitié amnésique et ne se souvient pas du tout d’avoir provoqué l’exécution de son ami. Il s’évade de l’hôpital naval et se met à la recherche de sa veuve. Il y a évidemment du Hitchcock là-dedans – C’est La mort aux trousses, c’est Le faux coupable – mais il y a aussi les prémisses de L’énigme du Chicago express (que Fleischer réalisera six années plus tard) d’une part car le climax du film se déroule aussi à bord d’un train, d’autre part car c’est un singulier duo que Le pigeon d’argile nous demande de suivre. C’est un film très ramassé (Soixante minutes, pas plus) au sein duquel Fleischer se montre déjà très à l’aise dans le déploiement de son intrigue et de son suspense. Il y a quelques maladresses, des choses très appuyées, visant à faciliter la compréhension du récit, notamment les deux flashs mentaux très pratiques. Ou bien sûr le retournement rapide de la veuve du défunt qui n’est pas suffisamment bien écrit / hyper bien incarné pour qu’on y croit. Si le film est jalonné de jolies séquences, à l’image de la course-poursuite dans le Chinatown de Los Angeles ou de celle du train, il y a surtout ce moment où notre héros se réfugie chez une jeune chinoise, qui le cache dans la chambre de son bébé, et dont il comprend, en tombant sur une photo dans un cadre, qu’elle aussi est veuve de guerre, d’un soldat asiatique. Bref, ça vaut largement le coup d’œil.