La couleur de l’argent.
8.5 Quel plaisir de revoir le tout premier Tarantino, aujourd’hui, après la maestria qui giclait de The Hatefull eights et la déflagration produite par Once upon a time in Hollywood, son chef d’œuvre.
Aussi anodine soit-elle en apparence, la première scène annonce son cinéma en devenir. Un groupe d’hommes en costume noir est attablé dans un café. On comprend qu’ils s’appellent par des noms de couleurs (afin de ne pas dévoiler leurs véritables identités) et s’apprêtent à effectuer un casse. Ils donnent chacun leur avis sur la carrière de Madonna, tout particulièrement sa période Like a virgin. Pas étonnant, puisque vierge, cinématographiquement parlant bien entendu, Tarantino l’est encore. Puis ils se disputent à propos des vertus du pourliche. C’est tout. Ça dure sept minutes, la réalisation est vivante, déjà virtuose, sept minutes qui pourraient ne servir à rien dans le film d’un autre cinéaste, mais chez Tarantino c’est un monde (de possibles) qui s’ouvre.
Ailleurs, on aurait assisté au braquage dans la foulée. Ou bien suivi chaque personnage individuellement durant les préparatifs de ce braquage. Ici c’est un générique en lettres jaunes qui résonne, sur fond de Little green bag, de George Baker Selection, pendant que notre bande de truands regagnent leurs véhicules, au ralenti. Tarantino vient d’apposer son style. La suite est à l’avenant, avec un premier virage, conséquent, surprenant : Il nous plonge au cœur de l’action, dans un étrange bain de sang, à l’arrière d’une voiture conduite par White, avec Orange qui s’est pris une balle dans le bide, agonisant lentement dans un concert de cris et de larmes.
C’est un hangar qui prendra le relais. Un lieu de repli qui verra bientôt apparaître chacun des protagonistes (vivants) du braquage (Pink, Blonde, puis Eddie & Joe) mais duquel, au présent, nous ne sortirons plus, excepté pour les accompagner jusqu’au coffre de la voiture de Blonde, stationnée devant, qui distribuera son lot de petits rebondissements supplémentaires : Un flic bâillonné puis un bidon d’essence.
C’est un huis clos génial, mais un huis clos au présent seulement. Car c’est la grande idée originale (héritée à la fois du Rashomon, de Kurosawa que de The Killing, de Kubrick) de Reservoir dogs : Des insertions de flashbacks permanents visant à nous familiariser avec les personnages, aussi bien durant leur recrutement pour le casse, que pendant leur évasion individuelle après le fiasco du hold-up.
C’est un film de bricoleur. Le scénario est écrit en trois semaines, Tarantino est alors employé dans un vidéo club et envisage d’en faire un film amateur avec le budget que lui a rapporté la vente du scénario de True romance. Le hangar où se déroule une grande partie de l’action du film est une ancienne morgue. L’appartement d’Orange est une pièce (retapée) située à l’étage du hangar. La scène du bar fut tournée quand celui-ci fermait, le samedi soir. La Cadillac blanche de Blonde est la vraie Cadillac de Madsen. Etc. Et si nous ne voyons jamais le braquage, par choix, on peut imaginer que ça découle aussi d’une obligation budgétaire.
C’est fait avec trois fois rien, certes, mais c’est écrit et joué à la perfection, réunissant un casting formidable, de Steve Buscemi à Harvey Keitel, en passant par Chris Penn et Tim Roth. C’est réjouissant de la première à la dernière seconde, un film bercé par les chansons passant à la radio dans l’émission K-Billy’s Super Sounds of the Seventies. Une merveille de film noir à la sauce Tarantino, drôle, violent, qui annonce Pulp fiction et (quasi) toutes ses merveilles à venir.
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