Total dizziness.
8.5 A l’instar de Brian de Palma, le cinéaste hollandais – qui vient de faire une entrée fracassante à Hollywood avec Robocop puis Total Recall – réactive le maître du suspense. Seulement le temps d’un film, lui. D’Hitchcock, il choisit Vertigo, auquel on pense en permanence devant Basic Instinct : Avec son ancrage à San Francisco, bien sûr, ainsi que l’obsession blonde VS brune, la femme fatale, le héros pris dans un vertige qui le dépasse, Jerry Goldsmith (et son superbe thème entêtant) qui semble vulgariser Hermann à la musique, quelques plans très iconiques aussi. C’est donc déjà une belle relecture. Mais Verhoeven maquille cette relecture en thriller érotique : Le film ouvre alors la voie à un genre particulièrement fécond (mais pas très intéressant) à Hollywood durant les années 90 – Les Harcèlement, Color of night, Sliver, Excès de confiance etc.
Rien de gratuit, pourtant, chez Verhoeven, rien qui semble fait uniquement pour émoustiller le chaland, tant sa vision du désir y est crue, malsaine et quasi abstraite, entièrement dévolue à ces deux pulsions, qui transpirent de chaque plan : Le sexe et la mort. Un Eros & Thanatos qui prend refuge frontalement tant chaque scène de cul est guettée par une pulsion de mort, qui gicle bien entendu dès la première scène – un acte torride qui vire au massacre – puis que l’on retrouve maintes fois ensuite, évidemment dès que Catherine Tramell (Sharon Stone, incandescente) et Nick Curran (Michael Douglas, un peu cabotin mais excellent) baisent, mais aussi quand ce dernier sodomise brutalement Elizabeth, sa psychiatre, pièce majeure de l’échiquier. Mais ça agit aussi de façon masquée, via le background sordide administré au personnage (mais aux autres aussi) qui place Curran, le policier, non pas du côté de l’ordre, mais bien vers une ambiguïté fragile. Rien d’étonnant à en faire un type recadré, qui ne boit plus, ne fume plus et qui au contact de l’écrivaine suspecte, va retrouver peu à peu ses travers.
Tout dans Basic Instinct se joue dans cet écrin de séduction et de danger mais à l’image de cette scène ultra iconique – Le fameux décroisement de jambes de Sharon Stone – c’est toujours la mise en scène qui gagne, qui gicle : Il faut voir comment Verhoeven parvient à faire grimper la tension, la température de la pièce lors de cet interrogatoire, à faire de ce lieu une toile, avec le suspect comme araignée, même si on a plutôt envie d’y voir une mante religieuse. La pièce est écrasante, les visages se perlent de sueur, la parole y fuse, s’y chevauche de toute part, et au beau milieu, Catherine Tramell, tour à tour calme, cynique, nonchalante, crue, fragile, sereine, élabore un terrain de jeu qu’elle sera bientôt seule à entièrement maitriser.
C’est un film aussi complexe et labyrinthique dans sa narration que dans sa forme. Capable de nous emmener où il veut en permanence, comme guidée par son personnage féminin, qui embarque Nick dans son histoire car elle-même écrivaine, utilise ses expériences vécues pour les glisser dans ses fictions : La police découvre que le meurtre de la rock ’star en ouverture était plus ou moins semblable à celui apparaissant dans un de ses bouquins. Nick Curran devient alors le point d’inertie de son livre en cours, le personnage central, Flingueur – en référence à son passé peu glorieux qui le vit buter des innocents lors d’une intervention – dont elle clame bientôt qu’il doit mourir car « Il faut que quelqu’un meurt ». Et il plonge dedans, il ne peut s’en extirper. Si l’idée du mimétisme (hitchcockien) s’impose avec sa kyrielle de personnages féminins, il est tout aussi génial de voir à quel point Catherine déteint sur Nick, qui reprend ses répliques cinglantes, lorsqu’il est à son tour interrogé.
C’est dingue comme c’est tellement largement supérieur à la simple réputation sulfureuse qui l’accompagne toujours. C’est un grand film de manipulation tant Verhoeven ne cesse de manipuler son spectateur, en lui offrant toutes les clés d’emblée mais en obscurcissant les évidences à mesure que le récit se déploie de façon à ce que tout devienne flou, vertigineux, pour nous, pour Nick, personnage tellement ambigu, peut-être tout aussi manipulateur, avant qu’il ne devienne le jouet de la plus grande des manipulatrices. Si ces deux films ont peu en commun sinon leur cachet sulfureux, j’aurais tendance à comparer Basic Instinct à Sexcrimes – qui lui, viendra brillamment clore le « genre » à la fin de la même décennie. Car ce sont deux grands films de manipulateurs, ludiques et fascinants.