This is (not) us.
6.0 Par où commencer ? Déjà dire que c’est une série aussi passionnante que problématique. Passionnante parce que problématique, au sens où trente-cinq épisodes et douze heures durant, elle ne cesse de me questionner sur mon rapport au sujet, au cadre, à la durée, l’interprétation, la bonne distance etc. En bien comme en mal, mais au moins je m’interroge en permanence devant, je ne m’y ennuie jamais.
Commençons par le début, par son effet d’annonce. Si elle se réfère par son dispositif à une série israélienne – que je n’ai pas vue – voire à son dérivé américain – que je n’ai pas vu non plus, mais il semble qu’elle en ait même copié/collé les personnages – En thérapie fait le choix d’une date, de démarrer le 15 novembre, soit deux jours après les attentats terroristes du Bataclan. Rien d’étonnant de la part de Toledano & Nakache qui sont de pures figures fédératrices. Prendre cet évènement c’est déjà faire aveu de rassembler tout le monde, d’avancer main dans la main, dans un but commun. Bref c’est un peu tout l’inverse d’un suivi psychanalytique, qui tend lui vers l’individu, l’intime.
Mais c’est surtout un point de départ mensonger, une simple opération marketing puisque la série n’en fait pas grand-chose. Deux personnages sont directement touchés, puisqu’Ariane (Mélanie Thierry), chirurgienne, était de garde cette nuit-là et qu’elle a vu arriver en nombre les blessés, et qu’Adel (Reda Kateb), inspecteur à la BRI, faisait partie du raid, mais la série va discrètement désamorcer ce déclencheur pour ne plus du tout en parler par la suite. Ceci étant, ça fait partie intégrante de ses qualités d’écriture, de prendre une direction pour finalement en emprunter une autre, elle le fait systématiquement très bien.
Mais ça reste un effet d’annonce. On aurait pu aussi bien créer cette série sans lui. Ça aurait sans doute été moins vendeur. Il ne plane pas suffisamment sur l’ensemble, cet événement, il semble plutôt là pour attirer le chaland mais pas vraiment pour construire autour de cela. D’ailleurs la série va systématiquement vers le trauma d’enfance, le conflit du père, des origines, l’exemple parfait c’est évidemment Adel. Alors on se doute bien que ce n’est pas juste le Bataclan qui le pousse à finir en thérapie mais j’ai quand même l’impression que ce n’est qu’un prétexte. Et un prétexte qui fédère. Inattaquable, en somme.
Si le contenu est riche, je m’interroge aussi sur le contenant, sur la forme. La série choisit de suivre un analysant par épisode, très bien, mais ils reviennent tous à intervalles réguliers, une fois par semaine, le même jour. Alors c’est peut-être courant dans la pratique (mais comme ce n’est pas mon cas, ça m’interroge aussi) mais du strict point de vue de la construction ça reste trop cadenassé, trop méthodique. Chaque personnage vient d’ailleurs à sa séance, il n’y a jamais d’annulation, de changement de programme. On va y glisser un retard ici ou là, de façon à y injecter du réel, mais rien qui n’enraye la machine bien huilée.
On peut se dire que cette machine, huilée, s’aligne sur une autre, Dayan, le thérapeute, incarné par Frédéric Pierrot. Et vu sous cet angle on y croit davantage en effet. C’est d’ailleurs lorsqu’il sort vraiment de ses rails que la machine se disloque un peu, qu’on sort du cadre, qu’on perd un patient, mais il faut attendre les derniers épisodes, tout simplement car c’est une série qui pense avant tout son spectacle, son suspense, ses rebondissements, mais pas du tout le réel d’une psychanalyse. C’est aussi un aveu de faiblesse de faire de Dayan le personnage le plus passionnant, contre la multitude de personnages. Il n’a plus de secret pour nous. Du coup on a toujours un temps d’avance sur les analysants. Il me semble qu’une série comme Tell me you love me réussissait cela avec un bien meilleur équilibre : Faire exister la psychothérapeute tout en lui préservant son opacité, de façon à ce qu’elle ne gagne pas contre les autres personnages.
Un problème qui en appelle un autre : Du point de vue de la mise en scène, tandis qu’on a de multiples réalisateurs de cinéma, par ailleurs très différents habituellement, se partageant la réalisation du projet, on ne voit strictement aucune dissonance d’un épisode à l’autre, tout est filmé de la même manière, aussi bien le cadre, les champs-contrechamps, que les durées, les silences. C’est du scénario, filmé platement. Efficacement mais platement. Je rêvais d’un épisode en plan fixe unique, façon McQueen dans Hunger. D’un autre où le hors-champ serait roi. D’une partie de ping-pong verbale étouffante façon Fincher. De voir s’imposer une forme. D’autant qu’ils semblent se partager les personnages : Salvadori s’occupe de Camille, Pariser de Léonora & Damien, par exemple.
Un autre grief pourrait s’appuyer sur son obsession narrative. Comme il n’y a pas d’action, de flashback, de faits concrets sur lesquels l’image se réfère, c’est la parole qui permet la narration. Et c’est une parole beaucoup trop volubile, trop écrite. Une parole qui raccorde avec le ton général des patients, qui sont tous en résistance. La seule qui ne le soit pas est en plein transfert. Mais c’est une résistance qui s’assagit. Chacun finit par accepter de parler, de s’ouvrir, même les plus réfractaires comme Adel ou Camille. En un sens, la série fait l’éloge de la psychanalyse. De sa réussite, son efficacité : Le récit s’étire sur deux mois et tous les axes seront bouclés. Mais elle rappelle néanmoins qu’elle est une série avant tout. En détruisant donc le radicalisme de la psychanalyse : Refus du vide, du silence, de l’incohérence, de l’inachevé. Eloge du plein, de la parole, du storytelling. Deux des six patients, tandis qu’ils ne se connaissant pas au départ, finiront même par coucher ensemble. Une patiente connait la fille de son analyste. Ce sont des pirouettes scénaristiques.
Pourtant, En thérapie, trouve des instants très beaux, où le dialogue s’amorce, bifurque, rebondit – bien aidé par ces petites notes de piano qui ne cessent de nous guider laborieusement. Elle est meilleure quand elle fait naître des creux (c’est rare) que lorsqu’elle les fabrique, un peu à l’image de cette réplique récurrente « C’est ma dernière séance » qui revient chez chacun d’eux, d’un téléphone qui sonne ou d’une envie de pisser. La scène analytique devient trop souvent scène théâtrale. Ou du mauvais vaudeville vers la fin, quand elle fait entrer les pères, celui de Camille, celui d’Adel. Un vrai problème. Les sommets (de vulgarité) c’est évidemment la fausse couche pendant l’analyse ainsi que la thérapie de couple que l’analyste entreprend chez sa contrôleuse. N’importe quoi.
Je continue de penser que le duo Toledano/Nakache aussi attachant soit-il n’est rien qu’un porte-parole réconciliateur un peu niais, qui revendique le Nous sans se soucier de penser qu’on peut ne pas intégrer ce Nous. Rien de grave s’il s’agit d’un film comme Nos jours heureux (qui manie la légèreté d’une colo) ou Hors normes (son ouverture d’esprit) en revanche c’était déjà un peu problématique sur Le sens de la fête, car c’est un problème social. Ici on pourrait toucher à quelque chose de politique par la dimension psychique mais ça ne les intéresse pas non plus, ce qui leur importe c’est le Nous. Ce n’est pas un Nous péjoratif, c’est juste que c’est un Nous qui en effet va à contresens de la thérapie.
Cette tyrannie de la normalisation trouve bien entendu son expression la plus superficielle ici avec ce non-traitement des attentats. C’est très pratique, en somme : Parler des attentats mais pas trop, montrer des analysants en résistance mais pas trop, être radical dans la forme mais pas trop etc… Ni dimension politique, ni problématique sociale, la série ne se mouille jamais, ne tranche pas (dans la forme comme dans le fond) et reste persuadée qu’il y a une solution psychanalytique à tout. Même rapide. Qu’il s’agisse ou non d’un happy-end, il n’y a pas de place au mystère, à l’irrésolu.
Et pourtant, paradoxalement, ces trente-cinq épisodes m’ont sans cesse interpellé, fasciné, parfois (beaucoup) ému. Sa grande réussite, je crois qu’elle la doit à ses personnages, surtout à leurs interprétations. Tous sont excellents, Céleste Brunnquell en tête, dans le rôle de Camille, de loin mon personnage préféré. Mais voilà on en revient aux moteurs d’une série tout ce qu’il y a de plus standard et non aux vertus de la psychanalyse. Si on voulait être plus honnête ça ne devrait pas s’appeler « En thérapie » mais « This is us ».
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