L’idiot fait mouche.
7.0 Soit le film par lequel je suis retourné au cinéma, lors des réouvertures. Il a certainement bénéficié de cet état d’esprit festif. Et il m’a offert ce dont j’avais besoin : Une récréation hors du temps. Mandibules semble en effet affranchi des affres de notre époque qui transpirent dans la plupart des films qui sortent ces temps-ci, évidemment. Ne serait-ce que par sa lumière, le film dénote. C’est une lumière à la Dupieux, très solaire, entre la Californie et le Var. Elle est presque américaine – Proche de Réalité (2015), en un sens : éclatante mais vaporeuse, un peu comme elle était grise et douce dans Le daim, son précédent film. Aussi par son ambiance, les objets, les vêtements, les styles, Dupieux prend plaisir à réactiver les années 70 sans être dans le fétichisme pur.
Par ailleurs, c’est un film un peu paresseux, comme souvent chez Dupieux. C’en est presque sa marque de fabrique. Ici, il s’arrête même quand il pourrait démarrer. Au départ ça pourrait être un pitch de film noir mais très vite l’absurde revient : Une histoire de mallette mystérieuse à livrer, qu’il faut cacher dans le coffre d’une voiture. Affaire confiée à un pauvre type, Manu, qui convie son pote Jean-Gab, en l’échange de cinq cent balles. Mais ils vont bientôt découvrir que le coffre renferme aussi une mouche géante. Oubliée, la mallette et ce qu’elle peut faire gagner : Et si domestiquer une mouche n’était pas plus efficace en terme de rentabilité ?
L’idiot permet tout. De Dostoïevski à Dumb & Dumber, en passant par Les Idiots de Lars Von Trier. Par ailleurs le duo d’idiots ne déteint pas sur le reste du casting contrairement à ce qu’on en fait généralement dans les films, notamment dans les buddy-movie, où si les personnages principaux sont cons il faut que les personnages secondaires le soient aussi. Ici ce n’est jamais le cas. Ils sont bizarres (l’entremetteur au début, le riche et son dentier en argent, Michel Michel, le frère ou les flics) mais jamais cons. Dupieux ne se moque jamais des autres personnages, ne les humilie pas. Mieux ils sont parfois plus beaux, émergent de nulle part : Adèle Exarchopoulos ici « J’AI FAIT DES PAUPIETTES DE DINDE » ou Adèle Haenel dans Le daim.
Là c’est le versant naïf de l’idiotie. L’enfance. Taureau ! Le film est d’ailleurs totalement désexualisé. Un peu à l’image d’Adèle justement, dont il renverse le pouvoir érotique qui l’a fait naître chez Kechiche. C’est l’objet qui devient érotique chez Dupieux. Un pneu, une veste en daim. Ici peu de matière érotique, il y a même un gag avec un vélo à tête de licorne. Peu d’érotisme, mais une approche frontale de l’insecte. Par ailleurs, la mouche s’appelle Dominique. Qui est un prénom mixte, et même un prénom épicène, puisqu’il est homographique.
On peut aussi se poser la question si le film est pour eux ? Pour les gars du Palmashow ? Pas vraiment non plus, tant ils n’incarnent pas le prolongement de ce qu’ils font habituellement. Dupieux préserve la sève de ses stars de l’humour, pour les contourner, les malaxer et en tirer une version de lui-même : Ludig & Marsais par le prisme Dupieux, comme ce qu’il avait tiré d’Eric & Ramzy il y a quinze ans. On les retrouve sur un plan, iconique, le tout dernier, lorsque David Marsais regarde la caméra. Soudainement ça évoque « Les petites victoires » on y entendrait presque la petite musique habituelle.
Le film avance assez peu finalement. Il n’y a pas d’enjeu. « Retour à la case départ » dit Manu (à moins que ce soit Jean-Gab) à la fin. Le discours final méta car il y a toujours du méta dans les fins de film de Dupieux, est peut-être son plus réussi tant il rappelle que l’intérêt c’est le voyage, c’est l’amitié, c’est le film et non sa résultante. C’est la mouche et non ce qu’elle devient. C’est le plaisir de tourner et de sortir un film sans pour autant raconter quelque chose de notre monde. Car là où beaucoup vont s’empresser de raconter notre monde, actuel, de s’en plaindre et de s’y complaire, Dupieux propose une vision alternative. Et ce n’est pas grave si la mouche ne ramène pas les bananes, entendre ce n’est pas grave si le film ne marche pas. Elle est là, il est là. Ça existe. Le film a ceci d’actuel qu’il nous permet de nous rappeler qu’on existe.
Pour aller plus loin, voici notre petite vidéo d’analyse, écrite à quatre mains, sur notre chaine Lanternes & Cervoises :
https://www.youtube.com/watch?v=8g2HhfNALd4
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