Les damnés de la nuit.
8.0 Pour son deuxième film – mais le tout premier qu’elle réalise toute seule – Kathryn Bigelow souhaite faire un western. Le studio refuse. Elle trouvera un autre moyen d’imposer ses partis-pris. En effet, Near dark sera un film à la croisée de deux genres : Le western et le film de vampires. A l’époque, le premier est en berne (il faudra attendre le retour d’Eastwood quelques années plus tard, avec Impitoyable) quand le second est en vogue : La même année sort Génération perdue (The lost boys) de Joel Schumacher, responsable probable du bide en salle de Near dark. En effet, le film ne marche pas du tout. Il disparait, avant de refaire peau neuve dans son exploitation vidéo, où il gagnera rapidement un statut de film culte.
En résulte un film aussi inégal que fascinant, une sorte de croisement nocturne entre La horde sauvage (qui est crânement cité le temps d’une scène dans un motel assiégé), Bonnie & Clyde et Mad Max. C’est un film de vampire débarrassé de ses attributs gothiques, plus à l’os, le nez dans la poussière plutôt que dans la mythologie : Pas de canines apparentes ni d’ail, le mot vampire n’est même jamais prononcé. On sait juste qu’ils sont allergiques aux rayons du soleil. On y trouve néanmoins tout l’aspect sensuel, glauque, violent et romantique cher au cinéma – en gestation – de Bigelow. Un peu comme le premier Terminator (toute proportion gardée) auquel on pense énormément, notamment durant la scène du camion. Rien d’étonnant en soit, puisque les deux films partagent le même chef opérateur : Adam Greenberg.
Arizona. Une nuit, Caleb rencontre Mae. Il la séduit, l’embrasse tandis qu’elle le mord, avant de disparaître. Le premier tiers du film est magnifique, complètement engourdi et fait d’une part le récit de cette rencontre puis celui d’une transformation. Puis le film bifurque. Nous fait entrer dans le quotidien de cette famille (Jesse, Severen, Diamondback, Mae, Homer) marginaux cyniques et tragiques condamnés à errer la nuit, hors du temps et à tuer pour survivre. Plus tard il y a deux grandes scènes fulgurantes. Un massacre dans un bar d’abord, pur moment de violence glauque et jubilatoire – dont on dit qu’elle aurait inspiré Oliver Stone, pour Tueurs nés. Quant à celle qui suit, au motel, elle réactive ouvertement La horde sauvage, de Peckinpah, auquel on pense dès le premier plan du film avec le moustique.
Near dark est un film très vaporeux, qui préserve de grandes zones de mystères, à l’image de l’origine des vampires. Tout juste saura-t-on que Jesse était jadis un sudiste, qu’il a rencontré Diamondback sur le bord de la route et qu’ils sont tous deux responsables de l’incendie de Chicago. On apprend aussi que Mae est devenue ce qu’elle est en donnant des cours de maths à Homer qui en est tombé amoureux. Le cœur du film c’est la famille, celle qu’ils se sont créés. Celle dont on peut faire partie si on accepte ses codes, ce qui s’avère plus difficile pour Caleb qui ne parvient pas à tuer. La famille donc, mais aussi l’omniprésence de la nuit, qui évoquent assez nettement, dans un autre registre horrifique, La colline a des yeux, de Wes Craven.
Par ailleurs, Near dark est aussi un film bien ancré dans son époque, dans ses couleurs, ses filtres, son ambiance, qui plus est marquée par la musique de Tangerine dream. De loin on pense évidemment à Police fédérale Los Angeles, qui le précède (Il faut rappeler que Bigelow avait fait jouer Willem Dafoe dans The loveless) ou Miracle mile, qui le suit. On peut aussi y voir une matrice du Vampires, de Carpenter. Par ailleurs on y retrouve trois acteurs d’Aliens : Bill Paxton (complètement fou), Jenette Goldstein (carrément flippante) et le génial Lance Henriksen qui ressemble par instants, dans ses postures, à Nosferatu.
Découvrir Near dark si tardivement c’est assister au chainon manquant permettant de comprendre toute l’œuvre de Kathryn Bigelow, centrée sur la violence et l’addiction. Quoi de plus forte dépendance que celle du sang pour le vampire ? Quoi de plus violent que leur réflexe de survie, qui consiste à tuer son prochain en s’abreuvant de son sang ? Bigelow tente de filmer le jour, l’astre, les grands espaces – elle se rattrapera avec Point break – mais ici, elle est condamnée à filmer la nuit, autant que ses personnages sont condamnés à vivre la nuit et à se souvenir du jour. Near dark est un film très sale, mais graphiquement, le film est somptueux, la lumière démente : Notamment lors de la très belle rencontre nocturne, ces silhouettes aux clair de lune sur la dune ou ces corps qui flambent à la fin.