À cœur ouvert.
8.0 Il y a deux ans, Asako fut l’une de mes plus belles découvertes surprises. De Ryusuke Hamaguchi, il faut toujours que je me penche sur son film fleuve, Senses. Je le garde précieusement celui-là, attendant le moment le plus adéquat. Drive my car m’aura plongé dans un tout autre état. Mais assurément, il sera dans les hauts faits de l’année, lui aussi.
Difficile d’en parler sans en dévoiler son cœur : Encore un de ces films où mieux vaut ne rien en savoir quand on l’appréhende, tant il surprend sans cesse, nous saisit, nous perd et vogue ainsi trois heures durant, dans un vertigineux film de deuil, de solitudes et de rencontres, avec autant d’assurance que de fragilité.
Drive my car c’est d’abord le portrait d’un homme, Yusuke Kafuku, metteur en scène de théâtre, qui accepte de monter « Oncle Vania » dans un festival à Hiroshima. Hamaguchi impressionne tant il semble revisiter avec une aisance confondante aussi bien la pièce de Tchekhov que la ville japonaise et sa triste mémoire.
Pourtant, le cœur du film se jouera ailleurs : Dans une Saab 900 turbo rouge. En effet, Yusuke fera connaissance avec la mutique Misaki, chargée de le conduire au quotidien. Bientôt il se confiera à elle durant ces longs trajets et de ces confessions nait sa reconstruction. Avant cela, Misaki aura accès à Yusuke par l’intermédiaire des cassettes enregistrées, écoutées durant chaque trajet, sur lesquelles on entend les dialogues de la pièce que Yusuke se passe en boucle afin d’en maitriser toute la profondeur.
Une grande partie de Drive my car se joue aussi dans la construction théâtrale : Sa conception, ses répétitions et sa représentation finale. Ainsi, la parole tient un rôle important et la grande particularité de cette troupe, selon le vœu du personnage metteur en scène, est de constituer une équipe au pluralisme linguistique. Ainsi chacun joue dans sa propre langue : anglais, coréen, japonais. Il y a aussi une actrice muette.
Ainsi, la force de Drive my car se loge dans la parole, détournée ou frontale : C’est elle qui guide les soubresauts intimes de chacun. Dans son absence aussi, tant le silence qu’impose longtemps Misaki raconte déjà son histoire, sa propre douleur, que le film creusera aussi sur le tard, dans un dernier tiers vertigineux et déchirant.
En adaptant, d’une part, la nouvelle d’Haruki Murakami et se plaçant, d’autre part, sous le joug d’Oncle Vania, de Tchekhov, il y avait fort à craindre que Drive my car soit dévoré par cette imposante matière littéraire. C’est sans doute là que se loge sa plus belle réussite : C’est un pur geste de cinéma, vivant, radical, qui fait de son imposante durée sa force suprême, tant le film ne cesse de gagner en émotion et questionnement existentiel au fil des minutes. On dirait du Rivette.
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