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Archives pour 28 novembre, 2021

Les Intranquilles – Joachim Lafosse – 2021

03. Les Intranquilles - Joachim Lafosse - 2021« J’veux m’enfuir, quand tu es dans mes bras »

   8.5   Qu’il investisse une cellule mère-fils toxique, les prémisses d’un infanticide ou la dislocation conjugale, le cinéma de Joachim Lafosse se veut précis, froid, implacable, mais paradoxalement vivant (quand il ne se vautre pas dans l’épate binaire d’A perdre la raison) et plein de trouées inattendues.

     On sait son admiration pour Pialat, mais ce patronage assumé se loge moins dans l’idée d’une dynamique naturaliste habituelle (quand on parle de film à la Pialat, disons) que dans sa réappropriation formelle : On se souvient de cet ultime travelling dans Nue-propriété, qui faisait directement référence à celui de La gueule ouverte. Travelling arrière qui sera à nouveau utilisé dans la dernière scène des Intranquilles, avant une coupure au noir, brutale, bouleversante. Mais si l’on pense encore à Pialat, c’est cette fois moins sur une idée de plan que sur une construction de la répétition. C’est à Nous ne vieillirons pas ensemble auquel on songe et ses variations autour de la dispute conjugale. Ici ce sont les variations autour d’une montée de crise.

     Comme souvent chez Lafosse, la majorité du film se déroule à l’intérieur du foyer familial. Leila (Bekhti, incroyable vraiment, on ne l’avait pas vu aussi impressionnante depuis Une vie meilleure, de Cédric Kahn) restaure des meubles anciens, Damien (Bonnard, qui livre une performance hors-norme, très physique) est artiste peintre. Ils ont un petit garçon d’une dizaine d’année. Ils ont sans doute vécu des moments plus doux par le passé, mais le film choisit ce carrefour (sans doute parce qu’il est un carrefour créatif plus fragile pour Damien) et de nous plonger d’emblée au sein de la crise. La première scène est à cette image : Leila se repose sur la plage, elle semble sereine. Damien emmène son fils en bateau un peu plus loin. Une famille heureuse ? Les apparences sont trompeuses. Très vite, Damien stop le bateau et décide de rentrer à la nage tandis que le garçon, pas si surpris, ramène le bateau jusqu’à sa mère, qui s’inquiète mais ne semble pas plus que cela surprise non plus.

     On comprend que ce n’est pas la première fois : Damien souffre de bipolarité. Maladie dont on ne guérit pas dit-on. Maladie qui chez lui s’avère d’autant plus problématique qu’il s’en sert pour coucher ses idées sur toiles, contrairement aux médicaments qu’il doit prendre, qui ont plutôt tendance à endormir sa créativité. En effet, chaque crise le plonge dans un vertige créatif qu’il ne maitrise pas, cumulant les nuits blanches et révélant une hyperactivité au quotidien ou une totale apathie, qui perturbent constamment la cellule familiale, à l’image de cette obsession soudaine qu’il fait pour le changement d’une table ou de son irruption à l’improviste dans la classe de son fils, avec des pâtisseries plein les bras. On ne sait jamais ce qu’il va faire : S’il va courir ou s’effondrer, crier ou chanter, lever la main ou te prendre dans ses bras.

     Un peu à l’image des crises crescendos de Damien, Les intranquilles avance par blocs de séquences, privilégiant deux types de filmage : Très mobile dès qu’il s’agit de saisir l’univers de Damien, notamment quand il peint ; au contraire très posé, dès l’instant que Leila est dans le champ, de façon à d’autant plus accentuer les entrées et sorties de champ de Damien, en mouvement perpétuel. Et parfois, la mise en scène trouve une sorte d’équilibre entre les deux, comme si elle participait brièvement à leurs miettes de bonheur éphémères. Une scène dans une voiture en sera le point d’orgue, rappelant une autre sublime scène de voiture dans Deux jours, une nuit des Dardenne, La nuit n’en finit plus, de Petula Clark étant remplacée par Idées noires, de Bernard Lavilliers.

     Et le plus beau là-dedans, c’est que le film se vit en partie du point de vue de l’enfant, qu’il prend en compte son regard, ses interrogations, son désarroi, sa peine, en permanence. Rôle bouleversant tant il n’est jamais que spectateur, puisque le garçon est entièrement conscient de la maladie de son père, lui suppliant parfois de se calmer ou allant prévenir sa mère d’un danger à venir. C’est probablement la plus belle réussite du film que de lui avoir offert une place à part entière. Rien d’anodin puisque Lafosse raconte un peu de son enfance ici, lui qui dû aussi supporté la bipolarité de son père. Son plus beau film. J’en suis sorti rincé.


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silencio


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