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Archives pour décembre 2021

West Side Story – Steven Spielberg – 2021

27. West Side Story - Steven Spielberg - 2021L’amour et la violence.

   9.0   Avant sa sortie, on entendait souvent deux griefs à l’encontre du film. Tout d’abord, certains s’interrogeaient quant à l’utilité de refaire une nouvelle adaptation, soixante ans après celle de Robert Wise. Le second, que j’entendais encore dans la file d’attente en allant voir le film : « Quel intérêt d’aller voir West Side Story fait par un autre tandis qu’on connait déjà la fin de l’histoire ? ». Deux griefs qui ne prennent d’emblée pas en compte ce qui à mes yeux s’avère le plus important : La mise en scène. De mon côté je ne vais voir West Side Story uniquement pour ce que Spielberg va me proposer. D’une part car c’est un cinéaste en pleine possession de son cinéma, de ses obsessions et que le récit peut tout à fait être une matière éminemment spielbergienne. D’autre part car c’est un genre – la comédie musicale – dans lequel il ne s’est encore jamais essayé : Quoi de plus excitant, franchement ?

     Afin d’être cloué au pilori d’entrée, je tiens à signaler que je ne suis pas un fan du film de Robert Wise & Jerome Robbins. Evidemment, j’ai conscience que c’est un grand classique, un film incontournable, majestueux, avec des chorégraphies dantesques, une utilisation fascinante de son décor en studio, un crescendo tragique judicieusement construit. Mais c’est un film qui me déçoit – voire m’ennuie – sitôt son ouverture, colossale, achevée. Sans doute parce qu’il souffre, à mon sens, d’imposants problèmes de rythme. Sans doute aussi que je ne parviens pas à le replacer dans le contexte de l’époque, que voir des blancs grimés en portoricains pour incarner les Sharks me gêne, qu’entendre l’horrible faux accent de Nathalie Wood qui tentait de rouler les R me tient à distance, que l’acteur incarnant Tony est aussi émouvant et charismatique qu’un grille-pain. En réalité je suis gêné que le film soit si moderne dans ce qu’il raconte – la violence des engrenages sociaux – encore d’actualité aujourd’hui et si rétrograde dans ses moyens pour le raconter. Mais qu’importe, je comprends l’exaltation qu’il procure. D’autant que c’est peut-être la première comédie musicale aussi engagée, politiquement.

     L’ouverture du West Side Story de Spielberg se joue en deux temps troublants pour moi. Elle me sidère d’emblée, par ce premier plan très aérien – en hommage aux plans aériens qui ouvrait le film de Wise – qui vient capter les gravats, avant de s’envoler au-dessus d’un chantier (où l’on construira le Lincoln Center) et de redescendre le long d’une boule de démolition jusqu’à une bouche d’égout d’où s’extirpent les Jets. Ils sortent littéralement de la terre au milieu de ce qui s’apparente presque à une zone de guerre : de purs fantômes. Ce premier plan est déjà fou tant il témoigne de la gentrification, d’un quartier en train de mourir et donc d’un affrontement à venir entre deux bandes rivales qui se querellent pour un territoire, donc pour rien, puisque ce territoire est déjà mort.

     Et dans un deuxième temps, cette ouverture me gêne tant elle veut produire un affrontement plus réaliste : Chez Wise, Sharks & Jets ne faisaient que danser, quand bien même cette danse prenait les atours d’une chorégraphie de combat. Chez Spielberg, ils dansent mais se foutent aussi sur la gueule, s’envoient des pots de peinture ou des poubelles dans la tronche. Ça m’a semblé en apparence plus frontal, plus brutal, plus grossier. Mais c’est aussi le programme qu’il annonce : Bien sûr la danse et le chant seront moteurs du récit, mais tout sera aussi nettement plus physique, organique, jusqu’aux visages perlées de sueurs, cicatrices apparentes : Riff & Bernardo incarnent cela à merveille, ils pourraient très bien sortir d’un film de Ken Loach. Les coups n’ont plus rien de « la légèreté dansée » du film de Wise, c’est une violence nettement plus crue, qui évoque plutôt Les guerriers de la nuit, de Walter Hill. Et dans sa romance, le film ira aussi dans ce sens, il sera plus à vif, plus fragile, plus émouvant.

     Il semblerait par ailleurs que ce nouveau West Side Story soit plus proche de l’œuvre originale de Bernstein donc qu’il s’agisse moins d’un remake (du film de 1961) que d’une nouvelle adaptation du spectacle de Broadway, crée en 1958. Pourtant, il dialogue beaucoup avec le film de Wise. C’est ce qui m’a semblé si beau, ou la sensation d’une double déclaration d’amour. On raconte que Spielberg aurait été bercé, durant son enfance, par les compositions de Bernstein. On apprend à la toute fin que le film est dédié à son père, décédé cette année. C’est bouleversant tant on ressent la dimension personnelle, l’expression d’un cinéaste à cœur ouvert. D’un amour qui relève quasi du sacré. Dans la version de 1961, il y avait un vitrail dans la chambre de Maria. Il a disparu dans la version de 2021 : Spielberg le déplace et fait une scène dans une église, vitrail devant lequel Maria & Tony s’avouent leur amour, après que ce dernier ait tenté de la séduire par des mots espagnols approximatifs dont il a demandé conseil un peu plus tôt à Valentina, sa mère spirituelle : « Quiero estar contigo para siempre ». Elle rie, il lui demande de ne pas rire. Et elle lui répond les mêmes mots, en espagnol. C’est à la fois très drôle et très beau.

     Revenons un instant sur Valentina. Personnage qui n’existe pas ni dans la version de Broadway ni dans l’adaptation cinéma de Robert Wise. En réalité, Valentina sera la version réactualisée de Doc, le propriétaire de la pharmacie qui employait Tony. On apprend dans le film de Spielberg que Doc est mort il y a longtemps et que sa veuve, Valentina, a hérité de son commerce. Quel est l’intérêt d’un tel changement ? La création d’une passerelle magnifique : En effet, Valentina est incarnée par l’actrice Rita Moreno, qui incarnait Anita dans la version de 1961. Mais ce n’est pas qu’un simple clin d’œil car ce qu’en fera Spielberg dans le dernier quart, sans rien dévoiler, est l’un des trucs les plus émouvants vus au cinéma depuis longtemps.

     En réactualisant le film mais sans foncièrement changer grand-chose, Spielberg vient dire qu’en soixante ans, l’Amérique n’a pas bougé. L’Amérique pré-Kennedy et L’Amérique de Trump se ressemblent. Il ne modernise pas la comédie musicale mais prolonge l’engagement qu’en avait fait Robert Wise : Dans la version de 1961, les gangs étaient déjà violents les uns envers les autres, mais ils contournaient la marelle de la petite fille, sur le terrain de basket. Chez Spielberg, ils piétinent les dessins à la craie des deux gamins, comme ils remuent sans cesse la poussière, créée sans doute par le grand chantier dont le film s’extirpe dans la scène l’ouverture. Mais pas seulement : Outre le fait que Spielberg ne grime pas ses personnages portoricains, mais prenne de véritables interprètes d’origine portoricaines, il y a aussi une vraie plongée dans la difficulté du réel, la pauvreté et la barrière de la langue. Chez Wise les portoricains utilisaient parfois l’espagnol, mais ça sonnait faux, forcé. Ici, ils l’utilisent bien plus souvent, on les voit même se battre intérieurement pour utiliser l’anglais. C’est par ailleurs Anita qui ne cesse de rappeler à Bernardo ou à Maria de parler anglais, de s’intégrer. La langue espagnole n’est plus un simple décor, mais un vecteur du récit, aussi bien pour Anita, donc, que pour Tony, qui s’en sert pour séduire Maria.

     Dans la version de 1961 on y trouvait aussi un personnage exclu, un garçon manqué qui n’était pas accepté par les Jets. On le retrouve bien évidemment chez Spielberg mais il va plus loin : L’acteur est incarné par une personne transgenre. Tous les acteurs sont par ailleurs impeccables. Mike Faist, celui qui incarne Riff, est une révélation. Ansel Elgort, qui campe le rôle ingrat de Tony, ne s’en sort pas trop mal contrairement à Richard Beymer, l’acteur-bulot dans le film de 1961. Mais c’est bien son casting féminin qui sidère. On a évoqué le cas Rita Moreno, émouvant, c’est évident. Mais il faut dire combien les deux actrices incarnant respectivement Maria & Anita, sont magnifiques : Rachel Zegler & Ariana DeBose. Deux purs cyclones.

     C’est un film absolument parfait, de bout en bout. D’une virtuosité totale. Un enchantement permanent. Qui raconte la mort d’un monde mais le fait avec une vivacité paradoxale bouleversante. Spielberg au sommet de son art. Et pourtant, c’est un film aussi enthousiasmant par son envie de danser, chanter, vivre, raconter qu’il est mélancolique tant il ne cesse, malgré lui, d’annoncer la fin de Spielberg, donc la fin de cette forme de cinéma, dont il est l’unique représentant aujourd’hui, ayant élevé le divertissement à son point de perfection absolue. Qui aujourd’hui aurait pu faire ce film-là ? Avec ce respect et cette inventivité-là ? Sans jamais pervertir l’œuvre qu’elle adapte ni dénaturer celle qu’elle prolonge, mais tout en étant infiniment personnel. Génie.

Memoria – Apichatpong Weerasethakul – 2021

0097878The sound of earth.

   8.0   C’était méprendre – moi le premier – le grand cinéaste thaïlandais que de s’inquiéter de le voir se délocaliser en Colombie en y faisant tourner Tilda Swinton & Jeanne Balibar : Son cinéma n’a pas bougé, il est toujours aussi exigeant si l’on peine à s’y abandonner, toujours aussi doux si on y est disponible et qu’on en capte la transe.

     Memoria est né d’une expérience personnelle troublante, celle éprouvée par le cinéaste lui-même qui raconte avoir été sujet au syndrome de la tête qui explose : Un trouble du sommeil qui se manifeste par une imposante détonation ressentie avant le réveil. Un son inexplicable. Que personne d’autre n’entend.

     Partant de là, Memoria suivra – quasi de chaque plan – Jessica, incarnée par une Tilda Swinton au diapason du projet, énigmatique, lucide et fantomatique, déambulant, étrangère, dans la capitale colombienne, apparemment pour être au chevet de sa sœur malade, puis en quête d’un étrange son, avant de s’évaporer dans la jungle.

     Si l’on est familier du cinéma d’Apichatpong Weerasethakul, on retrouve rapidement son tempo et ses obsessions : pour les hôpitaux, la maladie, la forêt, les fantômes, le sommeil, la mémoire. Il faut comme souvent une scission majeure en son cœur. Celle-ci évoque celle de Kaili Blues (Bi Gan) avec ce tunnel au mitan qui nous emportait ailleurs : C’est une immense grotte qui fait office de transition entre la ville de Bogota et la campagne colombienne. Dans Memoria, le temps semble s’arrêter.

     Le film s’ouvre sur le réveil de Jessica, causé par le retentissement d’un bruit, une sorte d’explosion – « Une énorme boule de béton qui tombe dans un puits de métal entouré d’eau de mer » ou « un grondement tout droit sorti du noyau de la terre » comme tentera de le définir plus tard la jeune femme – qui nous vaut un sursaut. Aussi désemparé par cette étrange déflagration que l’est le personnage, le spectateur attend une amorce de contre-champ. Il arrivera et ne fera qu’accentuer la zone de mystères : Sur un parking (celui sur lequel donne son appartement ?) les alarmes des voitures s’animent, en chœur, jusqu’à créer une partition de klaxons d’abord désagréable puis totalement hypnotique. La couleur (du son) est annoncée.

     Memoria offrira beaucoup tout en préservant son mystère. Le film s’embarrasse ainsi peu du background de ses personnages. On apprend des choses sur eux, par instants, mais jamais rien qui soit essentiel dans le récit déployé. Ils sont globalement très peu caractérisés, sans doute de manière à ce que le spectateur y projette tout son imaginaire. Le film joue aussi sur la barrière de la langue mais sans jamais que ce soit un élément moteur et narratif. Au même titre qu’il n’appuie à aucun moment sur le déracinement de cette femme. Simplement, il prend le temps de filmer sa déambulation. Au présent.

     Dans l’une des plus belles scènes du film, un jeune ingé-son répondant au nom d’Hernan écoutera longtemps Jessica tenter d’évoquer ce son, afin de le reproduire dans sa salle de mixage. Et à l’autre bout du film, un paysan, nommé lui aussi Hernan, évoquera sa capacité à comprendre le langage des singes hurleurs qu’on entend hors-champ aux quatre coins du cadre. Le premier Hernan disparaitra comme s’il n’avait jamais existé. Le second pourra faire l’expérience de la mort et connecter Jessica à la mémoire des choses.

     C’est un film tout en vibrations. Une incantation à observer, écouter le monde d’un œil, d’une oreille nouvelle. Un peu à l’image de cet étrange son, qui bientôt nous apparait si familier. Mais ça peut aussi être le bruit d’un cours d’eau, le long grincement d’une chaise. Construit sur deux parties distinctes, ville puis jungle, Memoria perd un peu de l’homogénéité sublime qui traversait Cemetery of splendor, son film précédent ; au premier abord, du moins, car le film s’installe, ne nous quitte pas. Et si dans sa deuxième partie le film tend vers l’immobilité, le plan continue de vivre, de bouger, de fasciner en permanence. D’autant que si le son a toujours été une donnée fondamentale de son cinéma, rarement il aura été pur moteur narratif comme c’est le cas dans Memoria.

     Le film se termine sur un mystère supplémentaire, qu’on appréciera ou non. Quelque part entre une immersion fantastique à la Still Life (Jia Zhang-Ke, 2007) et une multitude de plans fixes, silencieux sur le vide façon L’éclipse (Antonioni, 1962). C’est évidemment et comme toujours avec Joe, un film qui demande de la disponibilité qui n’a d’égal que la récompense qui nous étreint, nous hante.

Palm Springs – Max Barbakow – 2021

10. Palm Springs - Max Barbakow - 2021« Good day, so far ? »

   8.0   Le récit de Palm Springs se déroule le temps d’une journée, pendant un mariage ensoleillé, dans une villa en plein désert californien. On y fait la connaissance de Nyles, petit ami d’une amie de la mariée ainsi que celle de Sarah, sœur de la mariée et demoiselle d’honneur. Ils semblent tous deux être au bout de leur vie, lui complètement désabusé, elle totalement déprimée. Leurs tortueux chemins vont se croiser.

     Présenté ainsi, Palm Springs a tout pour attirer l’afficionado malade de rom’com et tout pour faire fuir n’importe quelle personne normalement constituée. Oui mais voilà, le film de Max Barbakow, dont c’est le premier long-métrage, qu’il co-écrit avec Andy Siara (qu’on ne connait pas davantage) a plus d’une corde à son arc. La première, la plus évidente : Il s’agit en fait moins d’une énième comédie romantique que d’un film de boucle temporelle.

     Un énième film de boucle temporelle, alors ? Serait-on tentés de dire tant l’idée semble éculée aujourd’hui puisqu’Un jour sans fin (The Groundhog day, Harold Ramis, 1993) a déjà été copié maintes fois, aussi bien au cinéma (Source code ou Edge of tomorrow pour ne citer que les meilleurs, La colle pour en citer un de notre terroir ou Happy death day pour l’originalité de son cachet horrifique) que dans une pelletée de séries (Russian doll, Dark, Tru calling) ou d’épisodes sériels (X-Files, Stargate ou La quatrième dimension).

     Un film qui imite la texture conceptuelle d’un autre film souvent imité, c’est déjà mal barré. Surtout quand ce film en question est un chef d’œuvre absolu. Pas touche. Et pourtant. Première idée géniale : Palm Springs est un film qui prend en compte le fait que son spectateur connaisse Un jour sans fin. Mieux : Que son spectateur a vu les pullulantes resucées d’Un jour sans fin. « So, this is today. Today is yesterday. And tomorrow is also today. It’s one of those infinite time loop situations you might have heard about » répond Nyles à Sarah, en sirotant son soda au bord de la piscine. C’est quasi aussi méta-cool que les déclamations de Stuart dans Scream. Sans que ce soit un ressort comique pour autant.

     En réalité, Palm Springs s’ouvre comme la plupart des autres films exploitant l’idée de la boucle temporelle à savoir dans la journée au sein de laquelle Sarah va y plonger. Tout à fait banal, en, somme ? Pas vraiment car elle y rencontre donc Nyles, dont on apprendra rapidement qu’il y est, lui, déjà installé dans cette boucle. Depuis longtemps. Très longtemps. Dupliquer l’idée de base est déjà une tentative nouvelle en soi. Si on entre donc d’emblée dans la boucle et qu’il s’agit de la première de Sarah, Nyles en a lui des centaines (des milliers ?) d’avance : La rencontre n’en est que plus savoureuse.

     Une petite parenthèse sur un point non négligeable : L’idée de prendre un mariage pour cadre de boucle temporelle est pertinente dans la mesure où s’il n’y a rien de plus dépaysant que d’assister à un mariage le temps d’une journée, il n’y a rien de plus désagréable que de devoir y assister tous les jours. Une définition de l’horreur. Et puisque le film s’aligne sur son duo, il y revient très peu à ce mariage ; Ou bien il choisit un moment de la journée, puis un autre. C’est souvent nouveau. Et la plupart du temps, il ne fait que multiplier les sorties de route et les surprises.

     Nyles est incarné par Andy Samberg (Figure majeure du SNL, de la troupe The Lonely Island et croisé aussi dans Brooklyn Nine-nine). Quand on le découvre, on ne sait pas encore qu’il a conscience d’être coincé dans cette temporalité depuis belle lurette. Mais les indices sont légion tant il apparait résigné. Ne serait-ce que d’un point de vue vestimentaire : Qui va à un mariage en short de bain et chemise hawaïenne ? Sarah, quant à elle, est campée par la formidable Cristin Milioti qu’on connaissait surtout pour avoir fait le petit rôle de Madame Ted Mosby dans How I met your mother. Cette journée c’est aussi l’enfer pour elle, pour une multitude de raisons que le récit prendra le temps de faire éclore.

     Il sera d’abord question d’un voyage initiatique dans ce « nouveau monde » pour Sarah. D’abord en enchainant le traditionnel « Die and retry » du genre puis en expérimentant une infinité de possibilités offertes par ce monde ouvert. Ensuite en tentant de se racheter : Le film lui brossant un background bien charpenté. Et si son acolyte a abandonné l’idée de changer ou de s’échapper de la boucle, ce ne sera jamais le cas de Sarah.  Dimension méta redoublée quand elle se résout à croire qu’il faut faire comme dans Un jour sans fin pour se sortir de la boucle : Devenir meilleur. Précisément ce que faisait Phil Connors aka Bill Murray, en apprenant le piano et en perdant son cynisme. Mais ça ne fonctionne pas. Et si pour sortir de cette boucle, il fallait plutôt trouver une échappatoire scientifique ? Et la voilà donc à enchainer les tutoweb pour apprendre la physique quantique.

     C’est un film pop, soigné, drôle, hyper rythmé. Mais Palm springs ne lâche pour autant jamais son ambition de comédie romantique. Cependant jamais par le prisme du grand amour à trouver : Si Nyles finit par se satisfaire de revivre cette journée avec elle, éternellement, qu’il tombe clairement amoureux d’elle (on le comprend) Sarah n’hésite pas à lui rappeler que c’est normal d’être amoureux puisqu’ils sont seuls à vivre dans cette temporalité disloquée.  C’est comme si le personnage avait là-aussi conscience que le genre était sinon éculé complètement daubé. Le grand amour ce ne sera jamais l’ambition de Sarah et c’est ce qui en fait un personnage féminin totalement inédit dans le genre. Au sein de cette boucle, elle sera toujours infiniment plus motrice que lui.

     Toutefois, ils ne sont pas tout à fait seuls, puisqu’un troisième larron est convié ponctuellement à « la fête ». Un autre invité que Nyles a jadis embarqué dans la boucle un soir de beuverie partagée. Dans un running-gag savoureux, le type (J.K. Simmons fait un semi-antagoniste parfait) vient parfois assouvir sa vengeance en le tuant : lui qui se retrouve coincé chez lui, condamné non plus à venir se faire chier à ce mariage mais à passer toujours la même journée en famille, avec ses enfants qu’il ne verra jamais grandir. Parvenir à créer un dispositif quasi slapstick dans un canevas en apparence si mélancolique relève du génie et achève d’en faire un film magistralement écrit, aussi bien dans sa ligne claire que dans ses nombreux rebondissements.

     Ainsi, je me rends compte qu’à l’instar de cette chiée de films basés sur le procédé du found footage, je suis aussi très sensible à ces films construits autour d’une boucle temporelle. Dans les deux cas, ce formalisme de la mise en scène pour l’un, de l’écriture pour l’autre (c’est vraiment ce qu’on peut reprocher à Palm Springs : cinématographiquement parlant c’est très convenu), me séduit énormément car il arbore une fonctionnalité méta aussi puissante que passionnante. Quand c’est bien fait et que ça n’est pas qu’un simple décorum, évidemment.

     Et Palm springs est d’autant plus réussi qu’il tombe à pic : Il sort en Février 2021, un an après le début de notre crise sanitaire. Et fait office de film-médicament qui parle du Covid sans en parler, tant ses personnages sont comme nous avec le virus, coincés dans une bulle morose dont on voudrait s’extraire, mais le film ne traite jamais ça sous l’angle du désenchantement, bien au contraire. Je le revoyais, là. Et je le reverrai encore, c’est sûr.

     Et si l’on sent bien que le film ne sait pas trop comment mettre un terme à cette savoureuse structure – Les fins multiples envisagées sur le papier l’attestent : L’équipe aurait fait voter une projection test afin d’établir l’issue la plus légitime et/ou souhaitée – il n’en reste pas moins que l’on sort de Palm springs avec une vraie banane. Car il faut rappeler combien le film est drôle : Un régal.

Tre piani – Nanni Moretti – 2021

28. Tre piani - Nanni Moretti - 2021Entre les murs.

   7.5   Le récit du dernier Moretti – qui s’inspire d’un roman israélien – se déroule au sein d’un immeuble romain, autour d’un dispositif nouveau chez lui puisqu’il s’avère choral : On y suit en effet plusieurs familles sur trois temporalités distinctes, séparées par deux ellipses de cinq ans.

     Une habitante de l’immeuble en question est sur le point d’accoucher quand un habitant de ce même immeuble, au volant d’une voiture et en état d’ébriété, fauche une passante et la tue sur le coup. La vie et la mort dans le même élan introductif. Rouage qui ne cessera de travailler le film jusque dans son ultime séquence.

     Tre Piani (Trois étages) s’ouvre donc sur un accident et à l’image de cette voiture s’encastrant dans une baie vitrée du rez-de-chaussée, c’est tout l’immeuble qui s’en trouve abîmé, directement ou par répercussions imperceptibles. L’occasion pour Moretti de brosser une importante galerie de personnages, de gratter le vernis des apparences bourgeoises et de les faire se heurter entre elles, jusqu’à parfois ouvrir des portes inattendues en faisant entrer dans le champ un frère, un veuf, une hallucination, une providence.

     C’est presque un scénario de série télévisée sauf que Moretti en fait tout l’inverse : Il creuse à certains endroits, coupe à d’autres : C’est un film qui pourrait se déployer sur dix heures mais qui, en le faisant sur deux, resserre ses enjeux et bondit d’une fêlure ou d’un écho à l’autre. Et à mesure qu’il s’ouvre, ses personnages sont de plus en plus beaux, torturés, complexes, parfois même révélés par leur absence.

     Tre Piani est un film très sobre dans sa forme et austère dans sa tonalité, pourtant il s’y dégage une chaleur et une cruauté qu’on ne soupçonnait pas au préalable, renforcés par ces ellipses et donc par le déploiement de cette temporalité perturbée par le hors-champ.

     C’est un grand film sur la parentalité, les peurs et les troubles qu’elle engendre. Les contempteurs trouvent peut-être que ça ressemble à un mauvais Farhadi, les admirateurs à un excellent Almodovar. J’ai choisi mon camp, même si je trouve qu’on reconnaît bien Moretti là-dedans, par petites touches ou dans la mise en scène, qui peut rappeler La chambre du fils. Très, très beau film.

Madres paralelas – Pedro Almodóvar – 2021

11. Madres paralelas - Pedro Almodóvar - 2021Douleur et mémoire.

   7.0   Après l’introspection somme que constituait Douleur et gloire (2019) je suis très heureux de retrouver Almodovar réemprunter les contours du mélodrame. Et s’il n’atteint pas la puissance de Julieta (2016) pour ne citer que ses derniers films, le film m’a d’abord passionné pour son histoire de femmes qui accouchent en même temps, se perdent de vue puis se retrouvent un an plus tard, tandis qu’il a ouvert une boite à secrets et qu’il s’apprête à en révéler d’autres – J’essaie de ne pas trop en dire car il y a une révélation (la seule qui soit véritablement inattendue, par ailleurs) qui m’a complètement cassé la gueule. Surtout j’aime que le film s’aventure sur une ligne trouble, un peu hitchcockienne forcément, entre drame et passion, d’autant qu’il n’est jamais loin de basculer dans le pur thriller voire le film d’horreur, ne serait-ce que par les deux sujets qu’il aborde. Et c’est là-dessus que Madres paralelas m’a fasciné tant il raconte l’impossibilité d’Almodovar à raconter la grande Histoire autrement que par le prisme de l’intime, ici les excavations des fosses du régime franquiste enrobées par cette histoire de mères célibataires aux prises avec leur relation dramatique née de leurs grossesses accidentelles. Almodovar ne va pas suffisamment loin sur le sujet des fosses communes, mais il l’intègre parfaitement au récit puisque c’est le personnage incarné par Penelope Cruz qui impulse les recherches et son désir notamment d’excaver le corps de son arrière-grand-père. La fin est très belle – Même si elle devait se terminer sur les yeux de cette petite fille et non sur ce plan racoleur « reconstitué » du trou.

Olli Mäki (Hymyilevä mies) – Juho Kuosmanen – 2016

05. Olli Mäki - Hymyilevä mies - Juho Kuosmanen - 2016Les poings dans le cœur.

   6.5   C’est avec beaucoup de curiosité que j’ai abordé le premier film de Juho Kuosmanen, après avoir adoré son récent Compartiment n°6 et si le film me séduit moins, j’y retrouve totalement ce qui l’anime notamment cette volonté de briser le climax : Les pétroglyphes de Mourmansk dans l’un, le combat de boxe pour le titre de champion du monde poids plumes dans l’autre. Il n’y a que le voyage qui l’intéresse. Et sans doute pas l’hagiographie autobiographique d’Olli Maki, star de la boxe en Finlande, puisque Kuosmanen fait le portrait d’un boulanger / boxeur amoureux bien plus préoccupé par son flirt que par ses préparations et entrainements qui le mènent e à ce combat phare, qu’il perd lamentablement en deux rounds. Pour autant, Olli Maki, le boxeur, déclara que ce fut le plus beau jour de sa vie. Un beau manifeste de la lose et de l’amour.

Au crépuscule (Sutemose) – Sharunas Bartas – 2021

04. Au crépuscule - Sutemose - Sharunas Bartas - 2021Pour les « frères de la forêt ».

   4.0   Dix ans après une incursion (un peu ratée) dans l’univers du polar (Indigènes d’Eurasie, 2010) le réalisateur lituanien s’aventure dans le film historique, en plaçant son récit en terres rurales lituaniennes, au lendemain de la seconde guerre mondiale.

     On y suit le jeune Unte, engagé dans le mouvement des partisans, qui résiste face à l’Occupation soviétique qui dépossède les paysans de leurs biens. Il y a du Requiem pour un massacre dans le portrait de ce jeune personnage, son regard, son mutisme face à l’horreur, mais Bartas n’est pas Klimov et son film ne décolle pas. Il s’ouvre austère et le restera, sans sursauts ni trouées, comme paralysé.

     Il alterne les scènes d’intérieur, les plus réussies étant celles entre père et fils éclairées à la bougie, les plus conventionnelles celles déployant la pauvreté des paysans du village, avec les scènes d’extérieur, faites de plans d’ensemble écrasants le paysage gris, dévêtu et les scènes de résistance en forêt. Et la plupart du temps, comme souvent chez Bartas, ce sont les visages qui l’intéressent. Mais ça ne prend pas.

     Je n’ai jamais retrouvé le Bartas que j’aime (Celui de Trois jours, de Few of us, de Corridor) tant tout m’a semblé terne, dévitalisé, déséquilibré, complètement enlisé et sans doute intimidé par son sujet et l’époque qu’il ne parvient pas à reconstituer.

Le bonhomme de neige (The snowman) – Dianne Jackson – 1982

07. Le bonhomme de neige - The snowman - Dianne Jackson - 1982Walking in the dream.

   7.0   Sur la simple trame d’un bonhomme de neige qui prend vie, Dianne Jackson construit vingt-cinq minutes de douceur, sans parole, où un dessin pastel aux contours vertigineux nous plonge dans l’univers de l’enfance et dans cette amitié secrète entre un petit garçon et son bonhomme de neige, qui s’envolent dans un voyage nocturne féérique. Une merveille de poésie qui se termine de façon très cruelle, dans les larmes pures, puisque le bonhomme de neige finit par fondre. Ce qui parlera évidemment aux adultes, en tant que réminiscence d’une enfance envolée. Un bonheur de découvrir ça avec mes enfants. Et de voir ma fille, quatre ans et demi, figée, les yeux écarquillés et embués. A noter que le dessin-animé est une pure institution en Angleterre. De mon côté, je ne connaissais de lui que le Walking in the air, de Howard Blake.

La pièce rapportée – Antonin Peretjatko – 2021

03. La pièce rapportée - Antonin Peretjatko - 2021La fille du métro.

   6.0   Le temps d’une ouverture en fanfare avec carton d’avertissement décalé, chasse à courre de gilets jaunes puis bifurcation narrative, coup de foudre entre une guichetière RATP et un héritier aristocrate, on croit retrouver l’insolence malicieuse qui parcourait les deux superbes longs-métrages d’Antonin Peretjatko : La fille du 14 juillet, La loi de la jungle.

     Si tout n’a pas disparu, puisque l’esprit est resté globalement le même, La pièce rapportée souffre d’imposants problèmes de rythme, d’un cadre sans doute trop isolé et rigide (La demeure parisienne d’une aristocratie fin de race) et d’une folie plus douce, plus canalisée : Le vaudeville offre en effet moins d’espace de jeu, de liberté pour Peretjatko, comme s’il était empêché par les codes sclérosés du genre. Disons que ça lui réussit moins que le film de vacances ou le film d’aventures.

     Dans ses films, courts ou longs, il y a toujours des problèmes de rythme, des ratés, une scène absurde qui peut tomber à plat, ce n’est pas le problème. Simplement ici, l’équilibre est moins évident. On retrouve toutefois quelques petites saillies burlesques qui font le sel de son cinéma : Ici Balasko qui détricote des pulls, le son du téléphone sur lequel Katerine joue en permanence. Il y a la séquence de la contrebasse. Et une attention portée aux arrière-plans : Notamment dans le parc où l’on aperçoit dans les plans une joggeuse pratiquer son sport dans des positions chaque fois plus insolites. Et parfois ce sont juste des objets, ici un téléphone qui sert aussi de contenant à whisky ou des prothèses mécaniques téléguidées offrant à Mme Château-Têtard la possibilité de se déplacer sous une allure de Robocop : On se souvient encore du déguisement « La métamorphose, de Kafka » dans La fille du 14 juillet.

     Néanmoins, la mise en scène elle-même est plus passe-partout, alternant des idées bâclées (la scène de la tour Eiffel, par exemple) et d’autres inventives et drôles. Dans ces moments-là puis dans certains dialogues, Peretjatko retrouve toute sa verve comique et surtout politique, tant il n’hésite pas à parler d’exil fiscal, de campements de migrants, des gilets jaunes ou de la suppression de L’ISF.  

     Si sa narration est plus anecdotique, c’est dans l’utilisation de la voix off, tour à tour neutre, partiale ou espiègle, ou dans sa déconstruction qu’on le retrouve pleinement. Et il y a cette idée géniale que la famille Château-Têtard a jadis fait fortune grâce à son invention du monte-charge Pinochet crée pour le dictateur chilien, qu’ils réutilisent depuis que la reine mère (surnom donné par Demoustier à Balasko dans le film) est en chaise roulante depuis un banal accident de chasse.

     A noter qu’Anaïs Demoustier, Philippe Katerine, Josiane Balasko et Sergi Lopez se fondent admirablement dans son univers. Un peu déçu globalement parce que j’adore Peretjatko, mais c’est un film très chouette.

Le crocodile de la mort (Eaten alive) – Tobe Hooper – 1978

02. Le crocodile de la mort - Eaten alive - Tobe Hooper - 1978Psycho-croco.

   6.0   Deux décors : Une maison close d’abord, très brièvement, puis un motel. Une adolescente s’échappe du premier décor pour atterrir dans le second où elle est accueillie à coup de fourche avant d’être jetée au crocodile. La version déviante de Pyschose, en somme.

     C’est une ouverture au moins aussi sale que Massacre à la tronçonneuse, le précédent film de Tobe Hopper, mais on a remplacé la ferme du Texas par un motel de la Louisiane. Une Louisiane insolite : Le bayou chez Hooper arbore une allure macabre saupoudrée de textures rosées embrumées.

     Après le premier meurtre, un couple et leur petite fille font escale dans les lieux. Tout y est vite très bizarre, aussi bien le singe dans cette cage qui se meurt que le petit chien blanc qui file droit dans la gueule de l’alligator ; aussi bien la petite fille qui boite et qui fait écho au gérant qui boite lui-aussi, même si c’est surtout sa morve apparente que l’on retient. Il y a aussi ce mari, tout en sueur, le regard halluciné, incarné par William Finley, qui sortait de Phantom of the paradise. Il y a cette mère, qui restera longtemps avec de la boue dans les cheveux avant d’être attachée à un lit et de s’époumonner une heure durant, incarnée par Marylin Burns, qui campait la survivante de Massacre à la tronçonneuse.

     Mais ce n’est pas tout : Il y a ce type, jeune branleur beauf, qui ouvre le film et qu’on retrouve bientôt, incarné par Robert Englund aka le futur Freddy dans Les griffes de la nuit. Niveau casting c’est d’ailleurs un défilé de vieilles stars : Mel Ferrer, Neville Brand, Carolyn Jones, Stuart Whitman. Comme si Hooper s’amusait à salir tout Hollywood. A noter aussi une partition musicale complètement barrée, signée Wayne Bell : Un vrai ballet de grincements et de cris.

     Alors évidemment le film est fait avec rien, autant dire que le crocodile est cheap et que ses apparitions ne sont pas vraiment flippantes, mais c’est compensé par le vrai taré du film, le gérant du motel, qui peut facilement te suivre jusque dans tes cauchemars et justement pour son ambiguïté, tant il apparait comme un vieil enfant, sensible et doux, n’hésitant pas à courir fourche brandie après des gosses et se mettre à pleurer le plan suivant.

     On frôle le nanar, mais un nanar passionnant, accentué par son visuel fait de brouillard, de couleurs, comme si on plongeait dans un conte de fées horrifique.

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