La mort en son jardin.
7.5 Le huitième film de Xavier Beauvois s’ouvre sur deux séquences distinctes, paradoxales, qui dépeignent pourtant l’atmosphère du film en son entier. La première se déroule dans une maison, le temps d’un gâteau d’anniversaire où Laurent, par l’intermédiaire d’une alliance cachée comme on le ferait d’une fève dans une galette, demande la main de sa compagne, Julie. La seconde se déroule le long d’une paroi rocheuse de la plage d’Etretat : De jeunes mariés sont photographiés devant la majesté du paysage quand soudain un homme s’écrase à leurs pieds, il vient de sauter de la falaise.
Ce qui anime Beauvois ici et avant Albatros, dans Le petit lieutenant, c’est l’idée de la rupture, du glissement, qui fait basculer la tonalité dans une autre. A l’instar de cette étrange ouverture, le film va opérer une cassure nette en son mitan. Tout d’abord, il s’agit de suivre le quotidien d’un policier de la ville d’Etretat : Gérer les débordements d’un poivrot (curieux que Beauvois se mette dans ce rôle-là d’ailleurs), un jeune en scooter qui roule sans casque, un cas d’inceste, une opération de déminage sur la plage, la colère d’un agriculteur. Une routine qu’il accepte, dans laquelle il excelle et se sent bien, même si elle empiète parfois sur son intimité.
En effet, bientôt cette routine se grippe. Laurent (Jérémie Rénier, parfait dans ce rôle taillé sur mesure) est contrarié par les déboires qu’un ami agriculteur a avec un inspecteur agricole. Il s’en mêle de beaucoup trop près, tente de le résonner puis de le sauver. Et récolte finalement tout l’opposé de ce qu’il espérait : Une bavure qui brise l’élan héroïque et droit qui le caractérise. On est en plein cœur du film et le drame est tel, pour Laurent, qu’il impacte tout le film, comme il impactait complètement celui du Petit lieutenant, dont le cœur battait au rythme de celui du personnage campé par Nathalie Baye.
A cette nomenclature quotidienne parfaitement documentée, se succède un film, un scénario, un personnage en totale évaporation. Comme si d’un coup, lui qui semblait être un monument de droiture, incarnait soudainement les personnages qu’on venait de croiser « de l’autre côté » jusqu’alors. Il s’évapore au sein même de sa cellule familiale. Et disparait dans sa solitude, sa culpabilité et une autre obsession, loin de ses terres. Et si l’Albatros qui donne son titre au film est d’abord incarnée par la maquette d’un trois-mâts qu’il récupère en début de film chez sa grand-mère, c’est bien de Laurent dont il s’agit vite, dans ce titre, cet oiseau, ce voilier dont l’envergure ne parvient plus à s’incarner au sein de la société, qu’il doit quitter afin de renaître.
Albatros a ceci de troublant, infiniment personnel et inédit chez Beauvois, qu’il met en scène sa propre femme, Marie-Julie Maille, qui est par ailleurs sa monteuse. Mais aussi leur fille, Madeleine Beauvois. On y retrouve aussi toute l’imagerie chrétienne qui se déploie si souvent dans son cinéma, cette idée d’un personnage en souffrance qui ne se relève pas de la dimension absurde du monde. Il filme ici les gendarmes d’une commune normande comme il filmait les femmes des poilus dans Les gardiennes ou les moines dans Des hommes et des dieux. Personnages magnifiques, comme toujours, qui sont le cœur du récit. De leur évaporation à leur résurrection.