« Good day, so far ? »
8.0 Le récit de Palm Springs se déroule le temps d’une journée, pendant un mariage ensoleillé, dans une villa en plein désert californien. On y fait la connaissance de Nyles, petit ami d’une amie de la mariée ainsi que celle de Sarah, sœur de la mariée et demoiselle d’honneur. Ils semblent tous deux être au bout de leur vie, lui complètement désabusé, elle totalement déprimée. Leurs tortueux chemins vont se croiser.
Présenté ainsi, Palm Springs a tout pour attirer l’afficionado malade de rom’com et tout pour faire fuir n’importe quelle personne normalement constituée. Oui mais voilà, le film de Max Barbakow, dont c’est le premier long-métrage, qu’il co-écrit avec Andy Siara (qu’on ne connait pas davantage) a plus d’une corde à son arc. La première, la plus évidente : Il s’agit en fait moins d’une énième comédie romantique que d’un film de boucle temporelle.
Un énième film de boucle temporelle, alors ? Serait-on tentés de dire tant l’idée semble éculée aujourd’hui puisqu’Un jour sans fin (The Groundhog day, Harold Ramis, 1993) a déjà été copié maintes fois, aussi bien au cinéma (Source code ou Edge of tomorrow pour ne citer que les meilleurs, La colle pour en citer un de notre terroir ou Happy death day pour l’originalité de son cachet horrifique) que dans une pelletée de séries (Russian doll, Dark, Tru calling) ou d’épisodes sériels (X-Files, Stargate ou La quatrième dimension).
Un film qui imite la texture conceptuelle d’un autre film souvent imité, c’est déjà mal barré. Surtout quand ce film en question est un chef d’œuvre absolu. Pas touche. Et pourtant. Première idée géniale : Palm Springs est un film qui prend en compte le fait que son spectateur connaisse Un jour sans fin. Mieux : Que son spectateur a vu les pullulantes resucées d’Un jour sans fin. « So, this is today. Today is yesterday. And tomorrow is also today. It’s one of those infinite time loop situations you might have heard about » répond Nyles à Sarah, en sirotant son soda au bord de la piscine. C’est quasi aussi méta-cool que les déclamations de Stuart dans Scream. Sans que ce soit un ressort comique pour autant.
En réalité, Palm Springs s’ouvre comme la plupart des autres films exploitant l’idée de la boucle temporelle à savoir dans la journée au sein de laquelle Sarah va y plonger. Tout à fait banal, en, somme ? Pas vraiment car elle y rencontre donc Nyles, dont on apprendra rapidement qu’il y est, lui, déjà installé dans cette boucle. Depuis longtemps. Très longtemps. Dupliquer l’idée de base est déjà une tentative nouvelle en soi. Si on entre donc d’emblée dans la boucle et qu’il s’agit de la première de Sarah, Nyles en a lui des centaines (des milliers ?) d’avance : La rencontre n’en est que plus savoureuse.
Une petite parenthèse sur un point non négligeable : L’idée de prendre un mariage pour cadre de boucle temporelle est pertinente dans la mesure où s’il n’y a rien de plus dépaysant que d’assister à un mariage le temps d’une journée, il n’y a rien de plus désagréable que de devoir y assister tous les jours. Une définition de l’horreur. Et puisque le film s’aligne sur son duo, il y revient très peu à ce mariage ; Ou bien il choisit un moment de la journée, puis un autre. C’est souvent nouveau. Et la plupart du temps, il ne fait que multiplier les sorties de route et les surprises.
Nyles est incarné par Andy Samberg (Figure majeure du SNL, de la troupe The Lonely Island et croisé aussi dans Brooklyn Nine-nine). Quand on le découvre, on ne sait pas encore qu’il a conscience d’être coincé dans cette temporalité depuis belle lurette. Mais les indices sont légion tant il apparait résigné. Ne serait-ce que d’un point de vue vestimentaire : Qui va à un mariage en short de bain et chemise hawaïenne ? Sarah, quant à elle, est campée par la formidable Cristin Milioti qu’on connaissait surtout pour avoir fait le petit rôle de Madame Ted Mosby dans How I met your mother. Cette journée c’est aussi l’enfer pour elle, pour une multitude de raisons que le récit prendra le temps de faire éclore.
Il sera d’abord question d’un voyage initiatique dans ce « nouveau monde » pour Sarah. D’abord en enchainant le traditionnel « Die and retry » du genre puis en expérimentant une infinité de possibilités offertes par ce monde ouvert. Ensuite en tentant de se racheter : Le film lui brossant un background bien charpenté. Et si son acolyte a abandonné l’idée de changer ou de s’échapper de la boucle, ce ne sera jamais le cas de Sarah. Dimension méta redoublée quand elle se résout à croire qu’il faut faire comme dans Un jour sans fin pour se sortir de la boucle : Devenir meilleur. Précisément ce que faisait Phil Connors aka Bill Murray, en apprenant le piano et en perdant son cynisme. Mais ça ne fonctionne pas. Et si pour sortir de cette boucle, il fallait plutôt trouver une échappatoire scientifique ? Et la voilà donc à enchainer les tutoweb pour apprendre la physique quantique.
C’est un film pop, soigné, drôle, hyper rythmé. Mais Palm springs ne lâche pour autant jamais son ambition de comédie romantique. Cependant jamais par le prisme du grand amour à trouver : Si Nyles finit par se satisfaire de revivre cette journée avec elle, éternellement, qu’il tombe clairement amoureux d’elle (on le comprend) Sarah n’hésite pas à lui rappeler que c’est normal d’être amoureux puisqu’ils sont seuls à vivre dans cette temporalité disloquée. C’est comme si le personnage avait là-aussi conscience que le genre était sinon éculé complètement daubé. Le grand amour ce ne sera jamais l’ambition de Sarah et c’est ce qui en fait un personnage féminin totalement inédit dans le genre. Au sein de cette boucle, elle sera toujours infiniment plus motrice que lui.
Toutefois, ils ne sont pas tout à fait seuls, puisqu’un troisième larron est convié ponctuellement à « la fête ». Un autre invité que Nyles a jadis embarqué dans la boucle un soir de beuverie partagée. Dans un running-gag savoureux, le type (J.K. Simmons fait un semi-antagoniste parfait) vient parfois assouvir sa vengeance en le tuant : lui qui se retrouve coincé chez lui, condamné non plus à venir se faire chier à ce mariage mais à passer toujours la même journée en famille, avec ses enfants qu’il ne verra jamais grandir. Parvenir à créer un dispositif quasi slapstick dans un canevas en apparence si mélancolique relève du génie et achève d’en faire un film magistralement écrit, aussi bien dans sa ligne claire que dans ses nombreux rebondissements.
Ainsi, je me rends compte qu’à l’instar de cette chiée de films basés sur le procédé du found footage, je suis aussi très sensible à ces films construits autour d’une boucle temporelle. Dans les deux cas, ce formalisme de la mise en scène pour l’un, de l’écriture pour l’autre (c’est vraiment ce qu’on peut reprocher à Palm Springs : cinématographiquement parlant c’est très convenu), me séduit énormément car il arbore une fonctionnalité méta aussi puissante que passionnante. Quand c’est bien fait et que ça n’est pas qu’un simple décorum, évidemment.
Et Palm springs est d’autant plus réussi qu’il tombe à pic : Il sort en Février 2021, un an après le début de notre crise sanitaire. Et fait office de film-médicament qui parle du Covid sans en parler, tant ses personnages sont comme nous avec le virus, coincés dans une bulle morose dont on voudrait s’extraire, mais le film ne traite jamais ça sous l’angle du désenchantement, bien au contraire. Je le revoyais, là. Et je le reverrai encore, c’est sûr.
Et si l’on sent bien que le film ne sait pas trop comment mettre un terme à cette savoureuse structure – Les fins multiples envisagées sur le papier l’attestent : L’équipe aurait fait voter une projection test afin d’établir l’issue la plus légitime et/ou souhaitée – il n’en reste pas moins que l’on sort de Palm springs avec une vraie banane. Car il faut rappeler combien le film est drôle : Un régal.
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