Matin et soir.
6.5 Le film s’ouvre sur un carton à la temporalité très précise : 28 décembre 2015. 8.57AM. Le premier plan dévoile La spirale Jetty, asséchée, sur une plage de Salt Lake City. Il s’étend sur trente minutes. Il y a une fixité totale puisque la mer semble loin. Si loin et sombre, qu’elle ressemble à un mur de pierres. Le ciel, lui, est bleu azur, il n’offre aucun changement de luminosité. C’est le vent qui imprime de la variation. Le vent et le retentissement d’un avion de chasse qui un moment donné passe brièvement, hors champ. On aperçoit une terre montagneuse, au loin. Un continent ? Des îles ? Il faudra attendre quinze minutes pour voir apparaître un vrai mouvement, un corps dans le cadre. Il emprunte la spirale, vogue entre les roches au gré des bourrasques. Puis, une autre silhouette, quelques instants plus tard, l’imite. Puis d’autres encore. Qui arpentent cet escargot de pierres avant de quitter les lieux, le plan.
Un nouveau carton fait son apparition : 3.12PM. Suivi du même plan, d’un autre paysage. Les « îles » ont quasi disparu, ne restent que des ombres lointaines. Le sable s’est noirci, il semble humide, comme si la marée était montée et s’était déjà retirée. Entre temps il a aussi neigé. Le gris s’est emparé du plan. Seul le vent n’a rien changé de sa valse. L’apocalypse semble avoir eu lieu. Le peu de mouvement se situe dorénavant dans le ciel : Des nuages qui apparaissent ou se craquellent. Si lentement qu’il est difficile de le percevoir en temps réel. Un groupe de personnes viendra à nouveau habiter le plan. Se promener autour de la spirale, pour finalement s’en éloigner, comme s’ils la fuyaient mystérieusement. Elle était source de jeu et de fascination dans le premier plan. Elle devient invisible, méprisée dans le second. Les trois silhouettes iront bientôt se dissoudre dans le gris de l’horizon, avalés par un mirage entre sable et océan, tandis qu’un autre bruit de moteur d’avion aura fermé la boucle.
C’est un film sur le pouvoir du hors champ. Que s’est-il passé en l’espace de six heures ? N’est-ce vraiment qu’un changement de temps et de marée ? Dans BNSF le hors-champ c’est le modèle (Le train) quand le temps, lui, se déroule sans montage, sans cassure. Dans Measuring change, c’est l’inverse : Le temps crée du hors champ quand le modèle (La spirale Jetty) ne bouge pas. Il ne faut plus un plan, mais deux, pour le voir. Il faut un cut au noir de dix secondes (sur lequel reste imprimé le bruit du vent) en son mitan, concentrant six heures. Sans doute la plus belle idée du film. Idée que Benning n’avait jamais déployée, semble t-il. C’est un beau prolongement de Casting a glance (qui déjà captait des images de cette spirale sur quatre décennies, sans jamais utiliser le plan classique d’ensemble utilisé ici) au même titre que BNSF était un prolongement de RR. Des versions hardcore. L’ascétisme de Benning est ici à son point de rupture.
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