L’amour en fuite.
4.0 On sent que Lana Wachowski n’a pas du tout envie de refaire un épisode de Matrix. Qu’elle en est contrainte par les studios : Toute la dimension méta du premier tiers, surlignée jusqu’à la nausée, appuie constamment là-dessus. Et si elle accepte de s’y replonger, c’est uniquement pour ses personnages, qu’elle adore, pour cette histoire d’amour entre Neo & Trinity, semble t-elle dire. Mais l’on sent qu’au fond ce qui lui manque c’est moins Matrix que l’ambiance de Sense8.
Lana Wachowski veut donc refaire Sense8. On y retrouve un geste similaire, plus léger, foutraque, plus queer aussi, et bien entendu des acteurs de la série. Mais cette troupe de personnages ne parvient jamais à exister puisqu’elle est dévorée par Neo et Trinity. Je ne sais pas si Sense8 est ce que les Wacho ont fait de mieux, mais c’est de très loin, selon moi, ce qu’elles ont fait de plus stimulant, romantique et émouvant, car ses huit personnages (et ceux qui gravitent parfois autour) sont superbes. Le problème ici c’est qu’il n’y a rien de stimulant, romantique et émouvant. On sent que Resurrections vise ceci bien plus que d’être à la fois un film d’action nouveau ou un Matrix en rupture. Mais ça ne fonctionne jamais.
C’est un très mauvais film d’action, déjà. Qui fait illusion par ses promesses, à la fois initiales dans son apparence nostalgique (rejouer l’ouverture du premier Matrix en changeant le point de vue ou plutôt en créant un programme dans un programme) que dans son installation dans le cadre : La scène de combat avec les Exilés, excitante sur le papier, est tuée dans l’œuf très vite tant elle est illisible. Mais il suffirait d’évoquer la scène du train pour s’en convaincre : C’est laid, incompréhensible, ni fait ni à faire. Quant au déluge final, c’est simple, il lance la promesse – avec cette pluie de corps se défenestrant en meute – mais ne parvient jamais, au hasard, au centième de la cheville de la scène de l’autoroute dans Reloaded.
Autre souci majeur : Le film est parcouru de blagues ou d’un ton potache qu’on a plutôt l’habitude de voir chez Marvel, à l’image de ce moment où Neo ne parvient pas à voler ou de ces machines « cools » – car il y a cette fois collaboration entre les hommes et des machines rebelles – qui s’extasient d’une réussite : C’est niveau Thor ou Les gardiens de la galaxie. Je n’ai fondamentalement rien contre ces films-là, j’en aime certains, mais au sein d’une saga comme Matrix c’est très gênant.
Tout semble un peu raté. Aussi bien la version hystérique du nouveau Morpheus – Difficile de passer après Laurence Fishburne, ceci dit – que le personnage de l’analyste, censé être le nouvel architecte (mais on voit surtout Barnay de HIMYM) ou le nouveau Smith, qu’on adore dans Mindhunter mais qui s’avère un peu à côté ici. C’est un film constamment moqueur, d’Hollywood, des fans, du monde contemporain, de façon grossière. Sa dernière scène, post-générique, absolument scandaleuse, clôt le débat : Le cinéma est mort, l’art est mort, on n’a plus qu’à faire des vidéos de chats, des catrix. Ok super. Moi j’ai vu plein de films géniaux cette année donc je vous laisse vous palucher sur votre discours méta-gogol de geek aigri et cynique qui crache grossièrement sur son spectateur formaté à renfort d’une avalanche de pilules bleues.
Mais le plus triste est ailleurs : Si Lilly (qui avait déjà quitté le navire Sense8 en cours) semble avoir flairé la fausse bonne idée, Lana s’y vautre, mais plutôt que de vouloir tout briser – Un peu ce que faisait chacun des trois épisodes de la saga – elle recycle. C’est beaucoup de recyclage, Resurrections. De plans recyclés : Un peu à l’image de celui des douilles qui tombent de l’hélicoptère. Ou pire : Une rafale de flashs très illustratifs, reprenant des séquences des trois films précédents.
In fine, Matrix Resurrections est à Lana Wachowski et la trilogie Matrix ce que L’amour en fuite est à François Truffaut et sa trilogie Doinel. Alors ça aurait sans doute pu être pire si ça avait été fait par quelqu’un d’autre, un peu comme Terminator, Dark fate. Mais à l’instar de ce dernier, qui scandait lui aussi son envie de réécrire ses propres règles, il s’agirait de le faire avant de le scander.