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Archives pour février 2022

Licorice Pizza – Paul Thomas Anderson – 2022

28. Licorice Pizza - Paul Thomas Anderson - 2022Je t’aime moi non plus.

   8.5   Quelle agréable sensation que de ne pas savoir ce qui me plait le plus dans Licorice Pizza et qui à mes yeux en fait à chaud le plus beau film de Paul Thomas Anderson, le plus doux, le plus solaire – quand bien même il faudrait que je revoie tous les autres.

     Est-ce le plaisir de le voir en pleine possession de ses moyens, complète maîtrise liée à une totale liberté, au point qu’on a l’impression de voir un nouveau premier film ? Une nouvelle façon d’appréhender la forme, volontiers plus souple, mais néanmoins sophistiquée.

     Est-ce le voyage dans le Los Angeles de 1973, qu’on ne manquera évidemment pas de comparer avec celui de Tarantino dans Once upon a time in Hollywood, mais qui m’a semblé plus proche de ce que faisait Altman, comme une version faussement teenage de The long goodbye ?

     Un teen-movie dont on aurait par ailleurs extrait le campus. Après l’ouverture, on ne le verra plus. Car cette rencontre sort de ce cadre. Il n’y a pas de vie scolaire dans Licorice Pizza. C’est une comédie romantique atonale. Tout tourne autour de Gary & Alana, mais pas toujours autour de leur relation. Cet « amour » qui ne se dit pas, ces sentiments qui ne s’intellectualisent jamais.

     Est-ce la bande son, qui se paie le luxe improbable d’être à la fois pleine de tubes mais de morceaux qu’on entend peu au cinéma (excepté Life on Mars, on va dire, mais qui débarque dans un moment absolument anodin, pas du tout racoleur) et endémique sans être envahissante ?

     Est-ce parce que le film me surprend en permanence, sur des micro-rebondissements, sur un détail, une scène, un plan, un regard, une phrase, un personnage, laissant un sentiment de film plein mais très léger, limpide et insaisissable ?

     Ou est-ce tout simplement parce que je n’oublierai jamais son drôle de couple vedette ? Gary & Alana, incarnés par deux acteurs qui, par ailleurs (ce n’est pas si souvent pour le signaler), campent des personnages de leur âge. Deux acteurs qui ne sont ni beaux ni laids. Parfois beaux, parfois laids. Jamais maquillés.

     Ces personnages qui à l’image d’un film qui ne cesse d’inverser les codes, sont tout en fascinantes contradictions : Ce garçon de seize ans, trop mature mais has-been en tant qu’enfant star ; cette fille de vingt-cinq ans, trop immature, mais pleine d’une énergie impalpable. Tous deux projetés dans un univers qui les rapprochent, les éloignent, crée autant de jonction que de disjonction.

     Et tout cela jusqu’au bout. Jusqu’à cette ultime scène, toujours mobile, puisque le film est en perpétuel mouvement. Une fin sans fin où le « Je t’aime » final ne marque aucunement un point ni un accomplissement. Il est pure suspension pour deux raisons : Il n’y en a qu’un. Et il intervient en voix off.

     Ou tout simplement car je suis moi aussi tombé amoureux d’Alana. Véritable centre d’inertie du film, puisqu’elle n’existe d’abord qu’au travers du regard transi de Gary, avant de devenir le cœur même du film, avant de prendre les rênes du récit au même titre qu’elle prend le volant de ce camion en panne sèche, dévalant les rues d’une colline de San Fernando, en marche arrière, en plein nuit, dans l’une des plus belles scènes du film.

     Je crois que c’est un peu l’ensemble de tout ça. Je me suis senti tellement bien dedans. Dans son rythme, ses couleurs, sa riche bande sonore, ses travellings latéraux. Je rêve déjà de le revoir.

Blue collar – Paul Schrader – 1978

05. Blue collar - Paul Schrader - 1978Tir groupé.

   8.5   Premier film de Paul Schrader, magistral, dense, cru, violent, avec trois personnages, un peu têtes brûlées, qui tentent de changer la donne, mais qui ne regardent jamais dans la même direction, ne bougent pas pareil. Leur gestuelle est fabuleuse, par ailleurs, durant tout le film (trois immenses acteurs) : c’est aussi un grand film de corps, ou l’on suit la répétition des gestes, la monotonie du mouvement au travail. Schrader n’a jamais caché sa fascination pour Bresson.

     Trois personnages centraux donc, amis inséparables mais aspirés par la survie car chacun a ses galères, ses travers, sa vie, des gosses. Ils bossent tous trois sur une chaîne de montage automobile et peinent à finir le mois. Smokey est le plus mystérieux mais on comprend qu’il est couvert de dettes, Zeke est emmerdé par le fisc car il a déclaré six gosses au lieu de deux pour sortir la tête de l’eau, quant à Jerry il ne voit pas comment il pourra payer un appareil dentaire à sa fille.

     Dans un élan de folie ils décident de braquer le coffre de leur syndicat, car c’est de l’argent qui leur revient, disent-ils. Évidemment ça ne se passe pas du tout comme prévu, mais vraiment pas et c’est là où Schrader est très fort car il construit cette deuxième partie en illustration de ce que l’un d’eux disait au début du film à savoir que quoiqu’il arrive, les puissants trouveront toujours un moyen d’ériger les faibles les uns contre les autres, blancs contre noirs, vieux contre jeunes, pauvres contre moins pauvres.

     Et ce qui était d’abord une petite chronique prolétarienne, sur un monde ouvrier soit en colère soit désenchanté – en ce sens le film préfigure deux grands succès de l’année suivante, tant il est proche de la première partie de Voyage au bout de l’enfer mais aussi de Norma Rae – va bientôt plonger dans le thriller paranoïaque, dans un Détroit qui n’est pas encore le Détroit fantomatique d’Only lovers left alive, mais qui respire déjà le chaos.

     Le film est d’une noirceur totale, jusqu’au bout, jusque dans son dernier plan et il me permet de me rendre compte que définitivement, si on prend leur « premier film » urbain respectif, je suis plus sensible au cinéma de Schrader qu’à celui de Scorsese (je préfère largement Blue collar à Mean Streets) mais que la synthèse des deux aura offert l’un des plus beaux films du monde : Taxi driver.

     Quoiqu’il en soit, Blue collar est une merveille. Un superbe portrait de personnages quasi renoiriens. Un pur diamant noir, quand bien même il soit aussi parcouru d’instants mi comiques mi grotesques, à l’image de ces scènes de bar, ces réunions syndicalistes ou encore ces masques de fortune (des grigris de farce et attrape) utilisés pour le casse. Immense découverte.

Free solo – Elizabeth Chai Vasarhelyi & Jimmy Chin – 2018

11. Free solo - Elizabeth Chai Vasarhelyi & Jimmy Chin - 2018Trafic d’influences.

   5.5   Exercice passionnant que de regarder Free solo juste après The alpinist. D’une part car il s’agit là aussi de faire le portrait d’un passionné d’escalade, là aussi de le filmer en action, gravissant les falaises à mains nues. D’autre part car c’est la « version hollywoodienne » dans tous les sens du terme. The alpinist c’est le négatif de Free solo : tout y est plus brut, plus sombre, inversé. The alpinist c’est l’histoire d’une impossibilité de filmer, c’est aussi l’histoire d’une mort à venir. Free solo c’est le récit d’un grand exploit, pour celui qui monte et ceux qui le filment. Si on voulait schématiser politiquement plus encore on pourrait dire qu’il y a un film de gauche et un film de droite. Un fou seul et un héros solitaire.

     J’en attendais une montagne (Je cumule les jeux de mots, dis donc) car le film a fait un tabac lors de sa sortie, remportant de nombreux prix et notamment l’oscar du meilleur docu. Mais c’est une franche déception, à la hauteur de l’excellente surprise que constitua The alpinist. Une déception reliée en grande partie à ce personnage, Alex Honnold, branleur insupportable. Grand moment quand je découvre que le film tourne autour de ce type, que j’avais déjà trouvé relou dans The alpinist où il apparaissait dans une interview. Bon, dans la forme les deux films se ressemblent, c’est vrai : Trop bavards, trop classiques. C’est vraiment dans leur finalité qu’ils diffèrent : c’est drôle de savoir qu’on parle beaucoup de l’un et pas de l’autre, et ça vaut pour les films autant que pour leur personnage respectif : Il y a un grimpeur insaisissable et un grimpeur influenceur.

     Free solo est néanmoins intéressant car il se penche surtout sur la préparation d’Honnold qui s’apprête à gravir l’une des ascensions les plus dangereuses au monde : les 975m d’El Capitan, paroi rocheuse située dans le parc de Yosemite aux États-Unis. Il la connait par cœur cette ascension, mais équipé. Et là il s’apprête à la réaliser en free solo. On le suit dans son quotidien (Pas hyper intéressant) mais aussi sans ses divers entraînements ailleurs (plus intéressant déjà). Le mec se blesse souvent et semble remettre ça sur le dos de sa petite amie, qui le déconcentre. Sympa. La petite amie est fonctionnelle ici. La petite amie était l’autre cœur de The alpinist : on la voyait retourner en Alaska et dire « Je suis tout près de toi, Marc André ». C’était puissant.

     Mais revenons à Free solo. Il y a la dernière demi-heure du film, consacrée à l’ascension en question, en deux temps. Et là ça vaut tellement le détour qu’il faut voir le film ne serait-ce que pour ça. Car ça devient angoissant comme c’est pas permis (musique hollywoodienne, signée Marco Beltrami, à l’appui) notamment car y a des caméras partout donc c’est comme si l’on grimpait avec lui. Et même si l’on sait qu’il ne tombera pas (Car y aurait pas de film) c’est parfois difficilement regardable : comme lorsque Honnold doit passer « The boulder problem » une session (située à 600m du sol) du parcours où encordé il tombe, dit-il, une fois sur deux. Rarement eu autant le vertige que devant les dernières minutes de ce film.

The alpinist – Peter Mortimer & Nick Rosen – 2021

10. The alpinist - Peter Mortimer & Nick Rosen - 2021« Il vient d’une autre planète ».

    7.0   Soit l’histoire de Marc André Leclerc, grimpeur depuis tout jeune, qui est l’un des rares passionnés à gravir roches et montagnes en free solo c’est à dire sans équipement. Le film en fait son portrait avant de faire le portrait de cette passion quelque peu suicidaire, passion qui ne supporte évidemment aucun faux pas. Ce qui est passionnant avec ce garçon, qui sera suivi deux années durant par l’équipe de tournage, c’est qu’en plus d’être carrément perché (sans jeu de mot) il est surtout très loin de tout, du monde moderne et de cette obsession pour les réseaux sociaux. Il grimpe pour grimper, comme s’il dialoguait intimement avec les sommets, mais jamais en guise de performance. Ce n’est même pas un modèle assidu pour les metteurs en scène, puisqu’il lui arrive de disparaître sans donner de nouvelles, des mois durant, de faire des ascensions sans prévenir. C’est aussi ce qui semble relever du free solo en règle générale et qui s’intègre doublement dans son appellation : la liberté et la solitude. Leclerc s’y tient, quand bien même il tienne un blog ou accepte d’être filmé pour un documentaire. Un moment il escalade une falaise (le mont Robson, je crois) et bat un record sans s’en rendre compte. Un record qui appartenait à Alex Honnold, qui, plus compétiteur et vexé, lui reprend aussitôt en le pulvérisant. Leclerc s’en tient là, comme s’il avait d’autres chats à fouetter, d’autres montagnes à gravir, d’autres défis supposés impossibles à réaliser. Ce n’est pas une compétition pour lui, c’est sa drogue. Sa petite amie (qui partage la même passion) nous confiera d’ailleurs que Marc André se droguait beaucoup avant de se droguer au free solo. C’est ce qui le fait tenir. Il a un rapport très étroit avec la mort par ailleurs, on sent qu’elle ne le terrifie pas. Il profite de ses repas avant de grimper car il sait que ça peut être le dernier. Si j’ai un reproche majeur à faire au film, c’est qu’il n’épouse dans sa forme à mon avis pas la personnalité de son sujet, personnage magnifique, hors du monde, du temps. La réalisation manque de légèreté et cumule les lieux communs : paysages en accéléré, musique trop présente, montage un peu bourrin, interviews sans grand intérêt, alors qu’il est si beau quand il est aux côtés du personnage, au-dessus du vide – d’ailleurs le film n’évoque jamais non plus la caméra (et donc le cameraman encordé qui doit galéré à faire ses plans) alors que c’est clairement son sujet : Comment filmer quelqu’un qui se fiche royalement de la caméra ? Lorsqu’il tente, en 2016, de gravir la Torre Egger (2685m) (son plus bel exploit puisqu’il est le premier à l’avoir fait en version solo en plein hiver) il s’y reprend à deux fois : la première fois il est filmé, la seconde non. Comme si la caméra l’en avait empêché. Vers la fin du film, les réas nous expliquent que durant la post prod, en 2018, ils ont appris que Marc André Leclerc était porté disparu en Alaska. Il grimpait à Juneau, avec un autre grimpeur et ils se sont vraisemblablement fait surprendre par une avalanche. On apprend sa mort comme ça, sans suspense, sans ornements. C’est bouleversant. Marc André Leclerc avait 26 ans.

The chef (Boiling point) – Philip Barantini – 2022

???????????????????????????????Cauchemar en cuisine.

   6.5   L’action de The chef a beau se dérouler intégralement dans un restaurant il s’agit moins d’un film culinaire que d’un film en immersion : Le temps d’un service, un soir, la veille de noël. Avec un procédé formel qui en impose, en effet le film est tourné en un unique plan séquence. C’est 1917, les tranchées remplacées par une cuisine : le plan ici ne triche pas, impossible de se réfugier derrière une coupe au noir tant tout y est frontal, sans ornements, à l’image de cette cuisine ouverte sur la salle.

     Si l’excès de virtuosité agace au préalable, il faut lui reconnaître deux utilités essentielles. D’une part, cela permet de créer du temps réel, de comprendre le fonctionnement d’un service et de continuer de faire vivre le décor, comme si on y était, l’immersion, le réel, en permanence, donc. D’autre part, et un peu à la manière du magnifique Victoria, de Sébastien Schipper, cela crée de la fatigue, de l’épuisement, que l’on ressent chez chacun des membres de la brigade, même si le film raconte évidemment en priorité le chemin de croix de ce chef, qui dès qu’il débarque au resto, est déjà proche de la rupture.

     La grande idée du film c’est de parvenir à donner du temps, un visage, une histoire à chacun des membres de la brigade, qu’ils soient commis ou second, poste viande ou plongeur, apprentis ou pâtissiers. On passe du temps avec chacun d’eux. C’est une micro-société très fragile, aux énergies différentes, qui en plus de gérer sa clientèle, se divise en deux groupes (La brigade de salle et la brigade de cuisine) ce qui accentue les tensions.

     Le problème du film c’est qu’il est trop écrit, il charge continuellement la barque. Tout y est, de l’inspection sanitaire aux problèmes de commandes ; le retard de l’un, le burn-out de l’autre ; la cliente critique et l’autre allergique ; la petite nouvelle et celui qui sort d’une tentative de suicide. Tout se mélange car tout va exploser. Et on en sort aussi exténué qu’eux. C’est too much mais très impressionnant.

Arthur Rambo – Laurent Cantet – 2022

07. Arthur Rambo - Laurent Cantet - 2022Le plus dur, c’est l’atterrissage.

   5.0   Pas certain que Bertrand Cantet – qui jadis fut nettement plus inspiré par l’histoire de Jean-Claude Romand (adaptée dans le somptueux L’emploi du temps) – soit si intéressé que cela par l’affaire Medhi Meklat ni par comment la mettre en scène. On le sent à peu près aussi paumé que ce personnage (Rabah Nait Oufella est plutôt très bien dans le rôle, par ailleurs) ne sachant pas s’il doit ou non adopter un point de vue, jouer la carte du récit introspectif (la séquence semi-parano dans le métro est assez bien foutue) ou carrément le portrait didactique. Néanmoins, dans ce qu’il choisit de me montrer (ne pas être un film politique, en somme) j’aime le portrait qu’il fait de ce garçon. Le portrait de sa chute. Il n’y a pas de rise & fall comme dans tout récit romanesque traditionnel : Karim D. est déjà tout en haut quand le film s’ouvre, vantant la sortie de son bouquin dans un journal télévisé. Le soir même, son nom sera associé à celui d’un tweetos célèbre pour sa plume antisémite, homophobe ou encore misogyne et dès lors, pour lui, rien ne sera plus pareil : Sa chute dans l’échelle sociale sera aussi symbolique que physique, puisqu’il sera beaucoup question d’escaliers et de lieux de plus en plus exigus et déserts, culminant avec son retour dans l’appartement familial où il devra rendre des comptes à sa maman mais surtout à son petit frère, qui idéalisait bien plus le tweetos que l’écrivain. Mais le personnage reste une énigme. On ne saura pas bien s’il jouait un rôle ou s’il était premier degré. Sans doute parce que Cantet refuse de faire ce choix. Cantet aura fait nettement mieux, ne serait-ce que dans l’écriture : les dialogues ne sont vraiment pas terribles et je ne suis pas convaincu par l’idée des tweets diffusés sur l’écran, en surimpression de l’image. Je ne vois pas ce que ça apporte d’autant que nombreux de ces tweets sont repris et explicités par d’autres personnages. Cela étant le film ne me révolte pas non plus (quand bien même il soulève une problématique qu’il s’abstient clairement d’agrémenter) contrairement à ce que j’ai pu lire ci ou là.

Nightmare Alley – Guillermo del Toro – 2022

04. Nightmare Alley - Guillermo del Toro - 2022Valse triste.

   3.5   Voir Guillermo del Toro investir le cadre d’une fête foraine était une belle promesse tant son cinéma très visuel repose en grande partie sur des gueules et un décor perverti. Première déception : passée la découverte du cirque et notamment une belle scène très noire dans les coulisses d’une maison hantée, il n’en fait pas grand-chose. Personnages et fête foraine n’existent pas suffisamment, d’autant que l’image est très sombre, très jaune et l’accumulation de scènes d’intérieur rend peu fécond ce cinéma du trop-plein carnavalesque retranché derrière un récit convenu (l’ascension d’un petit charlatan faussement télépathe) et un lourd passé qui n’éclot jamais. 

     Néanmoins, cette première partie est la plus intéressante, grâce aux différentes interactions avec des Willem Dafoe, Toni Collette, Ron Perlman en roues libres et un David Strathairn excellent. Car si Nightmare Alley cite d’abord Freaks, de Browning, il s’attaque ensuite à tout un pan du film noir et le fait avec la lourdeur (et la torpeur) déjà observé dans son précèdent film-hommage, La forme de l’eau. Dès que le film quitte donc l’univers forain pour la ville, il s’embourbe dans une ambiance de film noir compassé, sans vie, saupoudré d’un rise & fall d’un ennui abyssal où l’aspect art déco succède à la boue, la pluie.

     J’adore Rooney Mara & Bradley Cooper mais jamais je ne crois en cette histoire d’amour. Jamais je ne crois en rien là-dedans, pas même en l’époque qu’il investit, grosso modo l’entre-deux-guerres. Néant émotionnel renforcé par cette mise en scène à mon avis peu inventive, où la caméra panote et glisse en permanence, dans des plans très courts, très communs où del Toro refuse l’immobilité. Et quand le film se resserre sur l’échec de l’avidité de son personnage – en faisant entrer une autre batterie d’imposants acteurs : Blanchett / Jenkins / McCallany – j’ai déjà décroché depuis longtemps. Ses petits pics de violence m’ont seulement semblé ostentatoires et racoleurs. Quant au final je l’ai vu venir depuis un quart d’heure. J’aurais presque pu miser sur ce rire, avec un cut au noir ou une fermeture à l’iris. Pénible. Très pénible.

     Pour l’anecdote, j’y suis allé dans un état proche de l’asthénie. J’espérais peut-être un électrochoc. J’en demandais beaucoup probablement, mais j’adore les films qui touchent aux fêtes foraines, parcs d’attractions et autres cirques itinérants, citons pêle-mêle Adventureland (Greg Mottola), Le toboggan de la mort (James Goldstone) ou Les Ogres (Lea Fehner). Et puis la sieste au cinéma est un excellent indicateur pour moi. J’ai dormi (un peu) devant Hunger, (beaucoup) devant Night moves, mais j’y suis retourné très vite car dès mon réveil j’assistais à un mélange de déflagration et de frustration grisant. Aujourd’hui ce sont deux de mes films préférés. Je me suis assoupi brièvement à plusieurs reprises devant Nightmare Alley, mais à aucun moment le film ne m’a réveillé.

Rage (Rabid) – David Cronenberg – 1977

???????????????????????????????????????????????????????????????First blood.

    7.0   Après un accident de moto qui la brûle grièvement, Rose est opérée d’urgence dans l’hôpital privé le plus proche où le Dr Keloid, chirurgien esthétique, va en profiter pour expérimenter une nouvelle technique de greffe de peau. Un mois plus tard, Rose se réveille de son coma et son métabolisme s’est transformé. Elle ne digère plus la nourriture, doit se nourrir de sang humain à l’aide d’un nouvel organe prenant l’apparence d’un dard phallique rétractable qui sort de son aisselle. Dès lors ses victimes sont contaminées et développent une épidémie aux symptômes proche de la rage.

     À l’instar de Shivers juste avant, Rage, deuxième long métrage de Cronenberg, pose les bases solides (Mais encore en gestation) d’une filmographie cohérente qui aboutira à Crash, chef d’œuvre absolu, qui prolonge sa fascination pour la chair, la mort, la mutation du corps, les mutilations. Rage est encore un cinéma ultra fauché, avec une esthétique de film d’exploitation – appuyé par la présence de Marilyn Chambers, star du cinéma porno, qui incarne le rôle principal – dans un Montréal cauchemardesque plongé en pleine loi martiale. Le film est parfait à revoir aujourd’hui pour sa dimension politique et cette obsession pour le certificat vaccinal antirabique. Pas loin d’avoir adoré.

Spencer – Pablo Larrain – 2022

02. Spencer - Pablo Larrain - 2022Princesse en fuite.

   7.0   Après s’être intéressé à Jackie Kennedy et aux trois jours qu’elle a traversées entre l’attentat de Dallas et les funérailles de son mari, Pablo Larrain se penche cette fois sur Diana, en choisissant trois jours de noël (vraisemblablement début des années 90) durant lesquels la princesse de Galles est en pleine dépression. Trois jours de pure fiction, par ailleurs, appuyés par cette phrase introductive : « Ceci est une fable tirée d’une tragédie réelle ». Deux films miroirs et deux films qui racontent évidemment beaucoup de la façon de fonctionner du cinéaste chilien, qui faut-il le rappeler avait traiter de la mort de Salvador Allende dans son premier film, en filmant la vie d’un employé de la morgue dans laquelle il atterrit. Le biopic pur ne l’intéresse pas. Il est passionné par un à côté plus diaphane, impénétrable et d’ailleurs ne filme quasi rien des grandes réunions royales, on entre toujours avant (Diana retarde systématiquement l’échéance) ou après (elle se fait vomir). Et Kristen Stewart (hyper intéressant le choix de cette actrice au destin très particulier), quasi de chaque plan, incarne ce côté punk (son rejet de la notoriété, ses troubles alimentaires, ses pulsions suicidaires…) à merveille : Son visage, son regard, son corps, ses postures, son identification à Anne Boleyn, tout devient tableau d’un être en totale perdition, qui doit passer trois jours à manger au château (et montrer qu’elle a pris du poids) mais ne rêve que d’une chose : emmener ses gamins bouffer un KFC devant le London bridge. Comme souvent avec Larrain tout est beaucoup trop appuyé, la symbolique y est omniprésente, ses plans souvent trop chirurgicaux, mais le film est visuellement très beau et parcouru d’instants réussis, aussi bien anxiogènes (avec des récurrences fortes : rideaux, chasse, pince, toilettes) que relâchés (l’épouvantail, la plage, la fuite final), admirablement accompagné par une bande sonore qui sait aussi varier les tonalités et qui ressemble à un mélange de la bande-son de Shining et de celle signée Mica Levi, pour Jackie. On n’est pas loin d’un film d’horreur, en somme (scènes d’hallucinations à l’appui) mais à la façon Pablo Larrain. Super film (que j’aurais tellement préféré voir sur grand écran).

France – Bruno Dumont – 2021

01. France - Bruno Dumont - 2021La bête humaine.

   5.5   On ne sait jamais sur quel pied danser, avec Dumont. Que ce soit avant, pendant ou après le visionnage de ces films. J’y allais encore le couteau entre les dents ici, avec autant de crainte que d’envie, et j’en suis sorti à la fois admiratif et embarrassé, tout à tour fasciné et consterné. France est un film passionnant en ce sens qu’il ne ressemble à aucun autre et ceci vaut pour la filmographie tout entière de Bruno Dumont. Est-ce suffisant pour être enthousiaste ici ? Pas vraiment.

     Pour situer, France est le prénom du personnage central, une sorte de « journaliste préférée des français » bossant dans un simili CNews, qui n’hésite pas à aller sur le terrain s’entretenir avec des combattants musulmans ou à aller titiller Macron en pleine conférence.

     Le film entre dans son quotidien et sa pleine ascension un peu avant son effondrement quand elle va découvrir qu’elle peut être émue par les choses, le réel, le monde tandis qu’elle n’était qu’un programme du faux, de pure mise en scène d’elle-même. Une nouvelle quête de la sainteté, en somme, si chère à Dumont.

     Traitée sous l’angle journalistique, cette quête s’avère nouvelle pour l’auteur, lui qui s’est souvent intéressé aux « petites gens » du Nord, notamment ou plus récemment à des icônes, le voilà qu’il prend la complète figure de la notoriété, des médias, du faux. Il faut prendre France comme une pure caricature. Tout y est appuyé, répété, grossi. Jusque dans le nombre de gros plans sur le visage de Seydoux. Ainsi que sur ses larmes. Cette répétition est démesurée, c’est une anomalie telle qu’on ne comprendra jamais ce qui se joue chez ce personnage, d’autant qu’elle repart systématiquement au front. Rien ne l’arrête. Et tout le film tient sur ce régime, au point qu’il est souvent insupportable.

     Il y a trois « accidents » dans le film. Aucun ne se situe là où on l’attend (durant les reportages filmés par exemple) c’est la grande force de Dumont. Tous trois sont en revanche des astuces scénaristiques en forme de cache misère, accentuant le fait que le film n’a rien à raconter au-delà de ce qu’il plante durant le premier quart d’heure, rien à faire incarner.

     Pour extraire un peu de corps, il prend la truelle. Et chaque fois ça marche un peu. Ça débouche sur quelque chose qui relance le film, le sort des rails de l’ennui et d’une répétition franchement lassante. Qui relance le récit autant qu’il réveille son personnage, la fait bifurquer.

     Car si la satire médiatique est passionnante et intégrée dans le cinéma de Dumont à savoir qu’il traite le règne du faux avec du faux : Le jeu des acteurs de chez Dumont n’aura jamais été aussi adapté en ce sens tant les champs contrechamps révèlent des jeux décalés – je me suis souvent demandé si c’était tourné comme ça d’ailleurs. Et c’est évidemment ce qui transparaît dans le film, notamment durant les reportages et les plateaux télé où les coulisses ne révèlent que pure mise en scène ! La plus belle à mon avis c’est ce « plan de secours » tourné par France face caméra s’adressant à la femme du mari violeur, sans jamais la regarder. Et le film fait ça en permanence, par exemple quand deux invités de son émission se roulent dessus avant de se livrer des accolades et des « on dîne ensemble » hors caméra. On pourrait aussi citer la scène de l’embarcation de migrants ou revenir sur la scène d’intro qui est déjà l’incarnation ultime de cela : France parle avec Macron, mais ce n’est que du montage (à renfort d’images d’archives) car le président n’a pas participé au tournage. C’est fascinant et c’est aussi la limite du film, ce n’est que la répétition de cette idée.

     Si Lea Seydoux est formidable, pas facile d’en dire autant du reste du casting, amorphe (les hommes) ou Gardin, qui fait du Gardin, en mode stand-up, l’extrême lourdeur en plus, donc pas drôle, insupportable.

     Ce qui m’a plu c’est moins la grandiloquence de ce portrait de la France – le titre est tellement trop évocateur, le nom du personnage (De Meurs) enfonce le clou – que de ce triple autoportrait, à la fois de Dumont (qui s’est délivré par le comique) de Léa Seydoux et de la France vue par Dumont. C’est assez vertigineux.

     La musique de Christophe est sublime. Les nombreux gros plans aussi. C’est aussi un film qui me rappelle que je peux adorer Dumont sur une scène ou un plan, tant on ne voit ça nulle part ailleurs. Sur le film entier, ce film-là du moins, c’est une autre histoire.

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