Je t’aime moi non plus.
8.5 Quelle agréable sensation que de ne pas savoir ce qui me plait le plus dans Licorice Pizza et qui à mes yeux en fait à chaud le plus beau film de Paul Thomas Anderson, le plus doux, le plus solaire – quand bien même il faudrait que je revoie tous les autres.
Est-ce le plaisir de le voir en pleine possession de ses moyens, complète maîtrise liée à une totale liberté, au point qu’on a l’impression de voir un nouveau premier film ? Une nouvelle façon d’appréhender la forme, volontiers plus souple, mais néanmoins sophistiquée.
Est-ce le voyage dans le Los Angeles de 1973, qu’on ne manquera évidemment pas de comparer avec celui de Tarantino dans Once upon a time in Hollywood, mais qui m’a semblé plus proche de ce que faisait Altman, comme une version faussement teenage de The long goodbye ?
Un teen-movie dont on aurait par ailleurs extrait le campus. Après l’ouverture, on ne le verra plus. Car cette rencontre sort de ce cadre. Il n’y a pas de vie scolaire dans Licorice Pizza. C’est une comédie romantique atonale. Tout tourne autour de Gary & Alana, mais pas toujours autour de leur relation. Cet « amour » qui ne se dit pas, ces sentiments qui ne s’intellectualisent jamais.
Est-ce la bande son, qui se paie le luxe improbable d’être à la fois pleine de tubes mais de morceaux qu’on entend peu au cinéma (excepté Life on Mars, on va dire, mais qui débarque dans un moment absolument anodin, pas du tout racoleur) et endémique sans être envahissante ?
Est-ce parce que le film me surprend en permanence, sur des micro-rebondissements, sur un détail, une scène, un plan, un regard, une phrase, un personnage, laissant un sentiment de film plein mais très léger, limpide et insaisissable ?
Ou est-ce tout simplement parce que je n’oublierai jamais son drôle de couple vedette ? Gary & Alana, incarnés par deux acteurs qui, par ailleurs (ce n’est pas si souvent pour le signaler), campent des personnages de leur âge. Deux acteurs qui ne sont ni beaux ni laids. Parfois beaux, parfois laids. Jamais maquillés.
Ces personnages qui à l’image d’un film qui ne cesse d’inverser les codes, sont tout en fascinantes contradictions : Ce garçon de seize ans, trop mature mais has-been en tant qu’enfant star ; cette fille de vingt-cinq ans, trop immature, mais pleine d’une énergie impalpable. Tous deux projetés dans un univers qui les rapprochent, les éloignent, crée autant de jonction que de disjonction.
Et tout cela jusqu’au bout. Jusqu’à cette ultime scène, toujours mobile, puisque le film est en perpétuel mouvement. Une fin sans fin où le « Je t’aime » final ne marque aucunement un point ni un accomplissement. Il est pure suspension pour deux raisons : Il n’y en a qu’un. Et il intervient en voix off.
Ou tout simplement car je suis moi aussi tombé amoureux d’Alana. Véritable centre d’inertie du film, puisqu’elle n’existe d’abord qu’au travers du regard transi de Gary, avant de devenir le cœur même du film, avant de prendre les rênes du récit au même titre qu’elle prend le volant de ce camion en panne sèche, dévalant les rues d’une colline de San Fernando, en marche arrière, en plein nuit, dans l’une des plus belles scènes du film.
Je crois que c’est un peu l’ensemble de tout ça. Je me suis senti tellement bien dedans. Dans son rythme, ses couleurs, sa riche bande sonore, ses travellings latéraux. Je rêve déjà de le revoir.