La bête humaine.
5.5 On ne sait jamais sur quel pied danser, avec Dumont. Que ce soit avant, pendant ou après le visionnage de ces films. J’y allais encore le couteau entre les dents ici, avec autant de crainte que d’envie, et j’en suis sorti à la fois admiratif et embarrassé, tout à tour fasciné et consterné. France est un film passionnant en ce sens qu’il ne ressemble à aucun autre et ceci vaut pour la filmographie tout entière de Bruno Dumont. Est-ce suffisant pour être enthousiaste ici ? Pas vraiment.
Pour situer, France est le prénom du personnage central, une sorte de « journaliste préférée des français » bossant dans un simili CNews, qui n’hésite pas à aller sur le terrain s’entretenir avec des combattants musulmans ou à aller titiller Macron en pleine conférence.
Le film entre dans son quotidien et sa pleine ascension un peu avant son effondrement quand elle va découvrir qu’elle peut être émue par les choses, le réel, le monde tandis qu’elle n’était qu’un programme du faux, de pure mise en scène d’elle-même. Une nouvelle quête de la sainteté, en somme, si chère à Dumont.
Traitée sous l’angle journalistique, cette quête s’avère nouvelle pour l’auteur, lui qui s’est souvent intéressé aux « petites gens » du Nord, notamment ou plus récemment à des icônes, le voilà qu’il prend la complète figure de la notoriété, des médias, du faux. Il faut prendre France comme une pure caricature. Tout y est appuyé, répété, grossi. Jusque dans le nombre de gros plans sur le visage de Seydoux. Ainsi que sur ses larmes. Cette répétition est démesurée, c’est une anomalie telle qu’on ne comprendra jamais ce qui se joue chez ce personnage, d’autant qu’elle repart systématiquement au front. Rien ne l’arrête. Et tout le film tient sur ce régime, au point qu’il est souvent insupportable.
Il y a trois « accidents » dans le film. Aucun ne se situe là où on l’attend (durant les reportages filmés par exemple) c’est la grande force de Dumont. Tous trois sont en revanche des astuces scénaristiques en forme de cache misère, accentuant le fait que le film n’a rien à raconter au-delà de ce qu’il plante durant le premier quart d’heure, rien à faire incarner.
Pour extraire un peu de corps, il prend la truelle. Et chaque fois ça marche un peu. Ça débouche sur quelque chose qui relance le film, le sort des rails de l’ennui et d’une répétition franchement lassante. Qui relance le récit autant qu’il réveille son personnage, la fait bifurquer.
Car si la satire médiatique est passionnante et intégrée dans le cinéma de Dumont à savoir qu’il traite le règne du faux avec du faux : Le jeu des acteurs de chez Dumont n’aura jamais été aussi adapté en ce sens tant les champs contrechamps révèlent des jeux décalés – je me suis souvent demandé si c’était tourné comme ça d’ailleurs. Et c’est évidemment ce qui transparaît dans le film, notamment durant les reportages et les plateaux télé où les coulisses ne révèlent que pure mise en scène ! La plus belle à mon avis c’est ce « plan de secours » tourné par France face caméra s’adressant à la femme du mari violeur, sans jamais la regarder. Et le film fait ça en permanence, par exemple quand deux invités de son émission se roulent dessus avant de se livrer des accolades et des « on dîne ensemble » hors caméra. On pourrait aussi citer la scène de l’embarcation de migrants ou revenir sur la scène d’intro qui est déjà l’incarnation ultime de cela : France parle avec Macron, mais ce n’est que du montage (à renfort d’images d’archives) car le président n’a pas participé au tournage. C’est fascinant et c’est aussi la limite du film, ce n’est que la répétition de cette idée.
Si Lea Seydoux est formidable, pas facile d’en dire autant du reste du casting, amorphe (les hommes) ou Gardin, qui fait du Gardin, en mode stand-up, l’extrême lourdeur en plus, donc pas drôle, insupportable.
Ce qui m’a plu c’est moins la grandiloquence de ce portrait de la France – le titre est tellement trop évocateur, le nom du personnage (De Meurs) enfonce le clou – que de ce triple autoportrait, à la fois de Dumont (qui s’est délivré par le comique) de Léa Seydoux et de la France vue par Dumont. C’est assez vertigineux.
La musique de Christophe est sublime. Les nombreux gros plans aussi. C’est aussi un film qui me rappelle que je peux adorer Dumont sur une scène ou un plan, tant on ne voit ça nulle part ailleurs. Sur le film entier, ce film-là du moins, c’est une autre histoire.