Tir groupé.
8.5 Premier film de Paul Schrader, magistral, dense, cru, violent, avec trois personnages, un peu têtes brûlées, qui tentent de changer la donne, mais qui ne regardent jamais dans la même direction, ne bougent pas pareil. Leur gestuelle est fabuleuse, par ailleurs, durant tout le film (trois immenses acteurs) : c’est aussi un grand film de corps, ou l’on suit la répétition des gestes, la monotonie du mouvement au travail. Schrader n’a jamais caché sa fascination pour Bresson.
Trois personnages centraux donc, amis inséparables mais aspirés par la survie car chacun a ses galères, ses travers, sa vie, des gosses. Ils bossent tous trois sur une chaîne de montage automobile et peinent à finir le mois. Smokey est le plus mystérieux mais on comprend qu’il est couvert de dettes, Zeke est emmerdé par le fisc car il a déclaré six gosses au lieu de deux pour sortir la tête de l’eau, quant à Jerry il ne voit pas comment il pourra payer un appareil dentaire à sa fille.
Dans un élan de folie ils décident de braquer le coffre de leur syndicat, car c’est de l’argent qui leur revient, disent-ils. Évidemment ça ne se passe pas du tout comme prévu, mais vraiment pas et c’est là où Schrader est très fort car il construit cette deuxième partie en illustration de ce que l’un d’eux disait au début du film à savoir que quoiqu’il arrive, les puissants trouveront toujours un moyen d’ériger les faibles les uns contre les autres, blancs contre noirs, vieux contre jeunes, pauvres contre moins pauvres.
Et ce qui était d’abord une petite chronique prolétarienne, sur un monde ouvrier soit en colère soit désenchanté – en ce sens le film préfigure deux grands succès de l’année suivante, tant il est proche de la première partie de Voyage au bout de l’enfer mais aussi de Norma Rae – va bientôt plonger dans le thriller paranoïaque, dans un Détroit qui n’est pas encore le Détroit fantomatique d’Only lovers left alive, mais qui respire déjà le chaos.
Le film est d’une noirceur totale, jusqu’au bout, jusque dans son dernier plan et il me permet de me rendre compte que définitivement, si on prend leur « premier film » urbain respectif, je suis plus sensible au cinéma de Schrader qu’à celui de Scorsese (je préfère largement Blue collar à Mean Streets) mais que la synthèse des deux aura offert l’un des plus beaux films du monde : Taxi driver.
Quoiqu’il en soit, Blue collar est une merveille. Un superbe portrait de personnages quasi renoiriens. Un pur diamant noir, quand bien même il soit aussi parcouru d’instants mi comiques mi grotesques, à l’image de ces scènes de bar, ces réunions syndicalistes ou encore ces masques de fortune (des grigris de farce et attrape) utilisés pour le casse. Immense découverte.
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