Archives pour mars 2022

The Batman – Matt Reeves – 2022

18. The Batman - Matt Reeves - 2022Something in the rain.

   7.0   Budget de côté, on est très proche de Joker (Todd Philips, 2019) sur de nombreux points, dans ses pics de violence, sa lumière, son côté poisseux, mais surtout dans son obsession référentielle. Pour l’un c’était le Scorsese de Taxi driver & La valse des pantins. Pour l’autre c’est plutôt le Fincher de Seven & Zodiac. Pourquoi le premier me pose problème tandis que l’autre me passionne ?

     Il y a déjà une grande différence du seul point de vue de l’assise de l’acteur. Phoenix est moins dans l’incarnation que dans la performance. Tandis que Pattinson ne cherche aucunement à dévorer l’écran, c’est plutôt le décor qui le dévore. C’est aussi une affaire de personnages me direz-vous. Sans doute, oui. Mais la force du Joker, chez Nolan ou Burton, ne fonctionnait pas au détriment du film, du récit comme de son atmosphère. Il me semble que si Matt Reeves réussit ne serait-ce qu’un truc, c’est l’atmosphère de son film, qui emprunte autant au gigantisme cosmopolite de Blade runner qu’à la noirceur pluviale de Seven, donc.

     Des reproches on peut lui en faire. Des réserves, j’en ai des tas. Ne serait-ce qu’au niveau de l’enquête, qui ne fonctionne pas très bien (à renfort de devinettes dont on aurait pu se passer) ou encore de sa dimension romantique, qui ne colle ni avec ce Batman là ni avec cette Catwoman, surtout via la présentation qui en est fait au préalable. Il y a quelque chose de trop fabriqué là-dedans pour qu’on y croit. De mal écrit, aussi. Reproche que l’on peut aussi faire au dernier Matrix, par ailleurs.

     La satisfaction globale provient essentiellement d’une volonté de reprendre de nombreux codes, chers à Batman, mais aussi aux films paranoïaques tout en les utilisant autrement. Le plaisir de voir la version détective de Batman en est une. De le voir hésiter dans ses principes (l’ambiguïté de son caractère vengeur), être saisi de vertige, se gaufrer ou simplement tâtonner dans une quête qui le dépasse, bientôt le submerge. C’est un ado dépressif, abîmé, illustré grossièrement par la double utilisation de Something in the way, de Nirvana.

     Il fait tout le temps nuit, il pleut quasi en permanence. Certaines séquences se répètent, dans cette boîte de nuit notamment ou sur les toits. Le film respire le chaos. Et explose dans de longues scènes puissantes, aussi bien une course poursuite hallucinante (Dans ces moments-là je me suis demandé si l’on n’était pas face au Fury road du cinéma de Superhéros), qu’une baston dans le noir à la seule lumière stroboscopique des coups de feu de mitraillette, qu’une tétanisante scène d’attentat dans une église.

     Les références sont légion. C’est Coppola partout, Conversation secrète d’abord (les scènes d’écoutes et d’observations, à la jumelle ou à travers une technologie à base de lentilles de contact invisibles) et bien entendu Le Parrain : Comment ne pas y penser lors de la discussion avec le Falcone, lors de la cérémonie funèbre ou sur ce lit d’hôpital ? On pense aussi à French connection ainsi qu’à Chinatown. Mais aussi à Manhunter (La rencontre entre Batman & The Riddler au parloir) ou à The girl with the dragon tatoo (Fincher, encore) pour l’amour impossible, le final avec les motos et Catwoman n’est pas sans évoquer Lisbeth Salander. Ça aurait pu être écrasant, mais le film trouve son identité là-dedans.

     Je suis le premier surpris. D’une part car Batman et moi ça fait deux – c’est sans doute là que se joue la réussite finalement : et si c’était un Batman pour les non-fans de Batman ? D’autre part car la carrière de Matt Reeves me laisse un peu pantois tant je n’aurais pas misé un kopek sur le fait que le réalisateur d’un film aussi malade, osé, ramassé et singulier que Cloverfield (l’un des grands films du XXIe siècle, qu’on se le dise) puisse aussi performer dans des blockbusters aussi imposants et variés que La planète des singes (ses deux volets sont franchement très beaux) et Batman.

     Bref, c’est un superbe film noir pour moi, avec un univers dingue. Bourré de défauts mais surtout d’envie, d’idées et de volonté de ne pas rentrer dans un moule préformaté. Et trois heures qui sont passées d’un claquement de doigts – ou presque.

Backdraft – Ron Howard – 1991

36. Backdraft - Ron Howard - 1991L’incendiaire de Chicago.

   7.0   Essayons d’être un peu objectif : Backdraft ne brille pas par ses subtilités. C’est un film chargé, de rivalité fraternelle, de trauma, de testostérone, d’envolées héroïques, saturé par la musique de Hans Zimmer et campé par un casting quatre étoiles qui cabotine à fond. Spécialités de Ron Howard, en somme et film très proche d’un Rush, ou d’un Apollo 13, autres Howarderies idéales du dimanche soir.

     L’atout premier de Backdraft et personnage principal – au milieu de Kurt Russell, William Baldwin, Robert DeNiro, Scott Glenn, Rebecca DeMornay, Donald Sutherland, J.T. Walsh ou Jennifer Jason Leigh, excusez du peu – c’est le feu. Rares sont les films qui auront si bien capté sa force, son mystère, sa violence, sa chaleur, son imprévisibilité. On le voit grimper sur les parois, se dandiner aux plafonds, faire des vagues sur le sol. Il semble même se régénérer par dessous les portes fermées que l’on voit se cambrer et que l’on imagine ardente, avant de libérer sa colère explosive à la moindre inspiration d’oxygène. Personnage-monstre traité d’abord en tant qu’entité abstraite, qu’il faut éteindre quand elle vit puis qu’on analyse quand elle meurt, après avoir laissé derrière elle un décor calciné.

     Les à-côtés (du feu) ne sont toutefois pas en reste, aussi bien ce qui touche au quotidien dans la caserne (bien sûr on aimerait en voir davantage) qu’à cette relation électrique entre deux frangins qui ne se sont jamais remis du décès en service de leur père. Ron Howard aurait pu s’en tenir à ce programme là mais il va plus loin encore dans la dramaturgie en insérant une série d’incendies qui se révèlent d’origine criminelle. Incendie chaque fois couvert d’un cadavre qui était proche d’un certain conseiller influent et magouilleur. Un pompier inspecteur enquête alors sur ces mystérieux feux, jusqu’à rencontrer (On pense beaucoup au Silence des agneaux) en prison un célèbre pyromane qui pourrait l’aider à les mettre sur la voie de l’incendiaire en question.

     Si l’on est familier de la ville de Chicago grâce à la série Urgences, on retrouve exactement cette respiration dans Backdraft, quand bien même le County Hospital soit remplacé par une caserne de pompiers. La ville est une actrice essentielle, aussi bien son train aérien que sa ligne de gratte ciels à l’horizon, qui lui donne un cachet très étrange, d’immensité indomptable, renforcée par ces nombreux feux, dans des lieux aussi variés qu’un immeuble, une salle de spectacle ou un entrepôt.

     La longue séquence finale sur le toit puis les passerelles d’un bâtiment industriel abritant des produits inflammables, est impressionnante, cathartique aussi bien visuellement que dans la charge mélodramatique qu’elle charrie. Elle vient parfaire – façon bouquet final – un nombre de séquences déjà impressionnantes, donnant un côté opéra de feu à ce film, certes archi burné, mais très impressionnant visuellement.

     J’ai bien conscience de ses nombreux défauts / problèmes inhérents à son statut de pur divertissement hollywoodien bourrin et masculiniste, mais c’est un film pour lequel je garde une grande affection pour l’avoir maintes fois maté étant gamin mais aussi par ce qu’il fait preuve d’une belle générosité dans l’action et notamment dans sa volonté d’humaniser / érotiser le feu. Toujours un grand oui, donc.

Notre-Dame brûle – Jean-Jacques Annaud – 2022

35. Notre-Dame brûle - Jean-Jacques Annaud - 2022Quelque chose cloche.

   3.0   Quand tu grandis avec La tour infernale (John Guillermin, 1975) et L’aventure du Poséidon (Ronald Neame, 1973) jusqu’à les mater en boucle, « le film catastrophe » est un genre aussi sacré qu’il est régulièrement frustrant tant peu de divertissements de ce genre n’arrivent à la cheville de ces deux films, quand bien même tu aimes beaucoup Twister, Le pic de Dante, Alerte, Deep Impact, Apollo 13 ou En pleine tempête.

     C’est donc une rafale de déceptions, que tu les découvres sur le tard (Tremblement de terre, Mark Robson, 1974), qu’ils soient trop bourrins pour toi (Armageddon, Michael Bay, 1998), beaucoup trop embarrassants (The impossible, Juan Antonio Bayona, 2012), qu’il s’agisse de remake ni fait ni à faire (Poséidon, Wolfgang Petersen, 2006) ou de purs nanars astronomiques (2012, Roland Emmerich).

     Et tu n’as pas douze ans quand tu te ramasses l’onde de choc que fut Titanic, qui cumule tellement de génie qu’il est difficile de parler de simple film catastrophe, d’autant qu’il embrasse brillamment réel et fiction, et que la fiction est encore plus intense que le réel, que le film dès son entame annonce le programme : Il y a l’histoire célèbre du naufrage, mais Cameron via Rose, va nous raconter sa propre histoire. Dès lors ce sera plus compliqué pour les films qui suivront.

     Tout ce préambule pour dire que le projet d’Annaud, quand bien même je le trouvais obscène sur le papier (l’incendie de Notre-Dame n’a pas trois ans) et pas hyper bandant en tant que sujet de film catastrophe, m’intéressait pour un point essentiel : Comment allait-il filmer le feu ? Est-ce qu’il sera aussi réussi que celui de Ron Howard, dans Backdraft ? Est-ce qu’il sera aussi intense que celui des cuisines et de la salle des machines dans L’aventure du Poséidon ?

     Annaud retrace les heures durant lesquelles la cathédrale était en feu, le 15 avril 2019, jusqu’à ce qu’elle soit sauvée par les pompiers de Paris. Le projet est donc une forme d’hommage héroïque avant tout. On peut donc s’interroger sur la place du cinéma là-dedans, d’autant que les grandes images qui traversent le film sont celles glanées à droite à gauche utilisées par tous les médias du monde ce soir-là. Ce qui relève du réel garde en effet toute sa puissance tragique, mais Annaud n’y est pas pour grand-chose : Toutes proportions gardées, les nombreuses images qu’on a vu de la tragédie du World Trade Center c’était pareil, aucune fiction ne sera en mesure d’égaler la force du réel et surtout pas quand c’est Oliver Stone qui s’en empare en 2006 pour livrer ce film absolument catastrophique que l’on connait.

     Annaud joue aussi sur ce terrain hybride (partagés entre décors studios et naturels, reconstitutions et vidéos d’archives, réel et fiction, mais aussi déchiré entre son respect pour le lieu (la cathédrale), sa fascination pour le monstre (le feu) et son désir de faire interagir des personnages) et son film, quoique bien plus intéressant, est raté car il ne choisit pas. Il est dans l’hommage aux pompiers, on l’a dit. Mais il voudrait aussi raconter un peu de l’ambiance de cette funeste soirée, en montrant à la fois les travaux et les embouteillages monstrueux – qui empêchent notamment les gardiens du feu d’approcher les lieux – mais aussi la foule agglutinée devant ce macabre spectacle ; il voudrait montrer l’inquiétude des politiciens, Hidalgo jouant son propre rôle dans le film, Macron étant lui aussi présent au moyen seulement d’images d’archives ; il voudrait montrer les pompiers au travail (clairement ce qu’il réussit de mieux) mais aussi insérer la détresse dans laquelle se trouvent d’autres personnes : l’archevêque, l’architecte, le chef des pompiers et surtout le régisseur qui détient les clés du coffre de la couronne d’épine et qui doit faire tout Paris, galérer dans les transports, pour sauver la relique sacrée.

     Annaud multiplie les actions, le rythme, les personnages, au point que tout s’annule. On a même le droit à un running-gag d’une vieille dame qui appelle la caserne pour venir au secours de son chat coincé sur son toit : Qu’est ce que ça vient foutre là ? Qu’est-ce que ça raconte ? Pire, toutes les scènes avec le maître des clés, qui rate son RER, qui essaie trois Vélib’ avant d’en trouver un qui fonctionne, qui se fait sèchement arrêter par les flics au moment de passer les barrières, auraient pu être accompagnés par la musique de Fort Boyard que ça n’aurait pas fait tâche. C’est Passe pas Partout, en l’occurrence.

     Pour être honnête, tout ce qui se déroule en dehors de la cathédrale et du feu, n’a strictement aucun intérêt, d’autant plus que les acteurs ne sont pas bons et que les personnages n’existent pas. Annaud n’est définitivement pas Cameron et Titanic peut dormir tranquille. Mais si le défi technique ne m’intéresse pas beaucoup, il faut reconnaître qu’Annaud y est plus à son aise, qu’il fait de grandes scènes, notamment dans l’exiguïté des marches de la cathédrale, très oppressantes ou lorsque les pompiers progressent dans la fumée et se retrouvent dans le beffroi.

     Il ne choisit pas car il veut à la fois coller au réel, faire de la fiction mais aussi être plus abstrait. Et c’est peut-être sur ce dernier point que le film trouve ses meilleures inspirations, quand il donne à voir deux personnages qui le passionnent vraiment, à savoir la cathédrale et le feu. A ce titre l’ouverture du film est bien trouvée : Fond noir, on entend le sons des cloches. Puis c’est le craquement d’une allumette qui viendra mettre fin à ce son de cloche. Il eut fallu faire un film uniquement sur la cathédrale et le feu. On y aurait vu les pompiers travailler mais débarrassés de ces dialogues ridicules qu’ils débitent. On y aurait vu la foule, mais dans une forme abstraite et pas débile comme lorsque des touristes québécois se désolent du spectacle « Allez les pompiers, arrêtez de niaiser ! » Oui il y a vraiment cette phrase dans le film.

     Il eut fallu changer beaucoup de choses encore malheureusement, notamment cette musique insupportable mais aussi toute cette charge symbolique outrancière qui irrigue tout le film à l’image de la statue de la vierge qui pleure. On sait qu’Annaud n’a plus tourné en France depuis longtemps, mais c’est dingue de singer à ce point le modèle hollywoodien avec si peu de réussite. Dans un registre similaire, il me semble que la série Le bazar de la charité (2020) parvenait à donner vie à son tragique incendie, à la fois d’un point de vue visuel mais aussi dans son traitement des personnages.

     Il n’y a pas de vie dans Notre-Dame brûle. Car il ne sait pas filmer l’humain. Au début, quand la cathédrale est évacuée, une petite fille trompe la vigilance de sa mère pour aller allumer un cierge et y déposer l’élastique qui attache ses cheveux. Est-ce que le film se fermera sur un plan de cette bougie et de cet élastique intact ? Bah oui. Annaud coche tout, mais ne réussit rien. Un aveu d’échec permanent, à l’image de ces incessants split-screen, car tu vois, il faut montrer le champ et le contre-champ, le réel et la fiction.

     Il tente un moment une idée de mise en scène à travers ce dispositif, au moment de la chute de la flèche. J’étais curieux de voir comment il allait traiter cet instant. Il montre les images réelles de la chute de la flèche et dans la foulée nous fait vivre le bruit et le violent blast qu’elle provoque dans la cathédrale, aux côtés des pompiers. Et c’est plutôt pas mal. Ça aurait pu être mieux, mais c’est pas mal, on ressent enfin quelque chose.

     Bref, si le film gommait sa musique lourdingue et étirait davantage ses scènes plutôt que de les monter à la truelle, il resterait une vraie force sonore et quelques idées graphiques assez impressionnantes. Or les maigres bonnes idées sont systématiquement gâchées.

     Je me rends compte que je suis très dur avec le recul, bien plus que durant la projection car la salle de cinéma probablement, mais aussi car il parvient à saisir quelque chose du temps réel malgré tout. Mais finalement, les images de Notre-Dame brulant ce 15 avril qui m’ont véritablement ému et scotchées je les avais déjà vues.

     Désolé pour ce pavé aussi indigeste que le film.

Viens je t’emmène – Alain Guiraudie – 2022

15. Viens je t'emmène - Alain Guiraudie - 2022L’émoi de l’invasion.

   6.5   C’est un beau film sur notre époque anxiogène mais à la sauce Guiraudie si bien qu’il n’est jamais glauque, jamais désespéré, c’est au contraire très drôle, accueillant, plein de tentatives, tout le temps. C’est Le roi de l’évasion passé à la moulinette de l’angoisse terroriste.

     Le changement majeur qu’opère Viens je t’emmène dans le cinéma d’Alain Guiraudie c’est finalement moins la gravité sous-jacente du propos que l’ancrage saisonnier et géographique, puisque c’est la première fois que son cinéma se déroule en hiver et intégralement en ville (Et en grande majorité dans un immeuble) et pas une ville qu’on voit beaucoup au cinéma, puisqu’il s’agit de Clermont-Ferrand.

     Médéric, la trentaine, affublé la plupart du temps d’une tenue de jogger, tombe amoureux d’Isadora, la cinquantaine, prostituée et mariée. En parallèle, un acte terroriste a lieu sur la place de Jaude aux pieds de la statue Vercingétorix et Selim, un jeune sans-abri se réfugie dans l’immeuble de Médéric. Et le film va naviguer là-dedans, entre cet amour impossible, un climat volontiers érotique et une paranoïa collective.

     Viens je t’emmène devient un film fou et fourre-tout, mélange de satire contemporaine, de chronique de l’absurde, de western et de théâtre de boulevard. Il y aura, entre autres, une scène de sexe incroyable devant BFM TV ; des personnages qui ont un don d’ubiquité complètement absurde ; une scène de rêve géniale, avec un homme nu tombant sur un groupe de musulmans radicalisés (pour reprendre ce qu’il dit à la police) dans son salon. Et j’en passe.

     Du pur Guiraudie, en somme. En apparence moins beau que d’habitude, car moins équilibré, plus vaudevillesque et plus urbain – et le cinéma de Guiraudie se déploie mieux dans la nature je crois – mais tellement indispensable, réjouissant par les temps qui courent.

Les éternels (Eternals) – Chloé Zhao – 2021

14. Les éternels - Eternals - Chloé Zhao - 2021Bande à part.

   4.5   Alors c’est donc ça le renouveau Marvel ? On prend une cinéaste en plein essor, récemment oscarisée (mais surtout surcotée) et ça devrait suffire à rendre cette nouvelle histoire différente, plus moderne, comme si le simple fait d’avoir « un auteur » en l’occurrence « une auteur » (et ça prend plus d’importance encore) à la barre était gage de qualité. On est chez Marvel, on imagine que Zhao n’est pas libre de grand-chose sur le produit final.

     Car je n’ai pas vu de changement si évident, moi. Les scènes intimes et les scènes d’action sont les mêmes que dans les précédents Marvel. Il semble qu’il y ait moins de fonds verts, certes et plus de décors naturels, mais l’ensemble reste laid. Les scènes d’action, Zhao ou pas, sont d’une laideur sans nom, décalquées sur ce que studio nous a concocté ici ou là depuis quinze ans.

     Or ce que les premiers films du MCU avaient tout de même réussi c’était de faire rentrer les personnages un par un, de films en films, avant de leur offrir un film, Avengers – puis des suites d’Avengers après les suites de Thor, Captain America, Ant-man et consorts) qui les réunisse tous. C’était quelque chose de complètement bancal mais de construit. Assez beau par moment, notamment dans le feu d’artifice en deux temps que furent Infinity war puis Endgame.

     Là il y a un film qui fait entrer dix nouveaux personnages en même temps. Et qui n’en traite fondamentalement aucun : le premier X-men (Bryan Singer, 2000) s’en tirait nettement mieux, par exemple. La seule obsession de The Eternals c’est son discours inclusif, c’est sa volonté de diversifier – qui est une bonne idée en soi puisqu’il s’agit aussi de faire de ces Eternels les protecteurs et représentants du genre humain – et donc d’intégrer une parité évidente, un enfant, une sourde-muette, un personnage noir homosexuel, des asiatiques, etc. Pourquoi pas. Mais il faut que la mise en scène intègre ça aussi. Là tout est au même niveau, filmé pareil, éclairé pareil, monté pareil, qu’on soit dans le passé comme dans le présent.

     Il faut se coltiner un truc totalement dans l’ère du temps, à l’image de toutes ces blagues débiles autour des smartphones ou de celui qui filme tout. Se coltiner un twist complètement absurde au mitan. Se coltiner un humour toujours aussi lourdingue. Se coltiner deux acteurs de Game of thrones, qui jouaient Rob Stark et Jon Snow, le premier mauvais comme un cochon, le second aussi utile que le petit doigt de pied, même si la scène post générique nous apprend qu’on va le revoir. J’en peux plus de ces scènes post générique toutes pourries, comme si chaque film devait se fermer sur une promesse de suite.

     Passé ces nombreux griefs, je n’ai pas trouvé ça désagréable non plus, c’est toujours mieux que Nomadland. Je ne me suis pas trop ennuyé malgré ses 2h35. J’aime plutôt bien sa narration étoilée, même si l’on ne ressent à aucun moment que ces personnages ont passé sept mille ans sur Terre. Je suis content de pas m’être farci ça en salle.

Rien à foutre – Julie Lecoustre & Emmanuel Marre – 2022

11. Rien à foutre - Julie Lecoustre & Emmanuel Marre - 2022La captive du désert.

    9.0   Cassandre est hôtesse de l’air dans une compagnie low cost, elle loge dans un hôtel aux frais de la compagnie, aux Canaries, à Lanzarote, mais peut aussi bien passer ses nuits lors de ses escales, à Varsovie ou Liverpool. Cette vie sans attaches, faite de rencontres éphémères (« les gens je les aime pendant deux heures et après salut » clame-t-elle), tout en transit et jet lag lui plaît, même s’il rêve d’intégrer Emirates et de s’envoler pour Dubaï.

     La première partie de Rien à foutre est le récit de ce quotidien, de cet univers si singulier, violent où l’on découvre ces hôtesses, systématiquement dans la représentation, c’est leur travail, faire des sourires et exhiber leur féminité. C’est la vie de Cassandre, qui si elle n’est pas dans un avion, passe son temps sur son téléphone, entre Insta et Tinder, en boîte de nuit ou avec des plans cul. Elle swipe la vie, en somme. Au même titre que ces avions qu’elles préparent puis qu’elle nettoie, que ces passagers dont elle prend soin le temps d’un vol, pour ne plus jamais les revoir.

     Julie Lecoustre & Emmanuel Marre optent pour un tournage dans l’urgence, notamment dans de vrais aéroports ou dans un avion en plein vol. Et une écriture laissant beaucoup de place à l’improvisation. Plus étonnant encore : Tout y est filmé dans un style documentaire ou plutôt comme si un élément de fiction était injecté dans le réel – Un peu comme dans la partie hospitalière de Énorme, de Sophie Letourneur. Car si Adèle Exarchopoulos est arrivée tardivement sur le projet, Emmanuel Marre & Julie Lecoustre lui ont défini un rôle aussi original qu’essentiel (dans leur fonctionnement) : Elle serait la seule non-professionnelle du film. Au sens où elle serait la seule actrice entourée de personnes exerçant leurs métiers. Procédé ô combien casse gueule qui tient uniquement parce que l’actrice relève miraculeusement le défi. Elle y est aussi magnétique (sinon davantage) que chez Kechiche. Je me suis rendu compte que je pourrais la regarder jouer pendant des heures, et ne voir qu’elle, un peu comme Dewaere ou Vitti.

     Le film se tiendrait à ce dispositif, assumant le mystère impalpable de son héroïne, qu’il serait un formidable moyen métrage, dans la lignée des précédents jolis travaux du couple de cinéastes. Mais ils ont choisi cette fois de transformer leur cinéma, de l’élargir vers la fiction (et le scénario) pur. Courant le risque de le faire tenir sur deux heures : certains diront sans doute qu’il y a deux moyens métrages dans un long tant la césure au mitan (aux deux/tiers probablement) est claire. Ils n’auront pas tort, il y a deux films, aussi bien narrativement que formellement. Sauf que cette seconde partie fonctionne en écho absolue avec la première. Plus fort : La première partie (qui a tendance par instants à me lasser car je ne comprends pas vraiment les motivations de Cassandre) s’en trouve augmentée aussi dans la mesure où c’est le récit d’une fuite, hors sol, d’un refus de l’attachement, d’un deuil refoulé qui explose dans la seconde.

     Ce retour à la maison, les retrouvailles avec le père, avec la petite sœur, mais aussi avec les amis, en Belgique, est un retour sur Terre, un retour au réel, où il faut affronter les douleurs passées les plus tangibles. Et si le début du film était parcouru de petites touches comiques assez géniales, vers la fin un autre ton dévore le film, couverts d’instants de grâce bouleversants, souvent nocturnes, mal éclairés (comme pour contrer la lumière souvent éclatante et artificielle des aéroports) à l’image de cette discussion avec le père sur la terrasse du jardin (avec ce spot qu’on rallume à intervalles réguliers en faisant de grands gestes) ou celle entre deux sœurs à la seule lumière de leur foyer de cigarette, ou celle dans cette casse automobile où Cassandre semble errer parmi des milliers de cercueils, où celle de l’appel de l’opérateur téléphonique, ou celle, silencieuse, terrible, sur ce carrefour giratoire.

     C’est peut-être un schéma plus conventionnel que de prendre ce chemin-là, plus attendu dans le cinéma, que ce qui traversait la première partie, mais c’est fait avec une telle force tragique, un tel amour pour cette histoire et les personnages de cette histoire, c’est puissant.

     Et puis il y a cette fin. Incroyable fin autant qu’elle est osée, absolument casse gueule, d’autant qu’elle débarque juste après la longue scène autour des rochers du rond-point. Un cut, une ellipse, deux mondes. Soudain c’est Dubaï, en pleine pandémie, un spectacle aquatique et de bruit hors norme et Cassandre, là-bas, qui emporte avec elle son mystère. Un final qui rappelle Les siffleurs, de Corneliu Porumboiu. Un final aussi salvateur que d’une tristesse inouïe.

     Julie Lecoustre & Emmanuel Marre étaient là à l’issue de la projection, tous deux aussi érudits qu’adorables, humbles et passionnés. Hâte de les revoir…

D’un château l’autre – Emmanuel Marre – 2018

10. D'un château l'autre - Emmanuel Marre - 2018Générations rebelles.

   6.0   Il faudrait vérifier si ce moyen-métrage a quelque chose à voir avec le roman éponyme de Céline. J’en doute. Quoiqu’il en soit, c’est un titre étrange, qui ouvre un monde de possibles en soi.

     Pierre, vingt-cinq ans, étudiant à Paris, loge chez Francine (incarnée par la propre mère d’Emmanuel Marre), retraitée dépendante de son fauteuil roulant, dont il prend soin en échange d’un toit. Parallèlement, Pierre ne sait pas pour qui voter. C’est l’entre-deux tours de 2017 et le voilà écumant tour à tour les meetings d’Emmanuel Macron & Marine Le Pen (au sein desquels le film est vraiment tourné).

     D’un château l’autre est un pot-pourri (plutôt réussi) du naufrage de notre société occidentale, touchant aussi bien ses jeunes que ses vieux, ses classes sociales que ses couches familiales. Mais un dialogue se noue entre deux, malgré leurs différences, d’âge, de classe, de bord politique. Un dialogue en grande partie improvisé, marque de fabrique d’Emmanuel Marre, qui au préalable ne se dirigeait pas du tout vers ce film-là et s’est laissé gagner par cette relation, à deux voix, deux corps, deux regards.

     Un moment donné, il y a un plan incroyable : Francine est dans son lit en train d’écouter Brahms. Pierre s’est isolé sur le balcon mais l’observe. Le plan dure bien une minute. Et lorsqu’il referme la fenêtre, on comprend, à la faveur du reflet, qu’il lui tournait le dos et regardait dehors. Le film est peut-être une douce utopie de partage improbable (qui prendra une forme émouvante à Beaubourg quand Francine pleure de ne jamais voir ses enfants) mais ce plan rappelle, subtilement, qu’il y aura toujours un monde entre eux.

Le film de l’été – Emmanuel Marre – 2016

09. Le film de l'été - Emmanuel Marre - 2016Coup d’éclat.

   7.0   Le synopsis officiel est parfait : « C’est un film d’autoroute, de touristes en transhumance, de tables de pique-nique en béton, de files d’attente pour les WC, de melons tièdes et de carwash. C’est le film d’un homme qui veut partir et d’un petit garçon qui le retient. C’est le film de l’été ». On pourrait ajouter que c’est le voyage de deux amis, Pierre & Philippe, accompagnés du fils de l’un d’eux ; que l’humeur y sera globalement joviale, toute en vannes et dialogues absurdes, mais que l’un d’eux, au fond, ne va pas très bien, qu’il n’est d’ailleurs pas loin de mettre fin à ses jours en écoutant The sound of silence, de Simon & Garfunkel. Son rebond sera aussi soudain et lumineux que cette tentative fut brutale et inattendue. C’est un film très doux et désenchanté, qui montre (à l’instar du cinéma de Guillaume Brac) que les deux vont de pair, que l’énergie insouciante de Balthazar, le petit garçon, peut contaminer l’état dépressif de Philippe. Qu’ils peuvent tous deux avoir une discussion sérieuse et métaphysique autour de la dernière scène du Grand bleu. Le film d’Emmanuel Marre est déjà très écrit mais laisse volontairement place à l’improvisation, aux ratés, aux fous rires, à un flux de parole libre. Jean-Benoît Ugeux, qui incarne Philippe, est extraordinaire, de rayonnement de façade, de douleur rentrée. Le regard de Balthazar Monfé, le petit garçon, sera le contrechamp sublime, de pureté, de lumière et d’espoir. Ce « Je ne veux pas que tu partes » à chialer.

Le chêne – Laurent Charbonnier & Michel Seydoux – 2022

04. Le chêne - Laurent Charbonnier & Michel Seydoux - 2022Crise d’épilepsie.

    3.0   C’était un petit coup de poker que d’emmener les enfants voir cela. D’une part car s’ils ont l’habitude de voir des docus animaliers à la télé, ils regardent souvent par intermittences. Ils glanent des images. D’autre part car c’est un film sans parole. C’est tout ce dont je savais. Vu le titre on se doutait qu’on allait voir la vie d’un vieux chêne, plutôt la vie sur et autour de ce vieux chêne.

     Mon fils a plutôt bien vécu la séance, surtout les aventures du petit écureuil. Il a aimé sursauter quand le balanin chevauche un crapaud qui ouvre soudain grand la gueule. Il a aimé voir des sangliers d’autant qu’on venait d’en voir un traverser la route devant nous quelques jours plus tôt. « C’était mignon » a-t-il dit en sortant.

     Ma fille a trouvé le temps très long. Distraite en grande partie par les mulots, l’épisode de la couleuvre ou celui de l’aigle coursant le pauvre geai. Et bien entendu requinquée pendant le chapitre bébés (marcassins, geais, mulot…). Mais globalement elle a passé son temps à me signaler qu’elle s’ennuyait.

     Ennui total pour moi aussi. Je vais tenter d’expliquer pourquoi. Charbonnier & Seydoux optent pour le docu sous forme de rollercoaster jusqu’à intégrer des séquences souterraines de champignons en CGI. Ils vont donc filmer dans les recoins, avec de minuscules caméras, j’imagine. Et quand ils simulent un temps orageux il n’est pas difficile de voir la faune effrayée, puisque c’est leur façon de filmer, de bouger la caméra, qui les effraie. C’est peut-être un mauvais procès, qu’importe ça m’a beaucoup dérangé.

     Ça et le fait qu’il n’y ait pas un plan qui dure plus de trois secondes. C’est un truc de monteur épileptique, pour tenter d’insuffler du rythme, de façon complément artificielle. C’est un film qui refuse le calme et la lenteur. Quand le serpent grimpe l’arbre, c’est un enchaînement de gros plans sur une faune pétrifiée, accompagnés d’une musique adéquate. Mais au final il n’y a aucun danger. La nature est vue comme un terrain de jeu rigolo pour tout le monde.

     C’est un film tout sauf documenté. Tout sauf contemplatif. C’est un tour de manège. Avec les attractions « inondation chez les mulots », « le geai millenium », « Comme un serpent sur la branche » et autre « Le mulot et le renard ». Entre ces attractions, on s’ennuie, on fait la queue – sans pouvoir parler – et on est abreuvé d’images jolies mais publicitaires, épileptiques.

Les créatures – Agnès Varda – 1966

02. Les créatures - Agnès Varda - 1966Traitement de choc.

   4.5   Edgar et Mylène vont s’installer sur l’île de Noirmoutier, car Edgar, écrivain, compte écrire un bouquin. Sur la route ils ont un accident de voiture. Dès lors, Deneuve sera muette et Piccoli balafré en plein milieu du front. Elle restera enfermée à faire la popote et bientôt à attendre un bébé pendant que lui se balade en solitaire en observant la vie des autochtones, de façon à trouver de la matière pour son récit de SF basé sur les étranges habitants de l’île. C’est alors que le film devient cinglé. D’ailleurs, si l’on s’en tient à ce qu’en disait Varda : « C’est un jeu de passe-passe entre les aventures réelles et les aventures écrites ». Piccoli se met à parler aux chevaux et aux lapins. Les habitants ont des comportements soudains très bizarres, causés par de mystérieux cercles métalliques, renforcés par des filtres roses, rouges, violets – il faut signaler que Les créatures est un film en noir et blanc, très loin des couleurs éclatantes de son précédent film, son chef d’œuvre Le bonheur. On comprend que les habitants de l’île sont alors des pions sur un jeu électronique, géré par un voisin démiurge qui manipule chacun en lançant les dés. Une partie d’échecs à laquelle est bientôt convié Edgar – qui s’appelle Edgar Piccoli dans le film. Un peu comme si Varda avait voulu faire du Bergman, mixé Le septième sceau avec À travers le miroir, mais qu’elle avait fumé un peu trop de weed. Il y a des damiers partout dans le décor, sur des objets, sur les personnages. Une heure et demie chelou. Qui ressemble un peu à du Varda quand même (Celle de La pointe courte, notamment) mais qui vire à du sous-Resnais ou à du Jessua avant l’heure et sous LSD. Ça reste une curiosité mais j’y suis globalement hermétique.

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