Quelque chose cloche.
3.0 Quand tu grandis avec La tour infernale (John Guillermin, 1975) et L’aventure du Poséidon (Ronald Neame, 1973) jusqu’à les mater en boucle, « le film catastrophe » est un genre aussi sacré qu’il est régulièrement frustrant tant peu de divertissements de ce genre n’arrivent à la cheville de ces deux films, quand bien même tu aimes beaucoup Twister, Le pic de Dante, Alerte, Deep Impact, Apollo 13 ou En pleine tempête.
C’est donc une rafale de déceptions, que tu les découvres sur le tard (Tremblement de terre, Mark Robson, 1974), qu’ils soient trop bourrins pour toi (Armageddon, Michael Bay, 1998), beaucoup trop embarrassants (The impossible, Juan Antonio Bayona, 2012), qu’il s’agisse de remake ni fait ni à faire (Poséidon, Wolfgang Petersen, 2006) ou de purs nanars astronomiques (2012, Roland Emmerich).
Et tu n’as pas douze ans quand tu te ramasses l’onde de choc que fut Titanic, qui cumule tellement de génie qu’il est difficile de parler de simple film catastrophe, d’autant qu’il embrasse brillamment réel et fiction, et que la fiction est encore plus intense que le réel, que le film dès son entame annonce le programme : Il y a l’histoire célèbre du naufrage, mais Cameron via Rose, va nous raconter sa propre histoire. Dès lors ce sera plus compliqué pour les films qui suivront.
Tout ce préambule pour dire que le projet d’Annaud, quand bien même je le trouvais obscène sur le papier (l’incendie de Notre-Dame n’a pas trois ans) et pas hyper bandant en tant que sujet de film catastrophe, m’intéressait pour un point essentiel : Comment allait-il filmer le feu ? Est-ce qu’il sera aussi réussi que celui de Ron Howard, dans Backdraft ? Est-ce qu’il sera aussi intense que celui des cuisines et de la salle des machines dans L’aventure du Poséidon ?
Annaud retrace les heures durant lesquelles la cathédrale était en feu, le 15 avril 2019, jusqu’à ce qu’elle soit sauvée par les pompiers de Paris. Le projet est donc une forme d’hommage héroïque avant tout. On peut donc s’interroger sur la place du cinéma là-dedans, d’autant que les grandes images qui traversent le film sont celles glanées à droite à gauche utilisées par tous les médias du monde ce soir-là. Ce qui relève du réel garde en effet toute sa puissance tragique, mais Annaud n’y est pas pour grand-chose : Toutes proportions gardées, les nombreuses images qu’on a vu de la tragédie du World Trade Center c’était pareil, aucune fiction ne sera en mesure d’égaler la force du réel et surtout pas quand c’est Oliver Stone qui s’en empare en 2006 pour livrer ce film absolument catastrophique que l’on connait.
Annaud joue aussi sur ce terrain hybride (partagés entre décors studios et naturels, reconstitutions et vidéos d’archives, réel et fiction, mais aussi déchiré entre son respect pour le lieu (la cathédrale), sa fascination pour le monstre (le feu) et son désir de faire interagir des personnages) et son film, quoique bien plus intéressant, est raté car il ne choisit pas. Il est dans l’hommage aux pompiers, on l’a dit. Mais il voudrait aussi raconter un peu de l’ambiance de cette funeste soirée, en montrant à la fois les travaux et les embouteillages monstrueux – qui empêchent notamment les gardiens du feu d’approcher les lieux – mais aussi la foule agglutinée devant ce macabre spectacle ; il voudrait montrer l’inquiétude des politiciens, Hidalgo jouant son propre rôle dans le film, Macron étant lui aussi présent au moyen seulement d’images d’archives ; il voudrait montrer les pompiers au travail (clairement ce qu’il réussit de mieux) mais aussi insérer la détresse dans laquelle se trouvent d’autres personnes : l’archevêque, l’architecte, le chef des pompiers et surtout le régisseur qui détient les clés du coffre de la couronne d’épine et qui doit faire tout Paris, galérer dans les transports, pour sauver la relique sacrée.
Annaud multiplie les actions, le rythme, les personnages, au point que tout s’annule. On a même le droit à un running-gag d’une vieille dame qui appelle la caserne pour venir au secours de son chat coincé sur son toit : Qu’est ce que ça vient foutre là ? Qu’est-ce que ça raconte ? Pire, toutes les scènes avec le maître des clés, qui rate son RER, qui essaie trois Vélib’ avant d’en trouver un qui fonctionne, qui se fait sèchement arrêter par les flics au moment de passer les barrières, auraient pu être accompagnés par la musique de Fort Boyard que ça n’aurait pas fait tâche. C’est Passe pas Partout, en l’occurrence.
Pour être honnête, tout ce qui se déroule en dehors de la cathédrale et du feu, n’a strictement aucun intérêt, d’autant plus que les acteurs ne sont pas bons et que les personnages n’existent pas. Annaud n’est définitivement pas Cameron et Titanic peut dormir tranquille. Mais si le défi technique ne m’intéresse pas beaucoup, il faut reconnaître qu’Annaud y est plus à son aise, qu’il fait de grandes scènes, notamment dans l’exiguïté des marches de la cathédrale, très oppressantes ou lorsque les pompiers progressent dans la fumée et se retrouvent dans le beffroi.
Il ne choisit pas car il veut à la fois coller au réel, faire de la fiction mais aussi être plus abstrait. Et c’est peut-être sur ce dernier point que le film trouve ses meilleures inspirations, quand il donne à voir deux personnages qui le passionnent vraiment, à savoir la cathédrale et le feu. A ce titre l’ouverture du film est bien trouvée : Fond noir, on entend le sons des cloches. Puis c’est le craquement d’une allumette qui viendra mettre fin à ce son de cloche. Il eut fallu faire un film uniquement sur la cathédrale et le feu. On y aurait vu les pompiers travailler mais débarrassés de ces dialogues ridicules qu’ils débitent. On y aurait vu la foule, mais dans une forme abstraite et pas débile comme lorsque des touristes québécois se désolent du spectacle « Allez les pompiers, arrêtez de niaiser ! » Oui il y a vraiment cette phrase dans le film.
Il eut fallu changer beaucoup de choses encore malheureusement, notamment cette musique insupportable mais aussi toute cette charge symbolique outrancière qui irrigue tout le film à l’image de la statue de la vierge qui pleure. On sait qu’Annaud n’a plus tourné en France depuis longtemps, mais c’est dingue de singer à ce point le modèle hollywoodien avec si peu de réussite. Dans un registre similaire, il me semble que la série Le bazar de la charité (2020) parvenait à donner vie à son tragique incendie, à la fois d’un point de vue visuel mais aussi dans son traitement des personnages.
Il n’y a pas de vie dans Notre-Dame brûle. Car il ne sait pas filmer l’humain. Au début, quand la cathédrale est évacuée, une petite fille trompe la vigilance de sa mère pour aller allumer un cierge et y déposer l’élastique qui attache ses cheveux. Est-ce que le film se fermera sur un plan de cette bougie et de cet élastique intact ? Bah oui. Annaud coche tout, mais ne réussit rien. Un aveu d’échec permanent, à l’image de ces incessants split-screen, car tu vois, il faut montrer le champ et le contre-champ, le réel et la fiction.
Il tente un moment une idée de mise en scène à travers ce dispositif, au moment de la chute de la flèche. J’étais curieux de voir comment il allait traiter cet instant. Il montre les images réelles de la chute de la flèche et dans la foulée nous fait vivre le bruit et le violent blast qu’elle provoque dans la cathédrale, aux côtés des pompiers. Et c’est plutôt pas mal. Ça aurait pu être mieux, mais c’est pas mal, on ressent enfin quelque chose.
Bref, si le film gommait sa musique lourdingue et étirait davantage ses scènes plutôt que de les monter à la truelle, il resterait une vraie force sonore et quelques idées graphiques assez impressionnantes. Or les maigres bonnes idées sont systématiquement gâchées.
Je me rends compte que je suis très dur avec le recul, bien plus que durant la projection car la salle de cinéma probablement, mais aussi car il parvient à saisir quelque chose du temps réel malgré tout. Mais finalement, les images de Notre-Dame brulant ce 15 avril qui m’ont véritablement ému et scotchées je les avais déjà vues.
Désolé pour ce pavé aussi indigeste que le film.
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