Archives pour mars 2022



La nuée – Just Philippot – 2021

35. La nuée - Just Philippot - 2021Dans la serre, personne ne vous entend crier.

    7.0   Croisement improbable entre Petit paysan et Les oiseaux, La nuée est un premier film hybride puissant, qui parvient aussi bien à capter la crise du monde agricole qu’à faire grimper une menace horrifique qui culminera dans un dernier tiers ahurissant, de tension, de maîtrise à couper le souffle. Il n’est pas interdit non plus de penser à Cronenberg tant le vertige organique y est là aussi fécond ni même au Phase IV de Saul Bass, pour sa promesse apocalyptique, ce qui permet de constater que les sauterelles sont tout aussi anxiogènes que les fourmis. Mais La nuée est plus qu’un simple film d’orthoptères monstrueux, c’est aussi un beau mélodrame familial et donc un drame rural, faisant le portrait d’un milieu aux abois où il faut littéralement donner de son sang pour s’en sortir. C’est aussi l’histoire d’une relation mère/fille explosive au carrefour de leurs métamorphoses et pétage de plombs. Deux idées majeures : Avant tout le point de bascule (le sang) qui sort le film des rails naturalistes, disons, pour le faire entrer dans une mécanique horrifique ; ensuite la bande-son, vite saturée de stridulations des sauterelles, qui appuie le crescendo anxiogène. Et une révélation : Suliane Brahim y est exceptionnelle.

Enquête sur un scandale d’Etat – Thierry de Peretti – 2022

30. Enquête sur un scandale d'Etat - Thierry de Peretti - 2022Révélations.

   7.5   Hyper impressionné par ce film, dont je n’attendais rien, ne connaissant pas du tout son auteur Thierry de Peretti. J’y allais pour les acteurs et parce qu’il y avait globalement d’excellents retours, presse et public. C’est un film exigeant qui ne ressemble en rien à ce que le cinéma français ou d’ailleurs nous offre habituellement, aussi bien quand il faut plonger dans la politique autour du trafic de drogue ou dans le milieu journalistique. En adaptant le livre L’infiltré basé sur l’affaire François Thierry, Peretti fait les deux et livre à la fois un super film d’investigation, retors, complexe, un long dialogue entre un journaliste (Pio Marmaï) et sa source (Roschdy Zem) doublé d’un imposant film de procès. Mais il fait tout cela sans vraiment filmer ce qu’on filme habituellement, à savoir les événements, les moments pivots, les violences, les verdicts. Tout y est mais uniquement dans le flux de la parole. C’est sans doute la petite limite que j’ai avec ce film, la même que je peux avoir avec The insider, de Michael Mann (auquel je n’ai pas arrêté de songer) : J’y suis admiratif, de bout en bout, mais le film est tellement anti spectaculaire, anti romantique même, que je ne suis pas très touché par ses personnages et leurs destins. Mais bon, ce n’est pas grave tant l’ensemble m’a scotché et m’a semblé assez colossal, archi documenté, superbement mis en scène (quel bonheur de voir des plans aussi composés, aussi longs) et magnifiquement interprété : Il est rare de voir des acteurs jouer aussi bien, franchement. Qui nous font croire à ce point aux personnages qu’ils incarnent, qu’ils soient récurrents ou tout à fait secondaires. Le plus représentatif de cette éclatante réussite c’est peut-être Lindon, avec qui j’ai souvent de grosses réserves, notamment quand il joue chez Brizé. Là il a grosso modo deux scènes, deux grandes scènes de convocation / procès, une vers le début, l’autre vers la fin (la simple idée de l’évacuer complètement du champ pendant une heure est suffisamment osée d’ailleurs) et il est absolument sensationnel à chaque fois, je ne l’avais jamais vu aussi bon. Bref c’est un film assez dingue. On me dit dans l’oreillette qu‘Une vie violente, le précédent film de Peretti, est tout aussi puissant. Il faut que je rattrape ça…

Slalom – Charlène Favier – 2021

25. Slalom - Charlène Favier - 2021L’emprise.

   6.5   Slalom entre évidemment en écho aux récentes révélations de la championne de patinage artistique Sarah Abitbol, qui avait déclaré avoir été violée par son coach à l’âge de quinze ans. Slalom s’intègre d’autant plus dans le mouvement metoo qu’il dessine l’expérience personnelle vécue par sa réalisatrice elle-même. Et pourtant, Slalom ne fait pas film a sujet et il épouse le point de vue de son héroïne, prise dans une relation toxique qui la dépasse.

     Liz (Noée Abita, révélée par le sublime Ava) a quinze ans, elle intègre ski-études et doit sculpter son corps de façon à remporter les courses et médailles, tout en ne négligeant pas la préparation du bac. Le film s’enferme avec elle, silencieuse, murée sous son sweat à capuche, les yeux rivés sur les sommets montagneux. Il s’épure au maximum, à l’image de ces très belles scènes de ski qui captent moins le cadre que la sensation de vitesse, l’objectif toujours chevillé à son personnage.

     On ne verra pas grand-chose de la section dans laquelle elle atterrit, les ados de son âge peinent à exister. D’une part car ils n’intéressent pas Liz, qui semble au préalable n’avoir d’yeux que pour le ski. D’autre part car ce qui intéresse la jeune réalisatrice, Charlène Favier, c’est le rapport que Liz entretient avec deux adultes, sa mère et son coach – qui déjà butaient l’un sur l’autre dans la scène introductive, sur un stade d’entraînement qui ressemble à une cour de récréation, comme il s’il fallait rappeler que Liz est encore aussi un enfant.

     Et c’est l’histoire d’une innocence perdue à double entrée : Liz est délaissée par sa mère, tandis qu’elle est rapidement sous emprise de son coach, qui en fait sa préférée, et qui connaît son corps (troublante scène, mais neutre encore, où elle se déshabille devant lui afin qu’il prenne son poids, ses mensurations etc…) jusqu’à ses périodes de règles, qui la fascine, mais qui utilise bientôt ce pouvoir – et son réel désir d’en faire une championne – pour abuser d’elle.

     Le trouble se joue au sein même de Liz, qui se découvre à la fois face à l’absence de sa mère, ainsi que face à ses désirs sexuels et qui dans une confusion totale, accepte que son coach fasse figure paternelle (on n’entend par ailleurs jamais parler de son père) et corps de désir. Et ce trouble se joue aussi chez cet entraîneur qui bientôt ne voit plus Liz comme un corps de jeune fille à muscler mais comme un corps de jeune femme à désirer. Alors qu’au départ il n’est monstrueux que par son exigence de performance. Autrement il est plutôt sympa, séduisant. Toute la complexité du film se joue sur cette trouble frontière.

     Car tout dès lors devient malsain. Le film a réussi son glissement. Slalom parvient à filmer une bascule invisible, entre la neutralité et la sexualité, entre l’affection et l’abus, par une somme de saynètes, faites de gestes et de regards, qui apportent une ambiguïté qui nourrit le trouble permanent dégagé par le film. Et jusqu’au bout il communique ce trouble. Jusqu’à ce que Liz comprenne qu’elle n’était pas amoureuse mais totalement sous emprise. Très réussi.

Vaillante (Fireheart) – Laurent Zeitoun & Theodore Ty – 2022

34. Vaillante - Fireheart - Laurent Zeitoun & Theodore Ty - 2022Entre deux feux.

   5.0   Sorte de Backdraft féminisé mixé à du Tootsie inversé, dans le New York des années 30, Vaillante, production franco-canadienne (Les studios L’atelier Animation, qui avaient précédemment fait Ballerina) ne brille ni par son animation, passe-partout, sans invention ni par son récit, ultra prévisible et programmatique. On est vraiment sur un terrain balisé, singeant les standards hollywoodiens. On s’en remet à cette relation père/fille et au travestissement de Georgia, qui se rêve pompier dans une époque où les femmes sont encore loin de pouvoir être des gardiennes du feu. Le film est parsemé de gags burlesques archi lourds – pour faire marrer les gamins – et running gags réchauffés comme les vingt séquences où le chauffeur narcoleptique s’endort. Il ne suffit pas de balancer un gag référence à Safety Last pour réussir un film. Et encore moins de placarder un discours féministe aussi neuneu. Moins désagréable à voir toutefois quand on accompagne les enfants. Surtout en salle.

Une histoire d’amour et de désir – Leyla Bouzid – 2021

31. Une histoire d'amour et de désir - Leyla Bouzid - 2021La naissance de l’amour.

   6.0   Je garde une nette préférence pour À peine j’ouvre les yeux, tant Leyla Bouzid captait brillamment l’effervescence d’une jeunesse tunisienne à l’aube du printemps arabe, jusque dans une matière éminemment documentaire. Ce qu’elle parvient moins à faire en terres parisiennes. Ici il s’agit d’une rencontre de Sorbonne, entre Farah, une immigrée tunisienne et Ahmed, d’origine algérienne, qui partagent le même cours d’arabe littéraire. Farah c’était déjà le prénom du personnage dans son précédent long et cela crée un pont très beau, très étrange avec ce film ci dans la mesure où on ne sait pas grand-chose d’elle, c’est comme si on acceptait que son histoire, son background soit celui que l’autre film offrait. C’est très beau. Bouzid effectue un glissement du féminin au masculin puisque le film est en grande partie chevillé au corps d’Ahmed qui est de chaque plan. Par ailleurs, si À peine j’ouvre les yeux dessinait en creux le portrait d’une mère, il s’agit là de dessiner celui d’un père, de l’échec de son immigration. Les chansons engagées du précédent film cèdent le pas à la littérature érotique arabe. Dans chaque cas il s’agit de scander une évasion, un rejet des normes. Ici c’est donc Ahmed qui peine à s’épanouir dans sa découverte de la sexualité, qui peine à se défaire du joug viril et patriarcal, tandis que Farah est nettement plus libérée. Le film est moins exaltant probablement (comme si Ahmed, trop fermé, contaminait un peu sa forme) mais toujours très sensuel.

La fracture – Catherine Corsini – 2021

32. La fracture - Catherine Corsini - 2021Urgensses.

   4.0   Catherine Corsini, dont j’avais beaucoup aimé La belle saison, se la joue ici comédie grave, sociale et chorale, façon Polisse. Comme chez Maïwenn, chaque situation fait office de vignette, chaque super réplique une fin de planche. Avec des petits running gags (Tedeschi, le bras pété, qui tombe de son brancard) de façon à désamorcer la lourdeur du climat ambiant. C’est d’une finesse aussi insupportable que le jeu affecté général et de son dispositif artificiel : C’est la lutte des classes pour les nuls, avec Tedeschi (l’artiste égocentrique) Marmaï (le gilets-jaunes en colère) qui passent leur temps à gueuler. Mieux vaut revoir n’importe quel épisode d‘Urgences, qui sera au minimum dix fois meilleur que ce film. Un rayon de soleil, toutefois : Aissatou Diallo Sagna.

Serre moi fort – Mathieu Amalric – 2021

29. Serre moi fort - Mathieu Amalric - 2021Rêve-moi mort.

   4.5   Il y avait deux beaux films à faire. Celui sur le départ d’une femme, comme un contre-champ au sublime Nos batailles, de Guillaume Senez. Et/ou celui sur le deuil impossible d’une femme, perdue entre la réalité et celle qu’elle s’invente, comme une version ramassée du 21grams, d’Iňarritu. En me proposant les deux films en un, et en me faisant croire d’abord à l’un puis à l’autre, Serre-moi fort me perd complètement. Je n’aime aucun des « deux films » qu’il y a dedans Je n’ai d’empathie pour rien là-dedans (quand bien même j’adore Vicky Krieps depuis Phantom Thread et Arieh Worthalter depuis Douze mille) car ce que je vois je finis par croire que ça n’existe pas. Et tout cela bien qu’on comprenne assez vite où le film souhaite nous emmener. Pas de chantage à l’émotion, certes, mais un dispositif conceptuel en circuit fermé. Alors c’est évidemment nettement moins chiant que Barbara, mais en définitive je crois que Mathieu Amalric cinéaste m’ennuie.

Halloween kills – David Gordon Green – 2021

37. Halloween kills - David Gordon Green - 2021Evil never dies.

   3.0   Moins pénible que le précédent (qui est l’un des pires films de ces dernières années) car plus généreux, plus brutal – on peut difficilement faire plus gore. Plus grotesque aussi : La bêtise de chacun des personnages ; La lourdeur des flashbacks ; L’inutilité de Laurie Strode, coincée sur un lit d’hôpital, qui attend le troisième volet ; Le manque de liant avec l’original, alors qu’il est infiniment relié puisqu’il s’agit à la fois de le faire se dérouler dans la foulée du remake mais aussi d’allonger l’original. Mais l’épure chez Carpenter devient un tel gloubi-boulga grotesque chez Green que la greffe ne fonctionne pas. Tout est à l’image de son iconique méchant : Je ne reconnais pas Michael Myers. Ce n’est pas ce boogeyman là. D’où il sait conduire ? Je me suis demandé s’il n’allait pas regarder à gauche et à droite en traversant le passage piéton. Pire : Le monologue final sur la dimension métaphysique qu’il revêt, genre « le mal se nourrit de la peur qu’il distille et donc ne meurt jamais ». Ce n’est pas un scoop, merci. Reste une belle idée : Le soulèvement incontrôlable d’une foule, d’une ville (Et notamment des anciens survivants de Myers) décidée à se farcir elle-même le tueur d’Halloween au point de pousser un innocent au suicide. Mais bon, ça ressemble plus à The purge qu’à Furie, de Fritz Lang.

Massacre à la tronçonneuse (The Texas chainsaw massacre) – David Blue Garcia – 2022

36. Massacre à la tronçonneuse - The Texas chainsaw massacre - David Blue Garcia - 2022Who is the girl ?

   5.0   Requel du film original de Tobe Hooper, Massacre à la tronçonneuse cuvée 2022 est un produit dans la lignée de l’Halloween, de Gordon Green et du dernier Scream. Un dispositif à la mode : En gros faire revenir la final girl de l’original tout en créant de nouveaux personnages reliés (Halloween) ou non (Scream) à cette fameuse final girl.

     Premier problème : Sally, la final girl de Texas chainsaw massacre n’a clairement rien à voir avec Laurie Strode dans Halloween ou Sidney Prescott, dans Scream. On n’est pas plus attaché à elle qu’aux autres. C’est par ailleurs ce qui fait la puissance épique, impalpable, abstraite, du film de Tobe Hooper.

     Second problème, plus important encore : Sally ne sert à rien dans ce nouvel opus. Elle existe en tant que pantin de scénario, créature vengeresse, mais jamais en tant que personnage – C’est d’autant plus troublant qu’elle est iconisée comme s’il s’agissait du retour de l’actrice d’antan, sauf que Marylin Burns n’est plus. On n’y croit jamais. Le film capitalise surtout sur sa nouvelle final girl post Columbine, survivante d’une tuerie de masse dans son lycée. Là-dessus tout y est cousu de fil blanc, programmatique, on voit tout venir à des kilomètres. Il y avait un truc à créer entre les deux personnages traumatisés. Mais non rien.

     Restent quelques idées, bonnes ou mauvaises, pêle-mêle : Une idée sonore, d’une part, puisque la musique signée Colin Stetson y est très adéquate. Des idées débiles comme tout ce qui touche au monde des investisseurs / influenceurs : n’est-il pas possible de créer de vrais personnages, même insupportables ? Là on sent vraiment l’apport du elevated horror façon Jordan Peele, mais ça ne débouche sur rien. Des idées plus visuelles comme cet accident dans un champ de tournesols tristes ou globalement tout ce qui touche aux diverses mises à mort : il y a une vraie générosité, le fan de gore sera comblé.

     J’attendais un peu plus d’un film écrit et produit par Fede Alvarez, réalisateur de Don’t breathe, ce magnifique home invasion inversé, mais on va dire que ce n’est pas trop mal, globalement.

The father – Florian Zeller – 2021

27. The father - Florian Zeller - 2021Vite oublié.

   3.0   C’est l’histoire d’Anthony, un vieil homme vivant seul dans son grand appartement londonien. Autour de lui tout se chamboule : La temporalité se détraque, ses proches changent de visage, des objets disparaissent.

     Je vois l’idée, j’apprécie la composition de ses plans, son tempo, Hopkins & Colman sont impressionnants, mais le film ne me touche pas, je reste à distance car je ne vois que du dispositif à savoir l’ambition de faire un film sur le point de vue d’un octogénaire atteint d’Alzheimer. Pour ce faire Zeller choisit le huis clos, puisqu’on ne sortira pas de cet appartement, sinon un moment pour emprunter l’ascenseur et atterrir dans un autre lieu qui prend les contours de cet appartement, puisque Hopkins les mélange tous.

     Si The father se déroulait intégralement dans la tête, les yeux, les oreilles du personnage malade, le film aurait été complètement fou, sans doute même expérimental. Mais d’une part, le film ne tient pas son dispositif puisqu’il se résigne finalement à filmer d’autres points de vue, parfois brièvement. Et d’autre part, il est envahi d’une petite musique insupportable qui illustre le vertige. The father n’est jamais radical. C’est l’Alzheimer pour les nuls. Le thriller parano pour les nuls.

     Ensuite, Anthony Hopkins est évidemment impressionnant, mais dans un jeu excessivement affecté, théâtral, comme il avait pu l’être dans la très mauvaise série Westworld. Il est aussi lourd que les symboles qui jalonnent le film : La récurrence de la montre ou du tableau, en priorité.

     Florian Zeller adapte sa propre pièce de théâtre éponyme, et je le ressens, au sens où je vois constamment qu’il se bat pour que ça ne fasse pas théâtre. Ça évoque parfois Lynch ou Ozu, mais c’est bien trop carré, glacial et en circuit fermé donc on pense surtout à disons, du Lanthimos. Et plutôt que d’éprouver la perdition de cet homme, le film ne cesse de jouer le petit malin : Qui est vraiment fou et paumé in fine ? Le vieux ou ses proches ? Très pénible.

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silencio


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