L’emprise.
6.5 Slalom entre évidemment en écho aux récentes révélations de la championne de patinage artistique Sarah Abitbol, qui avait déclaré avoir été violée par son coach à l’âge de quinze ans. Slalom s’intègre d’autant plus dans le mouvement metoo qu’il dessine l’expérience personnelle vécue par sa réalisatrice elle-même. Et pourtant, Slalom ne fait pas film a sujet et il épouse le point de vue de son héroïne, prise dans une relation toxique qui la dépasse.
Liz (Noée Abita, révélée par le sublime Ava) a quinze ans, elle intègre ski-études et doit sculpter son corps de façon à remporter les courses et médailles, tout en ne négligeant pas la préparation du bac. Le film s’enferme avec elle, silencieuse, murée sous son sweat à capuche, les yeux rivés sur les sommets montagneux. Il s’épure au maximum, à l’image de ces très belles scènes de ski qui captent moins le cadre que la sensation de vitesse, l’objectif toujours chevillé à son personnage.
On ne verra pas grand-chose de la section dans laquelle elle atterrit, les ados de son âge peinent à exister. D’une part car ils n’intéressent pas Liz, qui semble au préalable n’avoir d’yeux que pour le ski. D’autre part car ce qui intéresse la jeune réalisatrice, Charlène Favier, c’est le rapport que Liz entretient avec deux adultes, sa mère et son coach – qui déjà butaient l’un sur l’autre dans la scène introductive, sur un stade d’entraînement qui ressemble à une cour de récréation, comme il s’il fallait rappeler que Liz est encore aussi un enfant.
Et c’est l’histoire d’une innocence perdue à double entrée : Liz est délaissée par sa mère, tandis qu’elle est rapidement sous emprise de son coach, qui en fait sa préférée, et qui connaît son corps (troublante scène, mais neutre encore, où elle se déshabille devant lui afin qu’il prenne son poids, ses mensurations etc…) jusqu’à ses périodes de règles, qui la fascine, mais qui utilise bientôt ce pouvoir – et son réel désir d’en faire une championne – pour abuser d’elle.
Le trouble se joue au sein même de Liz, qui se découvre à la fois face à l’absence de sa mère, ainsi que face à ses désirs sexuels et qui dans une confusion totale, accepte que son coach fasse figure paternelle (on n’entend par ailleurs jamais parler de son père) et corps de désir. Et ce trouble se joue aussi chez cet entraîneur qui bientôt ne voit plus Liz comme un corps de jeune fille à muscler mais comme un corps de jeune femme à désirer. Alors qu’au départ il n’est monstrueux que par son exigence de performance. Autrement il est plutôt sympa, séduisant. Toute la complexité du film se joue sur cette trouble frontière.
Car tout dès lors devient malsain. Le film a réussi son glissement. Slalom parvient à filmer une bascule invisible, entre la neutralité et la sexualité, entre l’affection et l’abus, par une somme de saynètes, faites de gestes et de regards, qui apportent une ambiguïté qui nourrit le trouble permanent dégagé par le film. Et jusqu’au bout il communique ce trouble. Jusqu’à ce que Liz comprenne qu’elle n’était pas amoureuse mais totalement sous emprise. Très réussi.