Sympathy for the abyss.
10.0 Neuf années qu’on attendait le retour de Leos Carax, qui nous avait laissé avec le foisonnant, retors, virtuose Holy motors. Il revient avec ce film, qui laisse autant de réserves que d’exaltation, duquel on sort avec les qualificatifs suivants : puissant, inégal, inventif, embarrassant, baroque, personnel, fragile, fou, déroutant, déchirant, grotesque, sublime. Un film génialement imparfait, donc, qui terrasse comme rarement.
Annette s’ouvre dans le noir. Diamant noir, d’emblée. On y entend Carax, il nous parle, nous convie au show, nous demande de prendre notre respiration. Et bientôt on le voit, Carax, en personne, est seul dans un studio d’enregistrement, avant qu’une jeune femme (sa propre fille) ne vienne derrière lui, poser sa main sur son épaule. Il lance les Sparks. Il lance le film : So may we start ?
Rappelons-nous, Holy motors s’ouvrait déjà de façon méta, puisque Carax en pyjama sortait de son lit, traversait une forêt peinte et regardait au travers d’un trou dans le mur. Il citait ouvertement Psychose. Dans l’épilogue d’Annette, il cite à nouveau le film d’Hitchcock et propose de briser les mystères en laissant s’ouvrir une discussion entre un père et sa fille, par le chant. L’une des scènes les plus déchirantes vues depuis longtemps.
So may we start ? c’est aussi une invitation. Une retrouvaille. Une promesse de voyage, aux côtés d’Ann, la cantatrice et d’Henry, le comédien de stand-up. Magnifique idée que de l’avoir fait ouvrir ce festival de Cannes 2020, repoussé, décalé en juillet de l’année suivante, pour les causes que l’on sait. Non, le cinéma n’est pas mort : Il a le goût de cendre, une odeur de mort, mais il transpire d’amour. Le cinéma renaît. Quel bonheur d’avoir pu voir ce film en salle, à ce moment-là, franchement.
Et puis si Holy motors était dédié à sa femme (Katerina Golubeva, qui venait de se suicider) Carax dédie celui-ci à sa fille et pire, elle l’ouvre, le ferme (en chair et en os) et elle est absolument partout. Et Annette c’est sa fille, autant que Driver c’est lui-même – éloquente ressemblance physique dans la dernière scène. Cette fin fait tenir tout l’édifice fragile. C’est magnifique.
On en sort lessivé et fasciné, frustré par sa grandiloquence, exalté par la proposition. Puis les jours, les mois passent et ne restent que fascination et exaltation. Que reste-t-il quand on y replonge quelques mois plus tard ? Une sensation de vertige intact. De sidération permanente. Définitivement ce que j’ai vu de plus intense au cinéma depuis deux ans.