Le sinueux chemin de la parole.
8.0 Il n’y a pas plus digne héritier de Rohmer que ce film-là, qui annonçait d’emblée cette égide par ce titre si évocateur. Quoi de plus rohmerien que le hasard et les contes ? Et si la forme reprend celle des Rendez-vous de Paris – trois petits films en un, sans liens direct entre eux – le premier segment nous renvoie, dans sa structure triangulaire, à un film comme L’ami de mon amie. Ici aussi la parole est sacrée et déploie peu à peu cette magie que seule Rohmer détenait. Et il y a des lieux, grosso modo trois : l’arrière d’un taxi, l’open-space d’un bureau et la table d’un café. Trois « espaces » si intenses qu’ils deviennent personnages eux aussi.
D’emblée le film met la barre très haut, pourtant les segments suivants seront du même tonneau, sinon plus stupéfiants encore, aussi bien dans leur narration retorse que dans cette mise en scène simple en apparence, mais in fine si sophistiquée, si puissante. Comme chez Rohmer. On le retrouve un peu moins par la suite – Comme si Hamaguchi s’en libérait et préparait tranquillement ce glissement vers Drive my car (qu’il avait écrit après) – sinon au détour de l’acte manqué, qui rappelle celui qui ouvre Conte d’hiver ou d’un détail si anodin et pourtant si important, à l’image de cette porte ouverte qui évoque le collier de Conte de printemps ou la toque des Nuits de la pleine lune.
Le dernier segment est un ravissement absolu, si affranchi de Rohmer qu’il donne à rêver de voir Rohmer le faire. Avec là aussi trois fois rien, deux personnages, deux femmes, deux amies qui se retrouvent, sur un escalator. En apparence, toujours. Il y a sans cesse une attention à la temporalité : une histoire d’amour terminée depuis deux ans, une double ellipse, une retrouvaille de vingt ans. Et un étirement du temps qui se marie avec la temporalité de la situation : un voyage en taxi, l’enregistrement d’une lecture en temps réel, l’attente d’un colis à un horaire précis. C’est tellement beau, tellement bien écrit, incarné, finement mis en scène, surprenant tout le temps. C’est sublime, lumineux, bouleversant.
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