L’enquête inachevée.
7.5 Il y avait, dans Seules les bêtes, le précédent film de Dominik Moll, un sens de la virtuosité assez marqué, dans la mesure où il s’agissait de relier un quartier d’Abidjan avec les Causses françaises, et une audace narrative tout aussi imposante, puisqu’on suivait cinq personnages en lien avec la disparition d’une femme. C’était un beau film choral qui manquait autant de clarté que de vraisemblance.
Et c’est sans doute les principaux atouts de La nuit du 12, récit linéaire, concentré sur un lieu (Grenoble et alentours, rarement mis en avant au cinéma), un meurtre et sur l’enquête de la PJ autour de ce meurtre : Une jeune femme à qui on a mis le feu, la nuit, tandis qu’elle rentrait de soirée. Du déjà vu ? Pas vraiment car le film s’ouvre sur un carton étonnant, annonçant en gros que 20% des enquêtes criminelles ne sont pas élucidées et que La nuit du 12 sera le récit de l’une d’entre elles. Autrement dit, on sait comment ça se termine.
Idée aussi casse gueule qu’audacieuse, qui m’aura permis de réaliser que, régulièrement, je trouve les films d’enquêtes un peu décevants (ou déceptifs) sitôt qu’ils s’achèvent, soit parce qu’ils en donnent trop ou pas assez, soit parce que j’en attends trop ou pas assez. Le voyage (l’enquête) est in fine toujours plus beau que sa résolution. Là au contraire, la connaissance de cette impasse m’a permis de me sortir de cette attente, ce sont vraiment les personnages qui m’ont séduit et leurs interactions, dans leur quotidien, à la manière du L627, de Bertrand Tavernier ou du Petit lieutenant, de Xavier Beauvois. Parmi ces personnages, on retient Bastien Bouillon & Bouli Lanners en priorité, géniaux tous les deux, d’autant qu’ils sont souvent en duo.
Et le récit reste très dense, malgré l’impasse de ses investigations, la peinture très réaliste : On appuie beaucoup sur le manque de moyens, notamment et sur une scission entre deux mondes, deux générations : la liberté mystérieuse d’une jeunesse incomprise des aînés, un peu comme dans La fille au bracelet, de Stéphane Demoustier. Mais les deux mondes dépeints ce sont aussi ceux des hommes et des femmes et le film ne s’en tiendra pas qu’au récit de ce féminicide pour l’établir : Il appuiera son discours féministe, par petites touches disséminées alors qu’il pouvait largement s’en passer.
Qu’importe, c’est un film puissant, dont la mise en scène, aussi lumineuse et rigoureuse, semble totalement calée sur Yohan, le sublime personnage de capitaine incarné par Bastien Bouillon, qu’on adorait déjà chez Betbeder, dans Deux automnes trois hivers, ou Debout sur la montagne. J’en aurais bien pris une heure de plus, de mon côté.