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Archives pour septembre 2022



Innocents (The dreamers) – Bernardo Bertolucci – 2003

05. Innocents (The dreamers) - Bernardo Bertolucci - 2003Chambre à part.

   5.0   Bertolucci n’a que soixante ans lorsqu’il tourne The dreamers mais le film fait très essai d’un libidineux cinéphilo-psychotique, nostalgique essentiellement de la Nouvelle Vague. Moins un film sur Mai 68 qu’un film de chambre, au sein duquel Eva Green, Michael Pitt & Louis Garrel passeront le plus clair de leur temps à poil, à tester leurs références cinéphiliques, que le film n’hésitera pas (peut-être sa meilleure idée) à illustrer par des inserts des films en question, de Freaks à Scarface, en passant par Top hat et Blonde Venus, ou une dispute pour savoir qui de Chaplin & Keaton est le plus drôle, et bien entendu par A bout de souffle & Bande à part, que Bertolucci cite à foison afin de marteler qu’il est un amoureux transi de Godard. Finalement le film n’est pas plus intéressant que son Dernier tango à Paris – il en est presque son remake sur fond soixante-huitard – et pourtant quelque chose prend, sans doute grâce à l’alchimie étrange entre les trois acteurs et à de beaux plans, savamment composés, à l’image de celui des trois miroirs dans la baignoire. Je crois en avoir pensé exactement la même chose y a quinze ans.

Maverick – Richard Donner – 1994

01. Maverick - Richard Donner - 1994Tu bluffes, Maverick !

   4.0   Maverick est au western ce que Pirates des Caraïbes est au film de pirates, ou ce que Snatch est au film noir : Tous cachent leur médiocrité globale derrière leur petit registre parodique, avec cette paresse, cette auto-suffisance, qui a tendance à m’agacer. Le « genre » offrira aussi le pas plus fameux Wild Wild West, avec Will Smith, un peu plus tard. Ma préférence ira toutefois largement au film de Richard Donner (que je n’avais pas revu depuis gamin) en grande partie pour Mel Gibson, toujours impeccable, et pour un certain savoir-faire de l’auteur dont on sent qu’il vient de tourner (avec l’acteur) trois volets de L’arme fatale. Il y a d’ailleurs un clin d’œil dans une brève scène avec Danny Glover en braqueur de banque et notamment accompagné par le thème musical de L’arme fatale et la traditionnelle réplique « Je suis trop vieux pour ces conneries ». En gros si t’as pas la ref c’est nase et si tu l’as on te le martèle bien fort. Bref on est dans un film ultra cool, ou chaque scène désamorce la précédente, ou chaque rebondissement fait office de digression, ou tout est faux, tout est bluff (car le poker sert de fil rouge) tout le temps, il est impossible de croire à quoi que ce soit. C’est vraiment un western pour celui qui n’aime pas les westerns.

Le mépris – Jean-Luc Godard – 1963

17. Le mépris - Jean-Luc Godard - 1963Passion JLG.

   10.0   Je devais avoir vingt ans, ce fut sans doute ma porte d’entrée dans le cinéma de Godard, c’est un film qui a beaucoup compté pour moi quand j’en ai fait sa découverte. Comme si tout un monde (de cinéma) s’ouvrait brutalement (ou « entièrement, tendrement, tragiquement ») à moi.

     Je l’ai maintes fois revu, sans jamais ressentir les mêmes choses devant, sans jamais parvenir à percer son mystère. Je me souviens l’avoir aussi vu au cinéma en présence de Jean Douchet. Douchet n’est plus et aujourd’hui Godard non plus, il était logique que je revoie ce film-ci, ce jour. Ce d’autant plus que je suis présentement en train de lire le bouquin de Moravia.

     Comme je me sens entièrement en phase avec ce qu’un ami en a dit en deux mots lors des nombreuses éloges lues aujourd’hui, je le cite : « Le mépris est une réflexion poétique sur le mystère de l’amour et du cinéma. Sur le cinéma en train de se faire et l’amour en train de se défaire ». Un jour je reviendrai plus longuement sur ce film. Adieu, JLG.

Bullet train – David Leitch – 2022

21. Bullet train - David Leitch - 2022Good luck, bad luck.

   6.0   Autant prévenir, il faut se farcir la première demi-heure : Electrisée, vaseuse, impersonnelle. Pas loin de me tirer tant je ne supportais plus de me retrouver face à un énième produit estampillée « Tarantino-like » qui ressemble davantage à du Guy Ritchie sous amphétamines pour neuneus épileptiques, c’est dire l’angoisse.

     Et puis un moment donné, quelque chose prend. Une vanne, un wagon qui en raccroche un autre, Brad Pitt ? Un peu tout ça, probablement. Quelques scènes qui apportent quelques rires ci et là. Pas désagréable. Et puis la machine s’emballe encore, le train s’arrête, repart et ne fait que ça. On voulait sauter du manège, on ne veut plus rater un tour.

     Entre-temps on a sans doute fait le deuil de ses yeux, d’une possibilité d’émotion, voire de l’utilité de nos capacités cognitives. Plus rien à battre. Un peu comme la chance de Ladybug (Le nom de code de Brad Pitt c’est « coccinelle » bordel) le plaisir qu’on y trouve s’installe, s’accentue, jusqu’au bout.

     Alors oui, objectivement c’est très con, c’est un film de studio, sans aucun regard d’auteur, un actioner complètement régressif, mais purée quelle générosité, quel mauvais goût assumé : ça fait plaisir. Si tous les « blockbuster de l’été » étaient comme celui-ci – et non des énièmes suites d’une énième franchise comme c’est le cas la plupart du temps aujourd’hui – j’irais les voir plus souvent.

     Et puis c’est un peu La chèvre, cette histoire de personnage malchanceux mais chanceux dans sa malchance. Alors quand évidemment c’est Brad Pitt qui l’incarne, c’est difficile de bouder son plaisir. Il est certes bien secondé par le duo Lemon & Tangerine, incarné par Brian Tyree Henry (de la série Atlanta) et Aaron Taylor-Johnson. Mais c’est avant tout un show Brad Pitt, donc : Il est fabuleux ! Bien accompagné par des apparitions plus ou moins brèves de nombreuses stars qui complètement un savoureux tableaux qui fait souffler un vent de fraicheur (et de sang) sur cet univers si formaté du blockbuster estival.

     Alors en effet, David Leitch n’est pas Tarantino, loin s’en faut – il était même jadis la doublure cascade de Brad Pitt, c’est dire – mais d’une part il se fait au moins autant plaisir que ses comédiens d’autre part on ressent l’inspiration John Wick : jusque dans leur conception, Chad Stahelski était jadis la doublure de Keane Reeves, là aussi. Et un sens aigu dans la chorégraphie. Leitch est plutôt dans la comédie de divertissement, c’est tout.

     Qu’importe, car on ne vient pas voir le nouveau David Leitch mais le nouveau Brad Pitt, qui n’a sans doute pas fini de nous régaler de sa palette comique (déjà à l’œuvre cette année mais trop brièvement dans The lost city) déclinée de son rôle de Cliff Booth dans le chef d’œuvre de Tarantino. En revanche, ne pas trop être regardant sur les CGI notamment sur la fin, sur le toit du train. C’est d’une laideur extrême. Ce qui ajoute un peu à l’indigestion, provoquée d’emblée par son désolant premier quart, mais l’aspect ludique prend le dessus et il ne reste moins un film indigeste qu’un film assez malin. Et drôle.

The black phone – Scott Derrickson – 2022

17. The black phone - Scott Derrickson - 2022Le téléphone guide.

   4.0   Il faut savoir qu’au départ c’est une nouvelle écrite par Joe Hill, le fils de Stephen King. C’est vraiment le fils de son père. Le récit se déroule durant les années 70, dans une petite bourgade du Colorado, traumatisée par de nombreuses disparitions d’enfants.  L’exposition est plutôt réussie, notamment la complicité entre frère et sœur. On y suit le jeune Finney ainsi que sa sœur Gwen, subir les violences à la fois de « leurs camarades » ainsi que de leur père. On comprend rapidement que la fille a des pouvoirs psychiques, elle fait des rêves prémonitoires, comme sa mère, qui serait jadis devenue folle et aurait mis fin à ses jours. Il y a une ambiance très grise, un regard très sombre sur l’Amérique, les adultes (absents ou violents) et la violence faite aux enfants. Puis, comme attendu, c’est au tour du héros d’être kidnappé par le croque-mitaine qu’il séquestre dans un sous-sol insonorisé. Là le film ne surprend plus, exploite les rails du déjà-vu, avec un kidnappeur mi-sadique, mi-schizophrène (Ethan Hawke, souvent masqué, s’en donne à cœur joie) et une histoire de téléphone noir, qui permet au héros de recevoir des appels des anciennes victimes du croque-mitaine, qui lui donnent des conseils pour s’en sortir. Sur le papier, pourquoi pas. Mais l’exécution est à ce point laborieuse qu’elle fait intervenir ces gamins dans la pièce, aux côtés de Finney, sans que lui les voit donc en somme, afin que nous, spectateurs, puissions les voir. Cette partie fantastique ne fonctionne pas du tout et fait tout retomber. Un peu moins nul que plein d’autres Blumhouse, toutefois.

Les survivants (Alive) – Frank Marshall – 1993

12. Les survivants - Alive - Frank Marshall - 1993L’arène déneige.

   8.0   Encore un film catastrophe que je regardais beaucoup, beaucoup quand j’étais gamin. Un film catastrophe doublé d’un survival groupé. Un peu comme dans L’aventure du Poséidon, dont il n’est pas utile que je vous rappelle l’amour infini que je lui voue. Point de tsunami ni de paquebot renversé ici mais un antagoniste multi-facette : Le froid, la neige, la faim et l’altitude.

     Je ne l’avais pas vu depuis au moins vingt ans donc je craignais la douche froide. Ravi de constater que j’aime toujours énormément. J’avais oublié que c’était tiré d’une histoire vraie. Il s’agit en effet de l’adaptation du roman éponyme de Piers Paul Read, qui raconte l’accident du Vol 571 Fuerza Aerea Uruguaya, survenu dans la Cordillères des Andes, le vendredi 13 octobre 1972.

     Après quelques recherches approfondies, j’ai réalisé que le film était hyper fidèle, jusqu’aux noms des personnages, leur façon de mourir, le nombre de jours etc… Même si évidemment ce que l’on retient de cette histoire et donc de ce film, ce qui marque en priorité, c’est que ces survivants ont survécu en mangeant les cadavres. Mais le film est bien plus fort que ça : Il sait créer une kyrielle de personnages, des interactions, un lieu, une temporalité. C’est hyper bien fichu.

     En effet, ce qui me frappait à l’époque et qui, je trouve, a plutôt bien vieilli, c’est le ressenti du temps. Le film distribue par instants quelques indications (nombre de journées depuis le crash) mais il n’en abuse pas, surtout, les images suffisent presque : On ressent cette durée, via l’épuisement des uns, la renaissance des autres, ainsi que par les changements de saison. Les séquences « anniversaires » participent à accentuer cette idée que le temps passe.

     Le film réussit par ailleurs à bien développer chacun des personnages. On apprend à connaître chacun d’eux, à les voir dans un travail d’équipe qui n’a rien à voir avec leur travail d’équipe habituel : Ils sont rugbymen. Mais dans cette situation ils ne sont pas plus rugbymen que couturiers. Ils doivent réapprendre à vivre en équipe mais à tâtons. Et on s’attache tellement à eux que chaque départ est une douleur, comme si nous faisions partie de l’équipe, qui se décime au fil des jours.

     Passé l’ouverture très bizarre, que je n’ai jamais comprise – Pourquoi accompagner les photos et la voix d’un passager par un acteur bankable (ici, John Malkovich) prostré sur une chaise ? D’autant qu’on ne le revoit plus, ensuite – le film nous plonge d’emblée dans un avion (à la manière de Lost, quelques années plus tard) sur le point de se crasher. J’ai toujours trouvé cette séquence de crash impressionnante, tant elle parvient à naviguer déjà pleinement d’un passager à l’autre (à l’image de ce que parviendra à faire le film en entier) et techniquement à se sortir de façon fulgurante de cet accident inaugural.

     A propos, j’aime beaucoup son aspect anti-spectaculaire, globalement. Souvent on apprend la mort de l’un d’entre eux, en même temps qu’eux, le matin au réveil. De la même manière, si elle est un peu le cœur du récit, toute la partie « anthropophagie » n’est pas traitée avec les sabots : C’est d’abord une longue dispute – entre ceux qui considèrent qu’il n’y a pas moyen de survivre autrement qu’en mangeant les morts et ceux qui le refusent catégoriquement – qui mène finalement à un essai, qui bientôt se transformera, au point que « manger les morts » fera bientôt partie intégrante de leur quotidien. 

     Aussi je n’avais pas le souvenir que le film fasse tant mention de Dieu et l’assène par des références religieuses aux quatre coins du film et de l’avion. Mais c’est important puisque la quasi-entièreté des passagers est croyante, chrétienne. Il y a des croix partout. Et à l’exception de quelque agnostique, ils prient chaque soir. Et c’est aussi ce qui soudait cette équipe sud-américaine. C’est par ailleurs ce qui accentua la polémique quant à leur façon de s’en tirer, quand bien même ils furent absous de « leur péché » par le Pape.

     Et puis j’ai toujours été marqué par son basculement central, à savoir l’avalanche. Ce moment où tu te dis que si Dieu il y a, quand même, il aurait pu les laisser un poil tranquille. L’avion est enseveli et nombreux sont ceux qui meurent sur le coup ou par étouffement sous la neige. Et l’un d’eux n’est autre qu’Antonio, qui était peut-être notre véritable point de repère depuis le départ. C’est ainsi que Nando (Ethan Hawke) prend le relais – alors qu’il était resté longtemps mal en point – et devient notre boussole. J’ai toujours trouvé ce glissement audacieux.

     Quoiqu’il en soit, c’est un film très angoissant – malgré ses saillies parfois humoristiques – qui tire parti de son huis clos à ciel ouvert, une immensité glacée, d’une blancheur immaculée, entourée de hauts pics rocheux. Bref, plaisir total à revoir et satisfaction d’aimer toujours un film qu’on adorait jadis, ce qui n’est pas systématique, loin s’en faut.

Joker – Todd Phillips – 2019

18. Joker - Todd Phillips - 2019Defeated clown.

   4.0   Novembre 2019.

Le cinéma est si fort qu’il a parfois le pouvoir de briser les a priori. Mais parfois, ces a priori sont trop imposants ou le film pas suffisamment audacieux. Joker nourrissait chez moi plus de craintes que d’excitation, rien de grave c’est parfois ce qu’il faut pour être cueilli. Toute la mythologie DC autour de Batman et son clown antagoniste m’a toujours poliment indifféré. Quant à Joaquin Phoenix, il me pose problème, sitôt qu’il n’est pas canalisé par (au hasard) un James Gray : J’avais beaucoup souffert devant A beautiful day, et pas seulement à cause de l’atrocité formelle signée Lynne Ramsay, non je voyais aussi beaucoup trop son jeu empesé insupportable. Et cerise sur le gâteau, j’avais quand même du mal à avaler qu’on ait pu récompenser d’un lion d’or le réalisateur de Retour à la fac, Starsky & Hutch, Very bad trip (1, 2 & 3 !!!) et Date limite. Mais bon, les anomalies existent et jusqu’à très récemment : La somptueuse série Chernobyl a bien comme créateur / showrunner le réalisateur de QUATRE épisodes de Scary movie, ça ne s’invente pas. « L’Histoire » retiendra par ailleurs que les deux gros buzz 2019 ont été fait par Craig Mazin & Todd Phillips, tous deux coscénaristes de Very bad trip 3. Ils ont écrit le trois, ensemble. Le trois, cette daube. Ça ne s’invente pas non plus. 

     Au sortir de Joker – J’ai attendu quelques semaines avant de commencer à écrire quoi que ce soit, sait-on jamais qu’une NeonDemonite me reprenne – je suis resté pour le moins dubitatif. Mais il y avait au moins ce motif de satisfaction : Joker restera très probablement le film le plus intéressant de Todd Phillips. Difficile de penser qu’il est à la barre, en fait, tant la « réussite » semble surtout découler d’un travail d’équipe, au sommet duquel on placera en priorité le chef opérateur, l’acteur vedette et la compositrice, qui en font énormément, pardon, qui en font des CAISSES. La photo, (le rire de) Joaquin Phoenix et les cordes de Hildur Guonadottir dévorent tout. Cette musicienne – sorte de Zimmer violoncelliste – était bien moins emphatique dans Chernobyl. Tiens, tiens. Ce n’est hélas pas mes seuls problèmes avec Joker. Il y a aussi qu’il évoque beaucoup BEAUCOUP (trop) La valse des pantins, qui est un Scorsese que je n’aime pas tellement. J’ai aussi pensé au Network, de Lumet, mais pareil – décidemment ça veut pas – c’est un film qui m’ennuie beaucoup. C’est la lourdeur globale qui me gêne essentiellement, cette impression que chaque scène et chaque influence mal digérée pèsent quinze tonnes, en plus d’être noyées dans un ensemble affreusement programmatique.

     Alors évidemment, le film désamorce continuellement le programme, compense ses mauvais éclats par des beaux, mais il n’empêche que ça manque cruellement de prise de risques, de nuances, de mystère. Sans parler de cette désagréable sensation de le voir sans cesse crier son originalité, dire pardon gueuler qu’il révolutionne le genre, qu’il se départit de l’usine DC à faire des univers étendus – Ce que faisait Mangold de Wolverine dans Logan était bien plus intéressant et radical, il me semble, sans pour autant le marteler dans chaque plan. Todd Phillips reste in fine le bourrin qu’il était dans Very bad trip – film dont le capital sympathie reposait uniquement sur les comédiens, son rythme soutenu et son générique final. Je me souviens, tiens, de cette affreuse séquence casino, véritable raccourci scénaristique et immondice mise en scénique. J’ai repensé à cette scène dans Joker quand on nous révèle qu’Arthur ne vit pas d’idylle avec sa voisine. Qu’on nous le révèle – C’est dommage car le film instaure le doute, partout – soit. Mais qu’on nous le révèle, comme ça, dans un montage explicatif, surligné au stabylo, franchement c’est limite rédhibitoire pour moi.

     Le film a des qualités, bien sûr, à l’image du crescendo global, mariant le soulèvement de la rue avec la libération d’Arthur qui offre l’étincelle qui manquait – Le film a quelque chose de très ancré en 2019 qui saisit, sur la contestation populaire généralisée, il faut bien le reconnaître, au point qu’il s’est immiscé dans cette révolte puisque certains manifestants arborent un peu partout des masques à l’effigie du Joker – pour que la ville s’embrase. Et ses percées de violence sont si peu nombreuses qu’elles impressionnent à chaque fois, sans tomber dans une complaisance déplacée. Le meurtre du présentateur, dans son exécution, fait vraiment lien avec le personnage d’Arthur, jouant moins la carte de la sécheresse pour choquer le chaland que sur son absurdité brutale – Un peu comme avec son collègue dans son appartement ou avec les types dans le train, un peu plus tôt. Malgré tout, c’est un film qui raconte moins la contestation populaire économique du monde entier que, un peu malgré lui, l’autosuffisance du pseudo critique moderne et ses youtubeurs qui se ressemblent TOUS parlent et défendent les mêmes films, se réunissent dans une partouze déloges incontrôlées visant à faire leur propre éloge du soi-disant bon goût. Je m’égare sans doute, mais j’ai vraiment l’impression que le film, via Arthur, raconte ça, une erreur dans un système aliéné, c’est très troublant.

     Quoiqu’il en soit, le Gotham de Phillips n’a donc plus rien de celui de Burton ni de Nolan. Le Gotham de Phillips voudrait autant ressembler au New York de Taxi driver – L’influence la plus évidente, ici – qu’au Londres de V pour Vendetta ou au Bruxelles, de Jeanne Dielman – Ou plutôt à News from home, puisqu’il y a New York et la « conversation » avec maman. Relier le blockbuster à Chantal Akerman, c’est l’ambition revendiquée de Todd Phillips. Joker selon Phillips, incarné par Phoenix, n’est plus vraiment comique, encore moins sadique, c’est un pauvre type égaré dans une société malade, de plus en plus sectaire, totalitaire, une sorte de croisement entre Travis Bicke & John Rambo. Il y a une volonté de faire table rase de l’identité du Joker, qu’il ait été incarné par Jack Nicholson, Hearth Ledger ou Jared Leto. De revenir aux origines et de montrer que sa folie et sa capacité de super vilain sont motivées par les dérives d’une société qui le rejette, lui et son handicap – Un rire nerveux, affreux, mignon ou terrifiant, vient parfois couvrir ses gênes et son émotion. Toute la première partie, en somme très convenue et répétitive, vise à faire traverser des situations extrêmes – Agression dans la rue, humiliation télé, perte de son emploi, la suppression de son suivi psy – afin qu’Arthur, peu à peu, devienne le Joker. Et l’idée séduisante c’est aussi de le voir traverser des instants qui ne sont « peut-être » que dans sa tête.

     Ce qui est triste c’est de voir si peu le film sortir des rails. Par exemple, c’est très décevant de le voir choisir d’arpenter la voie de l’origin story de Batman en parallèle, tellement sans intérêt, vu et revu, mais tellement fait pour contenter le fan-service et éventuellement rattacher le tout dans un univers plus étendu. En fait, le film me gêne aussi parce qu’au fond il ne choisit pas, ni d’être radical, ni d’être populaire. On dit qu’il va à contre-courant des modes, qu’il veut faire un Joker qui n’a pas besoin de Batman pour exister, mais ce n’est pas vrai, c’est juste qu’il le fait avec un masque et qu’il le porte grossièrement. C’est un film petits bras, pas du tout subversif ni insolent, encore moins sulfureux, qui veut tellement être un anti-Marvel qu’il en oublie d’être plus qu’une miette moribonde de Taxi driver. Sauf que Scorsese voulait tout changer quand il pond Taxi driver en 1976. Ça suintait de chaque plan. Soit pas du tout ce que je vois dans le film de Todd Phillips, très sage, qui ne choisit pas vraiment, croit faire quelque chose de radical mais noie sa réalisation dans un torrent de surlignage à peine plus fou que les films de superhéros habituels issus des studios. Il n’y a jamais de malaise dans Joker, on sait quand tout va exploser, on nous martèle sans cesse, par un effet de style, une musique etc.

     On va me dire que le film ne mérite pas qu’on décortique ses défauts tandis qu’on le fait pas sur les productions Marvel. Oui, mais c’est incomparable pour moi : Infinity war, Endgame, Ant-man ou Thor Ragnarok – pour citer ceux que j’aime beaucoup – n’ont pas eu de lion d’or à Venise. Et encore moins de classification R-Rated. Je vois le film enfler et se glorifier d’être le plus grand succès R-Rated depuis Deadpool et tout le paradoxe est là : C’est un film persuadé d’être la cible des adultes mais je ne vois pourtant pas ce qu’il a de plus « adulte » qu’une production Marvel, moi. Bref c’est un film qui m’a poliment indifféré sur le moment et qui m’énerve dix fois plus depuis que j’en suis sorti. Car franchement, qualités et récompenses comprises, c’est le film le plus lourdingue vu depuis La forme de l’eau, de Guillermo del Toro. Au final, Joker restera donc pour moi une incompréhension digne des récentes douches froides que furent En liberté, de Salvadori ou Under the silver lake, de David Robert Mitchell ou The house that Jack built, de Lars Von Trier. A ceci près que la douche est un peu moins froide dans la mesure où c’était une attente uniquement motivée par le buzz. J’aime pas des masses passer à côté d’un enthousiasme général mais c’est ainsi. Franchement je ne comprends pas comment on peut trouver ça bien, alors l’ériger en chef d’œuvre absolu, bon…

Septembre 2022.

     Ça m’agace nettement moins que lors de sa sortie. Sans doute parce que ce Taxi driver du pauvre est déjà oublié, qu’il n’a pas du tout infusé la culture geek comme certains le promettaient. Malgré tout j’y ai revu tout ce qui m’avait atterré en salle : la prestation insupportable de son acteur, les violons pompeux d’Hildur Guðnadóttir, la photo racoleuse de Lawrence Sher. Et l’impression de voir un truc qui pète sans cesse plus haut que son cul. Ce film reste une incompréhension pour moi.

Duel – Steven Spielberg – 1973

10. Duel - Steven Spielberg - 1973Monstre sans visage.

   8.0   Avril 2018.

     Si Duel reste dans les mémoires c’est avant tout car il s’agit du galop d’essai de son jeune auteur (qui n’a alors que 27 ans) puisque ce n’est d’abord qu’un téléfilm qui sera vite exploité en salle. C’est aussi parce que son faux minimalisme (après tout, il se passe beaucoup de choses pour une simple course-poursuite entre un camion et une voiture) est compensé par deux parti pris plutôt audacieux : Le fait de ne jamais voir le visage du chauffeur du camion – ce qui offre presque un visage au camion lui-même – et de ne jamais vraiment comprendre pourquoi il en veut à notre insignifiant représentant de commerce.

     Je suis ravi d’avoir revu ce film, l’un de ceux que je regardais beaucoup étant jeune. Surtout de l’avoir revu dans une superbe copie restaurée. Je ne l’avais jamais vu autrement que sur une vieille VHS donc bon, ça change pas mal de choses. J’aime toujours beaucoup le film, mais deux petites choses : La voix off reste la faute de goût à mon sens. D’une part car elle intervient tardivement comme si le film soudainement n’avait plus confiance en ses images. D’autre part car elle brise l’ambiguïté sur la folie du personnage – puisqu’àprès tout il se prend au jeu, de mon côté j’aurais fait demi-tour depuis belle lurette. En un sens la voix off lui rend sa normalité en même temps qu’elle nous guide, nous impose ses réflexions, nous coupe dans notre élan d’imagination. Grosse réserve, donc.

     La deuxième chose c’est de constater combien Spielberg sonnait déjà la fin du nouvel Hollywood alors que son film est ancré dans les débuts du courant ou presque. Comme Jaws deux ans plus tard en fait. Jaws s’ouvre sur un feu de camp étudiant et une jeune hippie qu’on va faire dévorer par un requin, difficile de faire plus explicité en matière de flingage de nouvel Hollywood. Et Duel est un film de genre faussement maquillé en Macadam à deux voies, un western minimaliste dans lequel les chevaux sont remplacés par un camion-citerne Peterbilt et une Plimouth Valiant rouge, avec un méchant sans visage, monstre/machine affrontant un super héros domestique comme ils seront légion dans le cinéma américain après les années 70. D’un côté t’as donc un mec comme Spielberg qui fait Duel en 73 et Jaws en 75, de l’autre t’as un mec comme Friedkin qui fait Sorcerer en 77, ça se joue pas à grand-chose hein (d’autant que le second avait aussi touché le firmament après French Connection et L’exorciste) mais voilà, t’en as un qui va enchaîner sur Rencontres du 3e type, ET et Indiana Jones et l’autre qui fera plus rien pendant dix ans.

 Septembre 2022.

     La dernière fois que je l’ai revu j’avais été très gêné par le surgissement de la voix off (vers 30 minutes de film) et de son utilisation, comme si Spielberg n’avait soudain plus confiance en ses images. Bizarrement je l’ai pas du tout ressenti ainsi cette fois. J’ai adoré le revoir. Je le trouve génial de la première (La sortie du garage en plan subjectif) à la dernière seconde (Le coucher de soleil sur le canyon).

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