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Archives pour octobre 2022

Sans filtre (Triangle of sadness) – Ruben Östlund – 2022

04. Sans filtre - Triangle of sadness - Ruben Östlund - 2022« In den wolken »

   8.0   La première partie (la plus courte, une trentaine de minutes) de Sans filtre, intitulée « Yaya & Carl » suit un couple de mannequins influenceurs et s’articule autour d’un (non) évènement : Une dispute à propos d’une addition à payer, à laisser ou à partager. On est assez proche de ce qu’Östlund avait fait de Snow therapy (2015) qui suivait le malaise d’un couple aux sports d’hiver, après qu’une avalanche ait manquée de les engloutir, tandis que la mère protégeait ses gosses et que le père avait détalé illico. Ici, l’avalanche c’est l’addition. Restaurant de luxe, fin du repas : Il pensait qu’elle l’inviterait, puisqu’elle gagne trois fois plus que lui ; elle se laissait invitée (le serveur pose la note clairement vers le garçon) par son homme. Une histoire de carte bleue refusée et de billet de cinquante euros, tatillon, envenimera le reste. Une scène de restaurant qui se répercute ensuite dans un taxi, un ascenseur, puis une chambre d’hôtel : C’est aussi cela le cinéma de Ruben Östlund, un plaisir de l’étirement séquentiel au sein même d’une séquence, un chapitre, un lieu, une situation – de genre et/ou de classe.

     Que faire de ce non-évènement ? Qu’est-ce que cela produit sur le couple et qu’est-ce que cela dit de chacun, des rapports de classe, des rapports homme-femme, du féminisme, de la virilité, du pouvoir de l’argent ? Problématique on ne peut plus théorique que le réalisateur suédois parvient, aussi bien dans un film comme dans l’autre, à transcender par sa mise en scène, à la fois clinique et inspirée de moults détails, souvent des gestes de mains, des grimaces sur des visages, des sons diégétiques, qui enrichissent chaque scène, chaque plan. Ici, celle de la voiture, où la dispute se poursuit – mais cette fois autour du billet de cinquante euros, récupéré sur la table – la caméra épouse le ballet des essuie-glaces arrière, accentuant le ping-pong verbal entre Yaya & Carl, et produisant une mécanique image/son évidemment très fabriquée mais absolument fascinante. Beaucoup aimé cette première partie, qui constitue un film en soi, très proche de ce qui me plait chez Östlund. Je remarque que les grandes scènes de son cinéma (des trois films que j’ai vus de lui) se déroulent systématiquement lors des repas. J’étais presque un peu déçu d’arriver sur le bateau.

     Arrive alors une deuxième partie (la plus longue, probablement, la plus dingue aussi) intitulée « Le yacht » où notre couple de mannequins (que l’on continuera de suivre, mais de façon plus éparse) se la coule douce sur une croisière de luxe. Ils y rencontrent un magnat russe qui dit qu’il vend de la merde, mais aussi un couple de vieux britanniques qui se définissent comme les protecteurs de la démocratie et qui auraient fait fortune dans la vente d’armes – jusqu’à avouer avoir traverser une période difficile quand il fut interdit de fabriquer des mines antipersonnel – ou encore un milliardaire solitaire qui vend du codage. Entre autres passagers richissimes, notre couple d’influenceurs, qui se disputait au préalable pour cinquante balles, fait un peu figure d’intrus, spectateurs d’un naufrage, celui de l’humanité, errant là-dedans un peu façon Hulot qui pourrait être incarné ici par cette femme ayant été victime d’un AVC et qui répète sans cesse « Dans les nuages » en allemand. Et c’est probablement la filiation la plus directe du cinéma d’Östlund, au moins dans ce film-ci, qui à mes yeux est une vraie comédie, une super comédie, très visuelle, dans la lignée de Jacques Tati, dans la captation du plan, de la séquence, des détails et de la musicalité de la scène. Östlund c’est peut-être Tati sans Hulot, in fine.

     Il faut signaler qu’on entrait dans cette seconde partie par un pot de Nutella (Un peu comme chez Bret Easton Ellis, on cite beaucoup de marques dans Sans filtre : H&M, Balenciaga, Rolex, Patek, Nutella…). Evidemment, c’est grotesque, installé ainsi. Et c’est là tout l’art d’Östlund que de rendre beau le grotesque (Tout Snow therapy, en fin de compte) et ce pot de Nutella est au départ une valise orange, acheminée par hélicoptère, jetée en mer. Cette valise est ouverte et on apprend ce qu’elle renferme. Mais il faudra attendre encore un peu pour comprendre qu’elle avait été expressément demandée par l’oligarque russe, le personnage le plus cynique d’entre tous, mais peut-être le plus attachant et ça aussi c’est tout l’art d’Östlund : Il est critique envers les personnages qu’il crée mais ne les observe pas tant en surplomb qu’en œil de cinéaste fasciné par la complexité des comportements humains. Et c’est ainsi, par petites scènes qui construisent un tout séquentiel, au sein du bateau, que le génie du cinéaste suédois opère. A-t-on envie d’entrer sur ce paquebot de l’enfer, où se côtoient les fortunés les plus cyniques que la terre puisse porter ? Où le personnel doit se contenter de sourire et dire oui à tout ce petit monde ? Et ce même lors du plus débile des caprices : Dans un élan absurde, une passagère souhaite que tout le personnel enfile son maillot de bain et descende un par un par le toboggan de secours. Et voilà, sur une idée, un détail, une étrangeté, ça dérape, et ce second chapitre ne cessera de surprendre ainsi : à l’image de la double scène de la mouche et de l’ouvrier torse-nu, magnifique et sans conséquences, mais annonçant un dérèglement plus grand à venir sur le paquebot.

     Yacht où l’on ne verra son capitaine alcoolique (Woody Harrelson, génial) qu’un seul soir – pour le traditionnel repas du commandant – qui est une sorte d’Haddock communiste caché le reste du temps dans sa couchette à siroter son whisky et à écouter L’internationale. Le film mérite évidemment d’exploser et c’est exactement ce qui va se produire, entre les assiettes d’huitres au champagne et de poulpes grillés : Un renvoi empêché ici, une flatulence masquée là, avant que la quasi-intégralité des passagers ne gerbent absolument partout, sur les vitres, dans les verres, les chapeaux, les couloirs. Mais ce n’est pas juste du vomi, pas juste un vomi. C’est un concert de vomi. C’est le chaos, jusqu’au-boutiste, burlesque. Ballet de jets de vomi et bientôt de toilettes bouchées renvoyant des litres de merde – Mieux vaut y aller le ventre vide, je préfère prévenir. Alors évidemment, présenté ainsi, ça ne donne pas envie, pourtant il faut voir la force mise en scénique d’Östlund, le jeu avec ce décor mouvant, notamment ces corps inclinés, les rideaux qui se penchent, le bruit des vagues sur la coque. C’est simple ça n’arrête pas. Et même quand ça semble se poser un peu, c’est pour voir le capitaine américain communiste et l’oligarque russe capitaliste faire un duel de bourrés à grand coup de citations qu’ils piochent sur leur smartphone et qui finissent par balancer leur discussion au micro, occasionnant une idée de plus, cette fois sonore. Bref, c’est une deuxième partie aussi réjouissante que répugnante, où Tati soudain croise Ferreri, qui se brise brutalement, lorsque le yacht est assailli par des pirates et fait naufrage.

     Le film s’en tenait au naufrage du bateau, avec ces clients richissimes noyés dans leur vomi et leur merde, il était déjà un pur doigt d’honneur au festival qui l’a encensé, un peu à l’image de la scène du singe performer dans The square, au sein d’un diner de gala où tous les convives étaient en costumes, comme à Cannes. Evidemment qu’il y a du cynisme de la part d’Östlund, mais ce n’est jamais de la méchanceté. C’est un jeu. Ce qui l’intéresse c’est d’en rire.

     C’est alors qu’intervient cette dernière partie, intéressante mais un peu plus problématique, car moins construite à la Östlund, si j’ose dire. Moins élaborée par séquences et situations. Aussi, le rythme s’affaisse, les idées de mise en scène ne sont plus aussi cinglantes et si l’intérêt change de bord, le cinéaste parvient moins à rendre attachant sa lutte des classes inversée. Malgré tout, il y a toujours des gags, des idées à foison, à l’image de ce caisson de sauvetage qui devient une sorte de QG baisodrome. Même si tout cela opère de façon moins séquentielle, il y aura toujours un truc, une surprise, jusqu’au mystérieux dernier plan : Une finition complètement insolite. J’aimerais revoir le film aussi pour me frotter à nouveau à cette troisième partie. Tenter de comprendre encore ce qui cloche un peu pour moi, dans le dispositif du réalisateur de Snow therapy.

     Mais reprenons : Les naufragés survivants se retrouvent sur une île et le déséquilibre des classes s’inverse. Puisque les riches ne savent pas survivre autrement qu’avec leur téléphone et en bouffant des chips, ils n’ont d’autre moyen de suivre l’organisation de survie imposé par les pauvres, à savoir Abigail car il n’y a qu’une femme pauvre, femme de ménage sur le navire, autoproclamée capitaine sur l’île déserte, puisqu’elle allume le feu et pêche du poisson. Au préalable, si cette robinsonnade me séduit moins, en apparence, c’est qu’elle fait office de Parasite en moins bien. Car il n’émerge de ce retournement de situation qu’une sensation de « Tous absolument pourris » un peu agaçante. D’autant que d’une part notre couple est relégué au second plan, d’autre part le film ne semble plus avoir grand-chose à filmer : Autant Östlund était à l’aise sur le yacht, avec son décor qui tangue, ces longs couloirs, cette opulence globale, autant il ne sait pas du tout comment filmer l’extérieur, l’île, la nature, créant un discours volontiers hypocrite d’un type se moquant de son statut (le mec est adoubé depuis The square) et de sa classe, en faisant rire une galerie aveugle. L’amour du cadre et de la matière s’est un peu affaissé, certes, mais Östlund ne se fourvoie pas non plus car ce serait oublier que le décor, s’il existait au sein des deux premières parties, était déjà factice : La nature de l’ile n’existe pas plus que la mer pendant la croisière. Et ce serait faire l’impasse sur l’essentiel : Les riches ne sont pas tous pourris au point de s’entre-dévorer.

     En effet, ce qui régit le cinéma d’Östlund et en grande partie ici, ce sont les rapports de domination liés fondamentalement à l’argent. L’amour, s’il y en a entre les personnages dominants, est indexé à la richesse. Dans la première scène, par ailleurs assez jubilatoire, dans un vestiaire de mode, s’il fallait retenir ne serait-ce qu’une info, essentielle mais insolite, c’est que l’homme est trois fois moins payé que la femme. Dans ce milieu-là, tout du moins, où l’objétisation des corps est monétisable. Et plus tard ce sera pareil, l’amour dépend de l’argent, systématiquement. Yaya est avec Carl parce que c’est cool d’être un couple d’influenceurs. Quant aux nombreux couples sur le yacht, on comprend qu’ils sont ensemble par intérêt financier, jusqu’au russe qui semble être là avec ses deux femmes. Et dans la troisième partie, il s’agit aussi d’expérimenter le couple sur un système de transfuge de classe, qu’importe si l’argent ici c’est le travail, dans sa forme la plus concrète. Sur le bateau, Abigail nettoyait les chiottes, sur l’ile elle fait de Carl son gigolo en échange de denrées distribuées à tous et lui offre un lieu où dormir. Le rapport de domination s’inversant, la prolétaire devient dominante et hérite des défauts des dominants. Les autres personnages sont par ailleurs plus « beaux » sur l’île. Les riches retrouvent leur humanité. Ils sont soudain moins tristes, moins pathétiques, plus légers, solidaires, enfantins. Comme si le simple fait de leur avoir supprimer leur richesse suffisait à les réhumaniser. Car le riche dans sa nouvelle position de prolétaire est libéré de sa méchanceté, du pouvoir qui faisait de lui un oppresseur. Le problème de l’humanité selon Triangle of sadness, donc, ce n’est pas l’individu mais la position sociale. Et c’est exactement le même constat du point de vue du genre : Le matriarcat instauré sur l’ile ne sera finalement pas moins violent que le patriarcat de notre monde.

     C’est un film passionnant, construit en trois blocs (La dispute, le yacht, l’ile déserte) et en petits blocs à l’intérieur de ces blocs. Je suis sidéré par ce que le film a produit sur moi. J’ai vraiment adoré les deux premières parties, de manière très différente : plaisir théorique d’abord, plaisir jubilatoire ensuite. La dernière, moins, j’ai un peu lâché prise, contrairement à son Snow therapy, qui m’apparait plus beau encore dans son dernier tiers. Néanmoins ça m’a fait un bien fou de retrouver un peu de ce que j’avais aimé chez Östlund et qu’importe, finalement, si le film est inégal, la gêne continue qu’il procure est délectable. Et sous ses allures de caricature cochant les cases du film-satire, c’est in fine un objet curieux, un vrai caillou dans la chaussure, qui ne m’a pas quitté durant les dix jours qui séparent mon visionnage du film et ce que j’en écris. Un film bourré d’idées, qu’on peut adorer ou détester, sinon les deux en même temps, en accord complet avec ce que je pensais d’Östlund jusqu’ici, puisque j’adore Snow therapy et conchie The square (2017).

     J’en profite pour conseiller le magnifique épisode de La gêne occasionnée qui lui est consacré – qui m’aura permis de comprendre mieux le film et même ce qui m’y plait moins – et qui parle bien sûr de Tati, du marxisme, en y voyant une œuvre moins misanthrope (puisque c’est ce qu’on reproche souvent au cinéaste suédois) qu’amoureuse du cadre, de la situation et de la matière.

Small soldiers – Joe Dante – 1998

16. Small soldiers - Joe Dante - 1998« I love the smell of polyurethane in the morning »

   6.0   Quand on est familier du cinéma de Joe Dante, le voir investir l’univers des jouets n’a rien d’étonnant. Qu’est-ce, Gremlins, sinon l’histoire d’un garçon à qui on offre un jouet/ une créature adorable avant de lui retirer car il est devenu maléfique parce qu’il n’a pas su s’en occuper ? C’est le conte de noël le plus terrible. Le plus destructeur : Les milliers de jouets / créatures devront mourir brûlés dans un cinéma où l’on diffuse Blanche neige et les sept nains. Et le chef de la meute ira fondre comme la sorcière du Magicien d’Oz dans la partie jardinerie d’un centre commercial.

     Joe Dante ouvre Small soldiers dans une firme conceptrice de jouets, occasionnant un duel entre les créateurs, qui jurent par la variété des modèles et l’histoire véhiculée entre chacun d’eux, et les dirigeants entrepreneurs qui ne voient que le merchandising de cette affaire. Puis on plonge dans un magasin de jouets, un petit commerce de quartier, familial, qui ne vend que des produits en bois, sans suivre l’effet de mode. C’est un programme qui bien évidemment ressemble à Gremlins. On rêve aussi d’avoir un Archer (Le chef Gorgonite) comme on rêvait d’avoir Gizmo, le mogwaï.

     Comme Billy avant lui, Alan ne se méfiera pas beaucoup et profitant de l’absence de son père pour voyage d’affaires, il va recueillir des jouets qu’il aurait mieux fait de laisser dans le camion de « Mr Futterman ». Ces fameuses figurines ont en réalité été construites, par erreur, avec des puces électroniques militaires. Elles peuvent donc communiquer entre elles, prendre des initiatives, apprendre, évoluer. Surtout, il y a deux camps : les soldats et les gorgonites. Les méchants jouets seront donc les GI d’un commando d’élite, les gentils des monstres difformes.

     Encore une fois, c’est un film apparemment pour gosses – Burger King fit même des produits dérivés des personnages du film dans ses menus lors de la sortie du film – mais in fine pas du tout pour eux. Pour sa violence, d’une part, dans la mesure où l’on voit des figurines se faire déchiqueter, d’autres se transformer, du plastique fondant, bref c’est Barbie chez Frankenstein, Toy Story chez Cronenberg : on y retrouve le Joe Dante destructeur de Gremlins. Et concernant son propos sur la guerre, on retrouve celui, plus virulent, de Matinee. Le conte pour enfants se pare donc de visions horrifiques et d’un propos très corrosif.

     S’il avance sur de beaux rails (Notamment son animation, signée Stan Winston, superbe) Small soldiers manque de contraste. Il me semble que le cinéma de Joe Dante n’est jamais aussi beau et puissant que lorsqu’il alterne les cadences, qu’il explose et se replie, exploite ses velléités visuelles mais aussi une tendance plus intimiste. La partie teen movie, film familial et comédie de voisinage ne fonctionne pas très bien ici. Sur ce point, Small soldiers évoque un peu Explorers, brillant dans sa première partie, complètement pété dans sa seconde. En outre, ses nombreuses références cinéphiles n’ont plus la puissance subtile qui irriguait ses meilleurs films. Bon, c’était ma deuxième fois et ça reste évidemment très chouette.

Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin (Big trouble in Little China) – John Carpenter – 1986

15. Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin - Big trouble in Little China - John Carpenter - 1986Street of rage.

   4.0   Paumé au beau milieu d’une lutte surnaturelle entre les puissances du bien et du mal, Jack, simple camionneur, va tenter de sauver la fiancée de son ami, enlevée par un mystérieux sorcier tout en cherchant à récupérer son camion dans Chinatown.

     On dirait un jeu d’arcade, avec plein de niveaux ouvrant sur des boss, avant le boss final. Je n’y connais plus grand chose mais j’y ai vu du Mortal Kombat, bien sûr. Mais aussi du Street of rage, le dernier niveau ressemblant beaucoup au couloir du palais du mandarin bimillénaire.

     Il y a des puits, des tuyaux, des trous dans les plafonds. Il y a des monstres, des golems, des malédictions, des lumières vertes qui sortent du ciel. Il y a des sorciers, de la magie noire et une chinoise aux yeux verts. C’est généreux, euphorique, assez usant pour ma part.

     Ce qui m’a plu c’est la dimension méta incarnée par le personnage de Jack, qui fait figure de spectateur occidental perdu dans un monde dont il ne connaît pas les codes, mais qui va tenter de gérer, malgré tout, sorte d’anti Snake Plissken, via un Kurt Russell post New York 97, plus beauf et désinvolte.

     Et si les références aux films de kungfu m’échappent complètement, j’ai parfois été séduit par la bizarrerie du film, aussi bien dans ses couleurs, son rythme que ses répliques. Bon, je me suis peu amusé malheureusement.

     Reste un divertissement bruyant et coloré, complètement à l’opposé de ce que Carpenter venait de faire (son sublime Starman) prouvant une nouvelle fois son statut de cinéaste alors imprévisible et incompris (le film fait un bide) qui sera une nouvelle fois lâché par les studios.

Chronique d’une liaison passagère – Emmanuel Mouret – 2022

25. Chronique d'une liaison passagère - Emmanuel Mouret - 2022Rendez-vous.

   7.0   Tout est dit dans le titre à savoir qu’on ne verra de ces deux personnages, ce quadra marié (Vincent Macaigne) et cette quinqua célibataire (Sandrine Kiberlain), que ce qui touche à leur liaison, les dates de leurs rencards et les différents lieux qu’ils arpentent. C’est tout. Il y a des ellipses plus ou moins conséquentes, des rendez-vous dérobés plus ou moins étirés, aucune autre règle sinon celle de suivre Charlotte & Simon, uniquement quand ils se voient.

     Un peu comme si Chronique d’une liaison passagère était le pendant léger et inversé de Nous ne vieillirons pas ensemble, qui était plutôt la chronique d’une désynchronisation conjugale. La comparaison s’arrête évidemment là, et si l’on doit rattacher le film d’Emmanuel Mouret à un cinéma ce serait peut-être celui de Woody Allen (renforcé par la séquence bergmanienne à l’Escuriale) et encore je n’en suis pas si convaincu.

     Ce procédé narratif est d’autant plus probant ici qu’il génère la sensation que le film parle de la conception des films de son auteur, qui n’aura eu de cesse de répéter ses récits et motifs, de films en films, en changeant quelques notes, montant ou descendant d’un ton. Chacun aura ses préférences, mais la quasi-entièreté de sa jeune filmographie s’avère plutôt cohérente, c’est sans doute pour cette raison qu’il a maladroitement tendance à être rapproché de Rohmer.

     Comme toujours chez Mouret, les mots sont rois, la légèreté côtoie la gravité, le cadre est d’une précision d’orfèvre mais jamais il avait été si précis dans ses plans et leur durée. C’est vraiment sublime de bout en bout. Souvent drôle bien sûr, avant que ça ne devienne très touchant. J’adorais déjà les premiers Mouret puis il m’avait un peu perdu, mais là il signe à mes yeux ses deux plus beaux films coup sur coup, après Les choses qu’on dit les choses qu’on fait. Deux films très différents par ailleurs, puisque l’épure de l’un répond au dispositif choral de l’autre.

     Pour que le film fonctionne, et il fonctionne, surprend, par sa drôlerie et sa mélancolie, il faut aussi deux acteurs en état de grâce. On retrouve le Vincent Macaigne, qu’on adore depuis Un monde sans femmes & La fille du 14 juillet, depuis dix ans donc, mais un petit mot sur Sandrine Kiberlain, qui est toujours très bien, mais c’est la première fois qu’elle est si lumineuse, resplendissante, habitée, une vraie révélation sous la caméra de Mouret avec qui elle tourne pour la première fois.

Force majeure – Pierre Jolivet – 1989

06. Force majeure - Pierre Jolivet - 1989Le choix désarme.

   6.0   Lors d’un voyage en Asie, Philippe, Daniel & Hans, trois amis que le séjour a réunis, sont sur le point de rentrer. Si Hans décide de partir un peu plus tard, les deux premiers ont un avion à prendre, et afin de ne pas risquer de mauvais contrôles à l’aéroport, ils donnent tous deux leur part de haschich à leur ami hollandais.

     Dix-huit mois ont passé. Philippe (Patrick Bruel) est sur le point de terminer ses études de mathématiques et Daniel (François Cluzet) est jeune papa. C’est alors qu’un avocat envoyé par Amnesty International les contacte pour leur apprendre que leur ami Hans est emprisonné depuis leur départ pour possession de drogue ; Pire, il est condamné à mort car la quantité qu’il possédait sur lui lors de son arrestation en font un narco-trafiquant.  

     Hormis si Philippe & Daniel acceptent de se livrer aux autorités locales, en expliquant qu’une partie du shit leur appartenait, Hans sera exécuté sous sept jours. Mais ils encourent deux années de prison.

     Le pitch de Force majeure (la troisième réalisation de Pierre Jolivet) m’a toujours fait saliver. Et si durant un temps il se hisse au niveau de cette attente, notamment grâce aux prestations incarnées et opposées de ses deux acteurs futures stars, qui campent deux personnages aux antipodes, qui vont digérer la nouvelle de manière très différente, je ne cache pas une petite déception.

     Il me semble que le film s’éteint peu à peu, qu’il perd de sa force d’écriture, qu’il se mélange un peu les pinceaux (Tout ce qui se jour entre Philippe & la femme de Hans, ou bien les confessions de l’avocat, par exemple) et qu’il souhaite simplement préparer l’uppercut crée par ses cinq dernières minutes. M’est avis qu’il aurait déjà gagné à étirer son tout premier segment. Et à épurer complètement ce qui suit. Ça reste un chouette film, malgré tout.

Thérèse Raquin – Marcel Carné – 1953

07. Thérèse Raquin - Marcel Carné - 1953Les amants crucifiés.

   6.5   L’histoire d’une femme à jamais piégée. Dans son mariage puis dans sa passion amoureuse. Un récit d’une noirceur inouïe sur une liaison impossible dans un monde où brillent une belle-mère tyrannique et imbuvable (la terreur de ces yeux grands ouverts quand elle est paralysée et alitée, mon dieu), un mari enfant gâté absolument irresponsable et un petit témoin opportuniste qui sera finalement celui par qui tout basculera. Ce dernier est paraît-il absent du livre, alors qu’il fait figure de pivot / chat noir suprême ici, permettant d’oblitérer un peu la culpabilité des amoureux meurtriers. Assez curieux de connaître l’issue du roman. Quoiqu’il en soit, Simone Signoret & Raf Vallone magnifiques et de ceux que j’ai vus, l’un des plus beaux Carné. Superbe mise en scène. Zola sied bien à Carné. Lyon aussi.

La charge héroïque (She wore a yellow ribbon) – John Ford – 1950

03. La charge héroïque - She Wore a Yellow Ribbon - John Ford - 1950Le jaune est une couleur froide.

   6.5   La charge en question (du titre français) n’est qu’un leurre, au même titre que la retraite à venir du capitaine Brittles (John Wayne) : Le film fait moins le récit sensationnel de ces deux promesses que celui du quotidien de cette cavalerie, la vie collective, en rendant hommage à ces pionniers bâtisseurs, dans un ton globalement très léger. Mais le récit est bien plus mélancolique in fine, raconte beaucoup du relais de générations, des échos d’une jeunesse à l’autre, incarné ici par un capitaine vieilli qui se recueille sur la tombe de sa femme et observe la rivalité de deux de ses lieutenants pour la nièce du commandant. Visuellement, le film est dément, aussi bien quand il capte les grands espaces de la Monument Valley que lorsqu’il saisit furtivement l’ombre (qui un bref instant est celle d’une revenante) sur une pierre tombale.

Inexorable – Fabrice Du Welz – 2022

12. Inexorable - Fabrice Du Welz - 2022La vie de château.

   4.0   Marcel Bellmer (Benoit Poelvoorde) ne trouve plus l’inspiration depuis la publication de son roman à succès intitulé « Inexorable ». Il emménage avec sa femme Jeanne (Mélanie Doutey) et leur fille, dans la demeure familiale dont ils viennent d’hériter. Un jour, une étrange jeune femme, Gloria, va s’immiscer dans leur vie et bouleverser l’ordre des choses.

     La première chose qui frappe, évidente et habituelle (si l’on connait un peu l’univers de son auteur) c’est le gros boulot sur la lumière, via l’usage des couleurs rougeâtres notamment, de l’aspect embrumé, qui n’est pas sans évoquer les ambiances giallesques. L’immensité du château, elle, convoque d’emblée une ambiance à la Shining. Mais rien ne fonctionne là-dedans, comme à chaque fois, me concernant, chez Fabrice Du Welz. Les dialogues, la lumière, l’interprétation, la tension sexuelle, le petit twist, tout semble si fabriqué et si décevant. L’espace de cette maison, ce grand manoir, est si mal utilisé.

     A l’image des références claquées par son réalisateur – qui est un formidable passeur critique, mais un piètre cinéaste, évidemment ce n’est que mon avis et je ne demande qu’à être un jour surpris – Inexorable cumule les évocations, dans sa mécanique d’home invasion, qui n’est pas sans rappeler ces thriller érotico-domestiques qui pullulaient à Hollywood dans les années 90, de Liaison fatale (dont Du Welz est fan) à La main sur le berceau : Une petite famille perturbée par un élément extérieur (féminin en l’occurrence) agressif et encombrant.

     Il y a quelques idées bien sûr, parce que Du Welz ne manque pas d’idées, mais elles ne s’arriment pas dans un tout. Ici un très beau travelling compensé nocturne dans un long couloir, dévoilant un vertige volontiers hitchcockien. Là une représentation dansante sur du heavy metal qui évoque le cinéma de Bruno Dumont, moins son contre-champ grossier. Ou encore cette scène de sexe empêché, qui va un instant un peu à l’encontre de ce que le genre, sulfureux et codé, offre habituellement.

     On ne fera pas l’affront au film d’être comparé au Théorème, de Pasolini, car ce serait faire trop d’honneur à l’un et d’injure à l’autre, mais on pense à un autre film, français, plus confidentiel, mais à l’identité visuelle pour le coup très tranchée, signé Joel Santoni : Mort un dimanche de pluie (1986) ne serait-ce que pour son lieu et son glissement horrifique. C’était un film nettement plus malsain, bizarre, inventif, qu’il faut réhabiliter d’urgence.

Petite Solange – Axelle Ropert – 2022

10. Petite Solange - Axelle Ropert - 2022Adolescente.

   4.5   La séparation des parents par le prisme d’une ado de douze ans (Jade Springer, très bien) à qui l’on ne dit rien, mais qui comprend tout, sans parvenir à accepter que son monde s’effondre. Je n’ose imaginer ce que ce récit aurait donné chez la délicate mélancolie d’une Mia Hansen-Løve ou chez la crudité tragique d’un Maurice Pialat. Ce serait probablement trop dur à voir pour moi, d’ailleurs. Et c’est là le premier problème que j’ai avec Petite Solange, qui a littéralement glissé sur moi, alors que ça devrait me perforer en permanence. La faute à des dialogues souvent indigents (les scènes entre ados, au secours) et à des situations qui ne s’étirent jamais ou mal : Que vient faire de ce plan de tasse de chocolat chaud vide quand on a le visage d’une ado tourmentée à filmer ? Le film passe trop à côté de son sujet, parce qu’il ne veut pas y plonger pleinement ni créer de malaise, de vertige. Tout est un peu terne et plat à l’écran. Sauf à la toute fin, il se passe quelque chose, un conflit, une larme, un sourire, tout à coup une lumière jaillit de nulle part, comme si tout le film s’excusait de nous avoir fait subir sa fadeur jusqu’ici. Je me souviendrai de ces cinq dernières minutes et c’est tout. C’est dommage car ça devrait me bouleverser tout le temps, mais in fine c’est un film si tendre qu’il est tiède et un peu anecdotique.

Spiderhead – Joseph Kosinski – 2022

17. Spiderhead - Joseph Kosinski - 2022L’impossibilité d’une île.

   2.0   La scène inaugurale de l’hydravion évoque rapidement le cinéma aérien de Michael Mann or dès la séquence suivante, nous ne sortirons plus de ce huis-clos, décor blanc dans une île-prison. Dans un futur proche, non identifié, il s’agit de suivre deux détenus et un génie scientifique, qui en échange de leur coopération en tant que cobayes dans des expériences émotionnelles, leur offre des privilèges, remises de peine et une liberté relative dans l’enceinte du pénitencier. Spiderhead sera essentiellement une somme de ces entretiens expérimentaux, en champ-contrechamp, dans un univers glacé, léché, clinique, que la mise en scène, d’une platitude alarmante, épousera à merveille. Un film concept qui repose exclusivement sur son concept de dystopie fasciste où l’on administre des molécules aux prisonniers afin qu’ils obéissent aux ordres. Le reste n’a aucun intérêt. De Kosinksi en 2022, on préfère de loin son très beau Top Gun Maverick.

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silencio


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