Cinq jours chrono.
8.0 C’est comme si Jimenez avait trouvé sa voie. Quel cinéaste aujourd’hui, en France, peut se targuer d’offrir autant d’intensité sur un écran ? Surement pas Romain Gavras, coucou Athena. Chez Jimenez, si le film s’embrase, il n’est jamais guidé par la virtuosité du chaos ni par la belle image, mais par le rythme, le montage, le son. Par fulgurances, Bac Nord était déjà habité de ces qualités, durant sa première partie, notamment l’assaut de la cité. Mais le film était beaucoup trop problématique pour qu’on ne retienne que son intensité filmique. Les craintes de retrouver cela devant Novembre étaient multipliées, dans la mesure où ce nouveau film prenait le risque de s’attaquer aux évènements de Novembre 2015.
Comment traiter de cela avec la distance et le recul adéquat ? Certains s’y sont déjà frottés, avec plus ou moins de réussite, optant pour un angle ouvertement fictionnel : Amanda (2018) de Mikael Hers, Revoir Paris (2022) d’Alice Winocour ou encore la première saison de la série En thérapie (2020). Jimenez prend le parti de défictionnaliser la fiction : Ses personnages n’existent qu’au travers de l’enquête, la traque, les filatures. Ils n’ont aucun background, aucune histoire, tout juste des prénoms. Les cibles de l’enquête, elles, récupèrent leur propre identité. Quant aux faits, ils sont intégrés dans le récit, mais hors-champ. Ce qui s’est joué ce soir-là ne sera guère au cœur des images, nous ne verrons rien, ni du Bataclan, ni des Terrasses. Mais c’est là, en permanence.
C’est une course contre-la-montre. Il s’agit de retrouver les terroristes en fuite dont on apprend vite qu’ils sont sur le point de réitérer une action, dans une crèche ou un commissariat de La Défense. C’est une plongée au cœur des cinq jours donc de la centaine d’heures qui suivirent les attentats. Quoique soyons plus précis : Le film s’ouvre dix mois plus tôt à Athènes et déjà il est dans l’intensité d’un assaut, celui d’un immeuble. Un assaut qui débouche sur un fiasco, puisque l’arrestation prévue se solde par la disparition de la cible, qui aura son importance dans les événements de Paris dix mois plus tard.
Le titre alors s’affiche et aussitôt nous voici plongés là, dans Paris lors de ce fameux soir de match. Certains flics – dont on suivra les pérégrinations bientôt – boivent des coups, matent le match, bossent ou sont en pleine course à pied. Puis un coup de téléphone retentit dans le commissariat central, puis un autre, puis des milliers. Le film ne s’arrêtera plus. Les flics ne dormiront ni le jour ni la nuit. La France sera plongée dans la désolation, la tristesse, la peur. On se souvient tous de ce qu’on faisait ce soir-là, ce week-end-là, c’est évident. Jimenez donne à voir ce que les flics faisaient, ce soir-là, ce week-end-là, ces cinq jours-là. Jusqu’au fameux assaut de Saint-Denis : Le siège de l’appartement est un truc d’une puissance folle.
Le film est aussi fort qu’irrespirable. Jalonné de séquences intenses, sans être dans le sensationnalisme ou la grandiloquence pour autant – On ne verra plus un local poubelle de la même manière. Et filmé à la bonne distance, en permanence, s’en tenant davantage aux faits, au réel, contrairement à ce qu’il s’arrangeait de faire dans le précédent : il semble y avoir une petite polémique autour d’un port de voile ici, mais je ne crois pas que ce soit si important, surtout eu égard à la manière dont est traité le personnage de Samia. Peut-être le film est-il trop transparent politiquement, c’est vrai. Et ça nous arrange de ne pas retrouver les relents douteux de Bac nord. Ici il s’agit tout de même de conter l’échec policier, dans la mesure où la semi-réussite provient d’un concours de circonstances, pas d’une force collective et encore moins d’un héroïsme individuel – On y verra d’ailleurs une filature solo se soldant sur une impasse, heureuse car elle évite les éventuels vices de procédures en cause si la cible eut été bonne – mais d’une parole civile.
Novembre est un magma, à l’épure, à l’os. Proche de ce qu’on a pu voir outre-Atlantique chez Bigelow ou Greengrass, dans Zero dark thirty ou Vol 93. C’est simple, en France, je n’ai pas le souvenir de voir ça, de façon aussi efficace, ou bien il faut remonter au Rochant des Patriotes, ou aux meilleurs épisodes du Bureau des légendes ou d’Engrenages. Tout se vit de l’intérieur de l’enquête, de ces cinq jours fous, des coulisses policières, des bureaux en ébullition, des filatures, des interrogatoires, des perquises.
Ce qui m’a d’autant plus passionné c’est que ce soit un vrai récit construit pour le cinéma. Avant d’y aller, je me disais qu’il aurait dû en faire une série, car c’était lourd, dense et que si en plus il fallait créer des personnages de fiction ça ne tiendrait pas, ni historiquement ni ontologiquement. Mais il n’y a aucun personnage, dans le sens aucune vie privée, on ne saura rien de personne en dehors de l’enquête, ils ne sont que fonction. Et pourtant, on se souvient de chacun d’eux – d’autant qu’ils sont magnifiquement incarnés, Lyna Khoudri & Anaïs Demoustier en tête. Ils existent tout en servant entièrement le récit. C’est vertigineux.