La vie est à nous.
7.0 En 1912, dans la Russie tsariste les ouvriers d’une usine sont poussés à bout par des conditions de travail éreintantes, pendant que des espions sont chargés de dénicher les meneurs syndicalistes. Un ouvrier est accusé à tort d’avoir volé un micromètre. Sous la pression, il se suicide. Ses collègues décident de se mettre en grève, mais celle-ci est réprimée de manière sanglante par l’armée tsariste. Le film s’ouvre sur ce carton : « L’organisation est la force de la classe ouvrière. Sans l’organisation des masses, le prolétariat est nul ». Les bases sont posées d’emblée, dès cette citation de Lénine, qui fait office de profession de foi pour Eisenstein. Et si la Révolution se joue moins – disons plutôt, impressionne moins – dans le récit que par sa forme, véritable manifeste du montage, du mouvement, de l’effervescence, le cinéaste russe ne fait pas dans la dentelle et ne manque pas de faire s’affronter l’obscénité bourgeoise à la force ouvrière. D’un côté les dirigeants obèses, cigares au bec sirotant leurs nombreux alcools dans des verres en cristal. De l’autre la construction d’un mouvement, d’une résistance, d’une force collective humaine, d’une organisation, pour reprendre le terme employé par Lénine. Tout y est frontal, sans équivoque et lorsqu’il use de métaphore, c’est pour effectuer un montage alterné percutant, reliant les répressions policières avec la violence des abattoirs bovins. Le film est d’une violence extrême, n’hésitant pas à montrer l’image d’un bébé jeté dans le vide, qu’on peut bien entendu relier à la poussette du Cuirassé Potemkine, son film suivant. Si l’on plonge pleinement dans sa forme, brusque, enivrante, en se fermant sur un cinglant « Prolétaire, n’oublie pas ! » La grève rappelle qu’il est un vrai film de propagande à la gloire ouvrière. Il n’y a d’ailleurs aucun vrai personnage, aucun autre héros sinon la masse. C’est superbe.