Get up.
7.5 Le troisième long-métrage de Jordan Peele ne manque pas d’ambition, en embrassant les genres fondateurs de l’imagerie hollywoodienne, du western au film de science-fiction, en passant par la sitcom et l’elevated horror. S’il cite Muybridge (et sa décomposition chronophotographique du mouvement d’un cheval au galop) ce n’est évidemment pas pour rien : l’idée c’est aussi de brasser l’histoire du cinéma, de faire de Nope un film sur le cinéma.
Il y a d’abord deux décors qui s’y réfèrent pleinement, deux décors de tournage : Celui d’une sitcom (avec son public) puis celui d’un film en studio (avec son fond vert). Il y a déjà une correspondance par aplats (aucune profondeur de champ) qui crée autant un troublant vertige qu’une frustration nette, dans la mesure où l’on vient voir un film de cinéma, à fortiori un film de Jordan Peele, dont on avait apprécié l’étonnant Get Out et le superbe Us qui, justement, parvenaient chacun à s’incarner dans l’espace, de jour comme de nuit.
On retrouvera cette puissance du jour et de la nuit dans Nope mais la grande partie du récit se déroule dans deux autres espaces : Un ranch et un parc à thème. On y suit OJ & Em, frère et sœur, éleveurs de chevaux pour le cinéma. Leur crédo : Ils ne cessent de répéter que le jockey de Muybridge était leur ancêtre. Un jour, la vallée dans laquelle se situe leur ferme est attaquée par une mystérieuse présence dans le ciel. Leur père, le propriétaire du ranch, est tué mystérieusement, par une pièce de monnaie lui tombant droit dans l’œil. Plus tard, OJ découvre qu’un nuage n’a pas bougé dans le ciel. Est-ce un ovni ou un monstre ?
C’est un film pétri d’idées, assez foutraque dans le fond, mais très limpide dans sa forme, qu’on apprivoise à mesure que cet étrange récit prend vie. On y retrouve du Shyamalan, aussi bien dans ses forces (visuelles, notamment) que ses faiblesses : Sa mécanique hybride, son inventivité éparse. A l’image de ces chapitres portant les noms des chevaux du récit. Plutôt des animaux, puisque s’y glisse celui du singe. Il y a une scène de traumatisme, très forte, mais qui ne fonctionne pas vraiment au sein du récit. Sans doute car elle touche un personnage (le gérant de parc d’attraction) clairement secondaire. Et pourtant j’en retiens principalement ses qualités. Comme le design de la créature : Sa façon de se mouvoir, de se transformer. C’est assez inédit. Et bien entendu, sa façon de filmer « la nuit ».
Quoiqu’il en soit, il est rare de voir un film autant inspiré de Spielberg, sans qu’il fasse pour autant sous-Spielberg ou qu’il en soit écrasé : Sous ses allures de structure identique à celle des Dents de la mer (La longue installation puis la longue chasse au monstre) au point de le citer sur un personnage qui est clairement le miroir visuel de Quint, tournant la manivelle de sa vieille caméra comme Quint tournait celle de sa canne à pêche, Nope a vraiment sa propre identité, son rythme, son étrangeté. Une vraie gueule. Et ses défauts se logent probablement dans sa prodigalité, le film et donc son récit peinant à exploser pleinement.
En définitive, Nope manque peut-être un peu d’incarnation et d’émotion – surtout lors de sa première heure, un peu laborieuse – mais clairement pas de mise en scène. Et ça tombe bien car ce n’est que ça, une pure déclaration d’amour au cinéma. Qui de par son cachet hybride et sa structure archétypale, parvient à offrir un vertige de cinéma, aussi ébouriffant que rafraichissant, qui plus est dans un paysage hollywoodien aussi peu investi des tentatives et un style visuel aussi inspiré.
C’est son film le plus réussi à mon sens tant il se libère des quelques lourdeurs de ses deux précédents. Nope est un film très aéré, limpide, ça fait du bien.
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