Togetherness.
8.0 Impossible d’y couper : Le défi technique accompagne inéluctablement la sortie d’Avatar, la voie de l’eau. On ne sait combien de technologies ont dû être mises au point afin de produire ce résultat-là, en grande partie aquatique. Et l’on sait le temps que le film a pris pour arriver devant nos yeux. Treize années depuis la sortie du premier volet. Et au moins autant de conception, auparavant. C’est un fait commercial et industriel, qu’on ne manquera pas d’accompagner d’arguments markéting, concernant la 3D, la haute fréquence, le son, sa capacité d’immersion. Il semble exister mille et une façons de le voir ce spectacle en salle. Un spectacle de ceux qu’on ne fait plus. Et une suite, dans la tradition cameronienne : Avatar 2 est à Avatar ce que Terminator 2 était à Terminator : Son prolongement, son remake, son reboot, sa réactualisation, son dynamitage. Si depuis Avatar, premier du nom, deux régimes d’images antagonistes (prises de vues réelles et images numériques) cohabitent souvent, le second pousse l’expérience à un paroxysme tel qu’il intègre un humain (Spider) au milieu des na’vis (ou avatars) durant le film tout entier.
Avatar, la voie de l’eau est animé d’un paradoxe passionnant, cher à son auteur : Il y a comme une double quête, dont celle de retrouver l’harmonie avec la nature, mais aussi cette fascination pour la guerre, le feu, le métal. Au cœur du film se joue un savant montage alterné. D’un côté le récit semble se suspendre dans la découverte de ce nouveau monde et révèle (une fois encore) la passion aquatique de James Cameron. Son amour pour l’observation aussi, des éléments, des corps, de l’espace : Son cinéma devient plus contemplatif. Cette séquence centrale représente pourtant un faux climax – au sens narratif – cher au cinéma cameronien : Qu’on retrouve dans les faux creux de Titanic (La petite cavale de Rose & Jack) ou dans ceux de Terminator 2 (L’escale dans le désert). Faux climax car le récit, lui, cherche à revenir, à s’immiscer dans cette bulle rêveuse, puisqu’on suit par micro-scènes la progression de Quaritch et son escouade, accompagnés de Spider.
Mais c’est un fait, on a le sentiment d’avoir vécu ce pas-de-côté. Comme si le film échappait alors au scénario, se permettait de sortir des contingences markéting imposées par le genre, qui aurait comme mission de raconter une histoire, linéaire, avant tout. Si l’on suit aussi l’avancée de Quaritch dans un montage alterné qui peut aussi rappelé le tout début de Terminator 2 (La progression du T800 et celle du T1000 vers la cible John Connor) on est suspendu, l’espace d’un moment – assez long, dans un blockbuster –dans l’observation de ce nouveau monde. A l’autre bout pourtant, le final sera évidemment une immense bataille, colossale. C’est aussi cela, le geste Cameronien : On se souvient que, dans Titanic, à mesure qu’on plongeait dans les souvenirs de Rose contant sa relation naissante avec Jack, on oubliait que le paquebot allait couler. Ici, c’est pareil. On a tendance à oublier que les méchants humains recherchent notre famille na’vi. On les voit trop brièvement pour qu’ils impactent une vraie inquiétude. Au même titre qu’on voyait peu l’équipage se soucier de la nuit et la mer de glace qui s’étendaient bientôt devant eux.
Ce paradoxe se joue aussi dans l’image. Si posée l’action soit-elle, l’image, elle, ne cesse d’être en mouvement. Ne serait-ce que dans le vivier sous-marin, et notamment celles (dont j’ai oublié le nom) qui remplacent les Ikran des na’vi de la forêt. Et bien entendu grâce à l’eau, fil d’Ariane camerionien. Ou l’on se rend compte à quel point l’univers sous-marin devient sans doute le plus bel univers pour le numérique et la 3D, aussi bien son décor, sa dimension sonore et la multitude de mouvements nouveaux qu’il génère, révélant une action paradoxalement aérée – alors qu’on devrait étouffer – et organique – alors que c’est du numérique tout entier. S’il existe une dépression post-Avatar c’est en grande partie dû à sa capacité immersive. Quand bien même on puisse comprendre que cela produise sur certains une forme de saturation.
Quand je vois des images esseulées d’Avatar, je me demande comment ces films ont le pouvoir de m’emmener, de m’enchanter, de m’émouvoir. Je refuse de penser qu’il s’agit d’une simple prise d’otage numérique, spectaculaire – ou disons-le vulgairement : une attraction de fête foraine – mais bien la densité et la fluidité narratives qui permettent d’éprouver cette émotion-là. Le blockbuster de super-héros ne produit jamais ceci sur moi, à l’exception de ces épisodes qui ferment la boucle, l’univers. C’est que là aussi il s’agit de narration, d’un corpus qui te permet de tenir jusqu’au bout et d’en sortir ému. Si Avatar produit cela sur un seul film, dorénavant deux, c’est bien qu’il représente une anomalie, puisqu’il ne découle pas d’univers étendu. Ce qui ne l’empêche évidemment pas d’être rattaché à d’autres univers, cinémas, références.
Si cet Avatar, deuxième opus cite à foison la filmographie de Cameron, recyclant même (un peu trop ?) certains de ses motifs, climax, on pense à beaucoup d’autres choses et notamment à John Ford. C’est un western, Avatar. Dans l’espace, certes, mais un western, dont il reprend crânement les codes. Au point qu’il ira jusqu’à balancer (un peu lourdement) une séquence d’attaque de train. Mais on peut évoquer l’incendie initial avec ces créatures galopantes, calcinées sur place – qui rappelle les visions apocalyptiques de l’ouverture de Terminator 2, où des petits chevaux de bois à bascule (probablement dans un parc pour enfants accentuant l’idée d’innocence perdue) sont dévorés par les flammes de l’enfer. Il y a aussi l’exil vers une nouvelle terre, la bataille finale, le duel, tout semble référer au western. Mais dans sa structure narrative, le film ma fait penser à du Fennimore Cooper : Le dernier des mohicans, bien entendu, grande fresque guerrière, grande fresque de familles aussi. Quant à l’histoire terrible du Tulkun vengeur et paria, qui n’est pas sans évoquer une baleine, évidemment, c’est aussi Orca (Michael Anderson, 1977) qui est convoqué, film dans lequel un orque mâle se venge des pêcheurs ayant tué sa femelle et son baleineau.
En effet, ce second volet développe un univers nettement plus familial voire patriarcal, ne serait-ce que dans sa multiplication des liens pères/fils. Chez Cameron, la cellule familiale est toujours au cœur du récit, d’une manière ou d’une autre. Dans Avatar, premier du nom, Jake était là parce que son frère n’était plus là. Neytiri y voyait son père mourir sous les foudres des humains en guerre. Neytiri est d’apparence plus en retrait cette fois mais reste la figure résistante ; que Jake va « combattre » durant le film – pour protéger sa famille, sa forteresse, dit-il – mais sur laquelle il va in fine s’aligner. Quand il ouvre les yeux dans le dernier plan, c’est une nouvelle renaissance qui prend cette fois acte de résistance.
L’ordre patriarcal – si tant est qu’on en trouve un mais il m’a semblé plutôt désorganisé, cet ordre – est donc chamboulé à la fin, puisque d’une part ce sont les enfants qui viennent en aide à leurs parents (Loak vient chercher son père, Spider le sien quant à Kiri, elle vient au secours de Neytiri). Mais surtout l’action est déplacée, elle n’est plus militaire, massive, elle s’affine, se féminise, indexée sur le personnage de Kiri, donc – qui sera probablement développé dans l’épisode suivant – qui semble éprouver les choses autrement, sentir les éléments divins – elle semble dialoguer directement avec Eywa et son existence n’est pas sans évoquer l’immaculée conception – être faite pour l’univers aquatique. Si les enfants sont dorénavant les personnages moteurs, Kiri est le cœur battant et spirituel du film. On la voit assez peu mais elle est déjà partout. Elle m’a tellement fait penser à la Pocahontas du Nouveau Monde, le chef d’œuvre de Malick.
A son image, Avatar, la voie de l’eau fonctionne aussi par séquences qui communiquent ensemble. Les échos d’une scène à une autre sont très marqués. Comme lorsque Jake saisit le corps de son fils lors de l’attaque du train, en observant dans son dos afin de voir si la balle n’a pas traversé. La même scène aura lieu à la fin, sous un détour plus funeste. On pense aussi à Spider qui découvre la bestialité de Neytiri (on sent vraiment cette folie à travers son regard) d’abord dans l’écran qui lui montre la mort de son père, puis dans la scène finale où elle est devenue incontrôlable au point de menacer de le tuer. Et la plus belle de ces scènes « en écho » est bien entendu celle où l’on entre dans la gueule d’un Tulkun. Tout d’abord aux côtés de Loak, convié par Payakan à découvrir son histoire. Ensuite, aux côtés des baleiniers ayant capturés une Tulkun femelle afin de prélever la partie émotionnelle de son cerveau, qui servirait dit-on à stopper le vieillissement humain et servirait par la même occasion à financer de nombreuses recherches scientifiques.
Les échos apparaissent aussi d’un film à l’autre, tant les deux films se dévorent aisément dans la continuité. On se souvient que le climax final d’Avatar (Neytiri sauvait la version humaine de Jake) faisait écho à son ouverture, (un frère meurt quand l’autre renaît) et tenait autant d’une fête funéraire que d’une cérémonie baptismale. A ce petit jeu de miroirs, l’opposition et les similitudes entre Jake Sully & le colonel Miles Quaritch sont passionnantes. Si la renaissance de Quaritch d’Avatar, la voie de l’eau évoque celle de Sully dans le premier film – jusque dans son opposition : l’avatar de Jake y retrouvait l’usage de ses jambes brisées quand l’avatar de Quaritch ici brise brutalement le crane de son clone humain. On retrouve cette dualité en miroir déformé dans le dressage de l’Ikran. Il y a clairement une ambiguïté, qui se profile ensuite, dans la mesure où ils sont tous deux aux prises avec la protection de leurs progénitures respectives.
Bien sûr, des choses qui en apparence me plaisent moins, j’en vois des tonnes. Je le disais ; le film est tellement dense qu’il tente bien plus, qu’il rate donc plus aussi. Premier exemple qui me vient à l’esprit : Les sous-titres utilisés pour traduire le Tulkun et ainsi comprendre la discussion entre Loak & Payakan. D’autant que la barrière de la langue est au préalable évoquée. Puis c’est oublié, d’un revers de main. C’est une (telle) facilité qu’on retrouve peu chez Cameron, me semble-t-il. Et globalement la voix off me pose problème : Elle illustre ce qu’on a déjà compris, elle ne sert in fine à rien. L’univers musical m’a semblé plus étriqué, là aussi. Moins intéressant que dans le premier volet, qui renfermait déjà l’univers musical le moins intéressant de la filmographie de Cameron. C’est d’autant plus regrettable que le film en est inondé jusqu’à la saturation. Mais rien ne marque vraiment hormis quelques percées Horneriennes qui évoquent son travail sur Apocalypto, et bien entendu l’instant de la mort de la mère Tulkun et son bébé, scène terrible, durant laquelle est reprit le thème entendu pour la chute de l’arbre-mère dans le premier Avatar.
Il y en a d’autres, bien sûr. Mais j’ai davantage envie de rester sur ce qui me plait – et qui m’aura fait m’y déplacer à trois reprises en salle en un mois – et me semble emporter le tout dans un vertige de cinéma total, dans l’urgence, à l’image de cette idée d’éclipse, qui renvoie encore au génial Apocalypto, de Mel Gibson. Quoiqu’il en soit, j’ai trouvé ça fabuleux, dans la lignée du premier, mais dans une version plus démesurée encore (pour le meilleur et le moins bon, mais qu’importe) avec une simplicité narrative parfaite, un sens de l’action à tomber et un vertige de plus de trois heures qui passent comme deux. Et avec un « épisode » central incroyablement radical, d’une beauté et d’une douceur inouïes, qui prépare le final dantesque qui ira mixer Abyss, Titanic, Terminator 2. Du Cameron à l’état pur et en mode bulldozer, physique et émotionnel.