Sainte aux mères.
6.5 Il s’agit du premier long métrage de fiction d’Alice Diop, documentariste « de formation ». C’est un exercice délicat que celui de passer du documentaire à la fiction, voire de nouer les deux dans un même élan : le procès du film Saint Omer est un miroir de celui auquel la cinéaste elle-même a assisté. La romancière en question c’est elle. Le film fait plus qu’illusion (pas loin d’être très grand, à mon sens) une heure durant, parce qu’il orne peu, excepté l’ouverture sur le cours de Duras (aucun intérêt, sinon celui d’en mettre plein la vue aux festivaliers) qu’on oublie tant il est lourdement relayé par la convocation plus tard de Medée, de Pasolini (au secours).
Mais il y a pire que ces petites bornes intellectuelles un brin hautaines : il y a ce qui se joue avec le personnage de la romancière, son apathie, son opacité, avec sa famille, son mec puis bientôt avec sa grossesse, révélée au mitan du film. Bien sûr on comprend le cheminement, l’effet miroir qu’il provoque, mais justement, pourquoi le souligner quand Alice Diop montre si bien l’impact sur un visage, un regard, un silence avec des personnages inconnus, figurants. Les yeux embués de la juge, pareil, quel intérêt ? Je pense qu’elle n’a pas suffisamment confiance en la force de ses plans, son personnage, le mystère absolu de ce fait divers.
Et c’est dommage car de la force il y en a dans Saint Omer. Et notamment tout ce qui se déroule au tribunal, les meilleures scènes du film : Cette façon de resserrer petit à petit les plans jusqu’à ne cadrer plus que des visages, c’est magnifique. Car le début du procès est capté de manière opposée dans la forme, quasi anonymement disons au point qu’un très long plan (l’un des plus beaux) suit l’appel et la présentation de nombreux jurés et leur éventuelle récusation. Jamais on n’a vu ça ailleurs, sans doute car on est dans le document à cet instant, la durée, le réel. Et là je ressens qu’Alice Diop a assisté a tout cela. Dommage qu’elle n’étire finalement pas davantage.
Les plus belles scènes se joueront aussi autour de la parole : quand l’accusée parle (ce corps qui fusionne avec le décor, et ce verbe si distingué), quand la juge (Valérie Dreville, déjà géniale dans Suite armoricaine) parle, quand l’avocate, le procureur, les témoins s’expriment aussi. Le reste devient de l’ornement de séduction. Intéressant sur les discrets flashbacks, mais d’une lourdeur dès qu’il s’agit de faire des ponts, des passations de larmes, entre personnages, mères, femmes, quand bien même il restera cette lumineuse idée de jouer la réconciliation entre mère et fille : de façon abstraite d’abord, d’un gros plan à l’autre au tribunal, du visage de l’accusée à celui de sa mère. De façon plus explicite à la fin avec ce plan d’union de mains et de respirations, de vie de mort, qui rappelle la scène d’ouverture sur la plage. Quoiqu’il en soit, quel plaisir de voir un film de procès si différent des autres. Raide, certes, bancal, bien sûr, beaucoup trop théorique certainement, mais passionnant et singulier.