Pieces of a father.
8.0 Fin des années 90, un père, Calum, et sa fille Sophie, passent les vacances dans un hôtel « All inclusive » en Turquie. Ils vont glander autour de la piscine, bronzer, dormir, manger, faire de la plongée, du billard, du waterpolo, quelques visites touristiques. C’est tout. Et c’est magnifique. C’est magnifique car ce qui ne se dit pas ou presque pas, on le capte malgré tout. Cette bulle solaire dans laquelle le film est constamment baigné est sans cesse dévorée par une mélancolie insondable : entre deux instants de douceur ensoleillé, c’est un père qui crache sur un miroir ou s’engouffre seul la nuit en pleine mer.
Aftersun est une somme de sensations fantasmées de ces vacances, disséminés entre brèves vidéos collectées par le petit camescope de Sophie. Comme si sa mémoire élaborait les souvenirs, remplissait les trous, recollait les morceaux, en fonction des images qui restent : Sophie adulte, qui essaie de se souvenir de Calum. Quelques flashs viendront étayer cela. Quand d’autres seront plus mystérieux, à l’image de ces images de rave stroboscopique. On ne saura donc pas tout mais on comprendra au moins ceci : Les parents de Sophie sont séparés, Sophie voit peu son père quant à Calum, aussi doux et bienveillant soit-il avec elle, il est bien trop jeune et/ou paumé pour être père. D’ailleurs il s’étonne lui-même d’avoir déjà trente ans, quand les gamins du club le prennent au préalable pour le grand frère.
Et si le film n’est pas du tout autobiographique, il n’en reste pas moins que sa réalisatrice Charlotte Wells a perdu son père durant son adolescence. Elle réalise donc une pure fiction, à partir de vraies sensations, c’est très particulier. C’est une autobiographie émotionnelle, dit-elle. Aftersun a tout l’attirail formel du film américain indépendant, une sorte de croisement entre Sofia Coppola (difficile de ne pas penser à Somewhere), Vincent Gallo (On y recolle les morceaux un peu comme dans The Brown bunny) ou Matthew Porterfield (Le délicat I used to be darker). Mais il y a aussi du Claire Denis à son meilleur, là-dedans. Une douceur et un flottement permanent, solaire et mortifère.
Le film est jalonné d’idées géniales comme la scène du karaoké (justement car son déroulement surprend) ou celle de la chambre à coucher dans le noir, avec la respiration de Sophie et Calum fumant sa clope sur le balcon : Cette scène fut le basculement pour moi. C’était soudainement dissonant, le film ne m’a plus lâché. Il se permet des pics parfois insolites et casse-gueule. Il a aussi sans doute ses limites – son petit côté arty pour festivaliers, avec ses jolis plans de poses – peut-être les verrais-je, ultérieurement ?
Oui, Aftersun est sur une corde raide. Entre le Mumblecore et le produit Sundance, pour le dire grossièrement. Ou rien de tout ça. Je cherche encore. En l’état j’en suis sorti en miettes, désarçonné, bouleversé par sa délicatesse, cette lumière, cette relation, ces deux interprètes. Paul Mescal et Frankie Corio y sont tous deux incroyables. Bon, le film n’a pas besoin de mon soutien, c’est un premier long, il n’a rien coûté et il rafle tout un peu partout où il passe, mais j’encourage chacun à volontiers s’y perdre.